Mon cœur, de ton visage, n’a pu oublier la douceur (Pierre Fuzel)

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Mon cœur, de ton visage, n’a pu oublier la douceur est un recueil de récits autobiographiques de Pierre Fuzel, publié en 2011 par les éditions Quintes-Feuilles.

Il existe une fiche de références pour cette œuvre :
Mon cœur, de ton visage, n’a pu oublier la douceur

Une enfance amoureuse contre l’ordre social

Situées dans la période suivant la Seconde Guerre mondiale, les histoires de ce recueil ne pouvaient éclore que dans un petit pays préservé « des folies de la guerre par sa neutralité ». Leur vert paradis des amours enfantines aurait été inimaginable dans une nation ravagée et traumatisée par le conflit, toute occupée à se reconstruire comme dans le cas de la France. Bien réelles cependant dans un pays voisin, comme en témoigne l’auteur, ces amours faites d’intuition et de désir, de douceur et d’âpreté à l’âge de douze ou quatorze ans. Car le vert paradis de Fuzel n’est pas celui de Baudelaire, lequel n’était composé que de « plaisirs furtifs ». Dans Mon cœur, de ton visage, n’a pu oublier la douceur au contraire, les personnages prennent en charge intégralement leurs passions et leur part de sensualité, la découverte de la sexualité, les élans sentimentaux et les plaisirs liés au jeune âge.

Plus jeune que les protagonistes des autres histoires, l’enfant de La balustrade, qui ouvre ce recueil, découvre à la fois le délice suprême d’un baiser entre garçons et l’interdit moral, à ses yeux idiot et inexplicable, qui lui est corollaire.

« Je venais d’apprendre en quelques heures qu’il pouvait être merveilleux et hautement désirable d’embrasser un autre garçon, au point de ne plus pouvoir penser à autre chose, et en même temps que cela provoquait la colère, l’horreur, au mieux l’incompréhension des autres.[1] »

Ce baiser interdit, objet de disputes, d’énorme scandale, d’incommensurable fureur et de vindicte houleuse parmi les écoliers, donne le ton.

La nature

Mais laissons de côté la part morale et l’ordre social qui trouvent ici des partisans farouches et défenseurs de tout poil. Impossible d’aborder l’ouvrage de Fuzel sans remarquer un vecteur infléchissant le cours de chaque nouvelle : la nature. Sans que l’auteur y insiste trop, une fusion s’opère entre les garçons et les éléments naturels. Même dans La balustrade, qui se déroule dans le milieu confiné d’une cour de récréation, les peupliers centenaires partagent les révélations enchantées, innocentes et sensuelles, du jeune héros. Paganisme, comme chez François Augiéras (Le vieillard et l’enfant, L’apprenti-sorcier) ou Robert Lalonde (Le dernier été des Indiens), l’omniprésence de la nature est une composante essentielle du paradis de Fuzel. Lieu et force de renouvellement, de découverte de l’autre, des corps, de la beauté, des pulsions et des sentiments, la nature évince du même coup la pesanteur sociale, le carcan des préjugés, l’enfermement familial, la sauvegarde à tout prix des apparences. Présence paradoxale des éléments, puisqu’ils permettent à de très jeunes protagonistes de renouer avec un savoir des plus anciens, venu de la nuit des temps. Pierre, le narrateur du Vent de Thulé, rappelle à propos de son jeune compagnon :

« Je l’ai recouché ; il s’est laissé faire. Je lui ai pris une main. Je lui ai dit des paroles douces en lui passant l’autre main dans les cheveux, et surtout en le regardant dans les yeux. J’ai convoqué les forces cosmiques qui sont toujours prêtes à vous pénétrer quand on les appelle par amour. Elles entrent par derrière la tête, et agissent par vos yeux. On pourrait décrire leur volonté par la phrase « Je t’aime et je ne veux pas que tu souffres » mais, comme toute expression de l’indicible, c’est réducteur.[2] »

Plus concrets, montagnes et rivières, bois et lacs se manifestent à tour de pages. L’une de ces forces naturelles, véritable personnage qui par sa sombre rumeur ne cesse de se faire entendre, le torrent surgit dans quatre des cinq nouvelles du recueil. Chargé d’exprimer une colère contenue, une révolte contre tout ce que réprime l’ordre social, le torrent est la part symbolique de ces garçons à la fois tendres et blessés, amoureux et meurtris par la bêtise et la veulerie des grands.

Les adultes répressifs

Dans chaque histoire, en effet, intervient de manière inéluctable, le « porteur de la réprobation sociale », incarné par différents personnages – ceux qui veillent au grain, qui ne sauraient tolérer l’écart à la norme. Ce sont les fillettes dans La balustrade, qui s’offusquent d’un baiser entre garçons ; ou Anne, la sœur de Pierre, qui surveille son courrier dans Vent de Thulé ; ou encore Linz, le professeur de latin-grec dans Intrusion :

« Ce professeur, grand inquisiteur, haut-parleur assourdissant de la loi sociale, psychanalyseur, faussaire de rêves et de mythes, crédule en sa propre imposture.[3] »

C’est enfin, dans la dernière histoire du livre, En sursis, monsieur Goin, surveillant assidu des dortoirs du pensionnat de montagne que Pierre a rejoint depuis peu.

« Pierre apprend les conséquences, effarantes pour lui, de la rigueur de monsieur Goin. Il s’aperçoit avec angoisse qu’une grande personne peut ainsi violer les jardins secrets des enfants en ouvrant des portes la nuit, allumer des lumières sales d’ampoules électriques, et s’ériger en juge dans un procès qui ne la regarde pas.[4] »

Dans l’opposition entre les garants de l’ordre social et les enfants voulant assouvir leurs désirs et exprimer leur amour, s’élève à chaque fois un combat terrible entre les apparences et la vérité. Tandis que les sentiments, le vrai, l’authenticité campent du côté de la nature et des jeunes héros, les apparences sauves, les attitudes fausses se maintiennent résolument du côté social. Tout cela d’une façon assumée, sans aucun effort inutile de démonstration de la part de l’auteur, comme si l’écriture, la littérature étaient cela depuis toujours, cet écartèlement entre l’authenticité qui se dissimule et le mensonge qui croit seul prétendre à la lumière du grand jour. Loin d’Alain, dans Vent de Thulé, Pierre n’aura d’autre issue que d’endosser un rôle :

« Pour le reste je me suis caché dans une anfractuosité de mon crâne pour laisser place à mon substitut, le laissant s’occuper des affaires courantes.[5] »

Fidèle à son amour jusqu’au bout, Gilles dans Intrusion, échappera aux compromis. Le lecteur découvrira cette fin terrible et magnifique, qui émeut autant que l’Antone Ramon d’Amédée Guiard. Possédant d’autres atouts dans leur jeu, aussi bien Daniel dans Le chemin creux que Pierre dans En sursis feront quant à eux preuve d’une surprenante maturité d’esprit et d’une vraie intelligence du cœur pour retourner la situation. Ils laisseront ainsi une chance au désir, à la passion, à l’amour garçonnier, de vaincre la bêtise et la veulerie dictées par les grandes personnes.

Une écriture limpide, belle et sensuelle qui sait tonner, rugir à tout moment. Un livre remarquable, qu’on peut faire connaître à tout ami pédéraste, et même à tout jeune garçon, petit ami ou jeune amant afin qu’il se reconnaisse en Pierre, Alain, Fernand, Gilles, Laurent, Guy, Yves ou Daniel.

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Notes et références

  1. P. 20.
  2. P. 33.
  3. P. 104.
  4. P. 172.
  5. P. 62.