Abécédaire malveillant : V

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V

VANTARDS


À la longue, l’intelligence rend malheureux, chagrin, solitaire et pratiquement idiot. Qui se vanterait d’une telle infirmité ? – Ceux qui n’en sont pas atteints, bien sûr.


VENIN


Venimeux ? Pas plus qu’un naturaliste qui décrit les scorpions : le venin est dans leur queue, il n’est pas dans sa plume.


VENITE POPULI


Dans notre économie, le bon travail d’écrivain est un archaïsme dont les jours sont comptés. Comme ceux de la Littérature même – déjà un fameux désert. La relève des grands anciens ne se fait pas, les petits auteurs agréables se sont raréfiés, les simulateurs règnent.

Car ce métier extrême a trois vices inactuels : il n’est pas rémunéré ; il est esclave ; et le talent y est puni – c’est-à-dire presque incompatible avec le succès, voire avec la simple survie physique du travailleur.

Au XXe siècle, un homme bien doué a de fabuleux territoires où faire valoir honnêtement ses aptitudes : techniques, médecine, informatique, universités, arts sonores et visuels, communication, sciences, sciences et sciences. Là, le jeune mérite est aimé, dépisté, chatouillé, accueilli sans délai, évalué à son prix, on l’entoure de maîtres presque savants, de jurys presque intègres, de patrons presque bridés, on l’arrose d’un fleuve de capitaux publics et privés. Là, un bon cerveau trouve ce qu’il lui faut d’encouragement, de probité, d’espoir, d’approbation sociale et de partage.

Renoncez à tout cela si vous entrez en nos Vieilles-Lettres. Ici on récompense la fraude, la paresse, l’idiotie, la laideur, les cuistres, les serviles, l’incompétence et la sénilité. Ici on torture le talent, le courage, l’invention, le savoir : ici, tout n’est que crime contre l’esprit. Rien d’autre à respecter, à adorer, que ce visage – suant, taré, cupide, un œil de porc sournois, un rire crachant la merde – que fait baiser le diable par les nuits de sabbat : c’est son cul, aujourd’hui dieu du livre. Qui séduira-t-il ?

Attirés par le mythe littéraire, mille jeunes gens prometteurs tâtent de l’écriture : alors ils voient de tout près notre enfer. Nez roussi, âme souillée, humiliés, incrédules, ils changent précipitamment de chemin et rejoignent le siècle, là-haut, à la lumière : et leur nom disparaît à jamais des chiourmes de l’édition.

Comme autrefois aux bancs de nage, ne tomberont dans cette nuit misérable que des ratés, des condamnés, des mercenaires, des dilettantes, des exclus et des bons à rien : venez, soyez des nôtres !


VERTU


Rien n’est pire que si les vertus d’un saint homme lui montent au cerveau et le font pontifier. Est-ce pour cela qu’on a crucifié tête en bas l’apôtre Pierre ?

*

Le vice corrige mieux que la vertu. Subissez un vicieux, vous prenez son vice en horreur. Subissez un vertueux, c’est la vertu tout entière que vous haïrez bientôt.

*

« Quand un homme n’est pas vertueux, je lui dis qu’il est vertueux : et il devient vertueux. » Lao Tseu.

Oui, oui, Chinois : mais envers toi seulement.

J’ai pratiqué ta recette sur des gens, des gens et des chiens – qui, du coup, ne me mordaient plus : ils s’en prenaient au voisin. Vieil égoïste, va !

*

Je n’aperçois bien que les mensonges à moi-même que j’ai fatigués et les vices que je n’épuiserai pas.

*

Peut-être l’homme est mauvais parce que, la vie durant, il attend de mourir : et meurt mille fois dans la mort des autres et des choses.

Car tout animal conscient d’être en danger de mort devient fou. Fou peureux, fou rusé, fou méchant, fou fuyant, fou servile, fou furieux, fou haineux, fou tortillard, fou assassin.


VIEILLESSE


Je me demande si les hommes qui vivent le plus vieux – mais vieux au-delà de la vieillesse même – ne sont pas ceux qui ne comprennent rien, n’aiment personne, et n’ont jamais vécu.

Sottes veuves increvables. Tortues bicentenaires.

*

Si je perds un peu mes cheveux, il me pousse plein de poils aux oreilles et au nez. Trois bulbes timides qui attendaient leur printemps.

J’arrache ces poils. Un jour, je me les ferai greffer sur le caillou. Foin de la calvitie : ce toupet vient de mes narines, et ces bouclettes blondes ont fleuri mes conduits auditifs.

*

Vieux garçons, vieilles filles passent pour des pestes. C’est seulement parce qu’ils ne peuvent pas, eux, cracher leurs virus sur un conjoint, des enfants, des gendres et des brus.

Nous devons cultiver nos haines dehors, et ça se sait : les grand-mères abandonnées nous rejoignent tout alléchées, langue déjà pendue.

*

Vieillissement des artistes, des auteurs, des chercheurs, qui sombrent dans l’académisme, le mandarinat : et condamnent désormais l’innovation, qu’ils baptisent errement.

Créateurs à trente ans, avorteurs à soixante. On met des fils au monde, puis on tue leurs enfants.


VIN


Depuis que l’homme écrit, il conte la détresse d’être homme, la cruauté du monde, la fausseté de tout : mais il célèbre la vigne amère et son fleuve d’oubli.

Une religion qui interdit le vin entend donc maintenir ses fidèles dans la douleur morale, afin d’être leur unique consolation.

Interdit judicieux : soulagé du mal de vivre, un homme jette Dieu au caniveau comme un vieux flacon vide. Le vin n’est pas l’ami des prêtres, il les noiera jusqu’au dernier.


VIRILITÉ


Les garçons pauvres des banlieues sont humiliés, sont offensés.

La classe dominante, par ses chiennes nazies quand ils sont enfants, par ses flics et ses prisons plus tard, leur fait ouvertement la guerre. Par ses télés, ses radios, ses pubs, ses chansons et ses films, elle les conditionne à se venger en se livrant à la violence : mais seulement entre eux et contre eux-mêmes. Bagarres du samedi, exploits désespérés à moto, en voiture. Il faut être viril.

Ces jeunes hommes se tuent. Sur les routes, on récupère les corps, vigoureux et beaux. On greffe leurs cœurs de vingt ans aux vieillards de la classe dominante.

Les banlieues prolétaires sont des fermes d’organes au service de la bourgeoisie.


VISION


Regarder scrupuleusement vous donne un air faux.

*

Au royaume des aveugles, on étrangle les borgnes : ils ont un œil en trop.


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