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chapitre précédent : Antipréface


A

ABJECT


Nombreux les procès qui révèlent moins les fautes de l’accusé que l’abjection des magistrats.

*

Je me résigne à voir que les hommes que je juge abjects me ressemblent entièrement.


ADOPTION


Il est aussi aisé d’engendrer que difficile d’adopter. On épluche bien davantage les candidats à l’adoption que les futurs époux, qui auront pourtant sur leur progéniture un droit de sévice, de viol et de mort.

La plupart des petits laissés à leurs parents naturels sont à jamais des enfants perdus.


AIMER


Tu veux être aimé pour toi-même ?

Aime donc un riche mourant.

*

La joie la plus durable de l’amour, c’est qu’il prenne fin.

*

Il m’aime signifie en clair : il accepte que je le capture, l’apprivoise, et le viole, et le tue, et l’enterre.

*

On voit chaque jour quelqu’un à aimer : mais il faut être aimé de retour, et on s’en juge indigne. D’où la rage d’avoir des enfants. Ils sont bien obligés de vous subir, eux, sans réplique et sans répit. La loi est contre eux, la loi est pour vous.

*

Ils ont vécu ensemble – surtout lui – pendant plusieurs années.

*

Certaines femmes se font indécemment un mérite d’aimer. (Un cordon-bleu me dit même : « Moi, je cuisine avec mon cœur. ») Le verbe aimer leur coule des lèvres comme une ménorragie. Pourtant, aimer est aussi simple que haïr : il suffit d’avoir des yeux et des oreilles. Un homme, une bête le font en silence. Sans doute ces femmes rabâchent qu’elles aiment parce qu’elles ne le peuvent pas : centripètes.

*

L’unique histoire d’amour qui me touche a lieu entre un canard boiteux et un chien à trois pattes, tous deux va-nu-pieds, affreux, crottés, inséparables. Ce couple est très éloigné de Tristan et Iseut : il évoque plutôt Bouvard et Pécuchet. Le chien et le canard renonceraient à s’enfiler, après une tentative saugrenue.

*

En amour, dire oui à quelqu’un, c’est lui offrir quelques morceaux de soi dont on ne jouit aucunement soi-même. Et lui les trouve bons. Il est comme un brocanteur absurde qui rougirait de convoitise en visitant la cave et le grenier : — Je peux tout prendre ? — Oui, oui. Tout. Ça me débarrassera. Incrédule, il se sert, et s’imagine vous voler.

*

Aux idiots les mains vides. On nous inculque l’idée fausse que l’amour partagé est exceptionnel, et presque impossible. Ce mensonge décourage les initiatives, alors que la plupart réussiraient. L’adolescent meurt de soif auprès d’un lac potable et, l’âge venu, il s’accroche à la pire liaison sans oser chercher mieux : déjà émerveillé qu’une si sale copie de ce bonheur inaccessible lui soit tombée du ciel.

*

Moins on se voit, plus on s’aime : si on ne se connaissait jamais, on s’aimerait donc toute la vie. Je crois que cela arrive.

*

Je garde un désir inguérissable pour quelques êtres que, jadis, je n’ai pas su approcher ou convaincre. Ou ceux qui disparurent avant que j’aie assez joui d’eux. En revanche, ceux qui m’ont rassasié – leurs semblables, pourtant – je n’y pense qu’à peine. Leur souvenir est bien rangé, avec les pacotilles qui s’y rattachent. Peut-être pour mes vieux jours, s’ils sont environnés d’intouchables.

*

Aimer quelqu’un : dévorer des yeux sa vie me console de la mienne. M’observer me dégoûtait : le contempler n’est que douloureux, et me nettoie de moi.

*

Si on n’aimait qu’avec lucidité, chaque homme naîtrait, vivrait et mourrait seul.


AMBITION


N’imiter que l’inimitable.


ANIMAL


L’idéaliste délègue ses animalités à des hommes qu’il abaisse. Il mange des bêtes que des brutes ont tuées. Il inflige aux putains les vices que sa morale et sa femme réprouvent. Il livre ses vaincus, ses enfants, à des fonctionnaires punisseurs. Il jette ses ordures à des humbles qui les ramassent. Il confie son linge souillé, ses cheveux poisseux, ses ongles noirs, sa peau fétide, ses dents pourries, ses organes délabrés, ses glandes atones, ses muscles morts, à cent esclaves décrasseurs, vidangeurs, médecins. D’autres lui versent et lui cuisent de quoi apaiser sa faim et son ivrognerie.

Libéré des corvées de la chair, notre humaniste veut des anges et des messes, des parfums spirituels, des dignités, des médailles, des croix, des arts célestes. Il fronce le nez avec dégoût s’il entend un mot cru, s’il est agressé de sciences, s’il lit une œuvre réaliste. Ce matérialisme l’indigne : il a une âme, lui.

*

Nombre énorme des animaux de compagnie qu’ont les Français. On fait l’éloge de nos bons cœurs.

Foutaise. Les Français ont des chiens parce qu’ils n’aiment même pas les chiens.


ARGENT


J’ai une terrible tendance à demander de l’argent à quiconque me dit du bien de moi.

*

De vieux apologues illustrent que, dans le malheur – la maladie, le mariage, mais surtout la pauvreté – nos amis nous délaissent. (Ces auteurs, paraît-il, savaient choisir leurs relations.)

Mais, dans la prospérité, qui vais-je oublier ? Quelle main tendue me rend soudain avare ? L’argent révèle qui nous étions avant d’en posséder : c’est pourquoi on a tort d’accuser le mauvais cœur des riches. Moi, je n’ai pas les moyens de caresser mes vices : les enrichis ont les moyens de m’infliger les leurs.


ARISTOCRATE


Sot maintien, étroite vulgarité, grimaçante platitude de nos aristocrates, jolis comme des hérons croisés de truies. Le magazine à leurs talons est écrit pour les petits retraités pudibonds et les dames pipi d’église – ô prince, voici ton peuple !


ART


L’art forme l’œil et l’oreille avec lesquels nous percevons cette réalité crue d’où nous disons pourtant l’art détaché. Un homme sans culture visuelle ne voit rien.


ASSOUVIR


Il est faux qu’on lutte contre la férocité de l’homme quand, à la manière des prêtres et des polices, on assouvit la sienne dans cette lutte – qui a toujours des cruautés pour moyens et des hommes pour victimes.


AU-DELÀ


Le paradis des chrétiens me serait un enfer. Si leur insupportable dieu existe, il me condamnera donc à rester près de lui.


AUTEURS


Ne lire que rarement les livres de mes confrères. Un charcutier ne se nourrit pas d’andouilles.


AUTORITÉ


L’autorité parentale, c’est l’absolutisme de la force physique et de l’argent. Les mineurs n’aiment pas l’avouer : et les parents n’ont qu’affection et devoir à la bouche, sans jamais une allusion à leur portefeuille, à leurs poings.


AVANCE


Si tu es en avance sur ton temps, demain enfin les imbéciles t’aimeront.


AVOIR


Acquérir m’excite comme un vol. Posséder m’inquiète : tout est lourd. Les biens qui m’attachent sont dignes d’un nid de pie : un lit, des fariboles – photos, écritures, sons de voix.


AVORTEMENT


Les prêtres ne font pas d’enfants : ils vous ordonnent d’en faire pour eux. Car la pilule et l’avortement légal ont vidé les séminaires. Autrefois, dans les familles nombreuses, on avait toujours un affamé, un estropié ou un crétin : les prêtres l’emportaient, l’Église prospérait. À présent, les gens n’ont plus assez d’enfants pour en jeter aux corbeaux, et l’Église se meurt.


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