Abécédaire malveillant : N

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N

NAINS


L’homme affiche une personnalité pour masquer sa paresseuse incohérence : souvent le plus faible incident le disloque, et il apparaît vil, informe, fait de sales morceaux empilés au hasard. Tels ces géants de carnaval qui, sous une tête de carton grotesque, une longue robe de toile, cachent trois ou quatre nabots perchés l’un sur l’autre, qui s’écroulent en désordre au premier ébranlement.


NARCISSE


L’autosatisfaction de cet intellectuel fait peine à voir : il est purulent de vanité et tout cadavérique d’amour de soi.


NATURELS


Les plantes sont laborieuses, opiniâtres, torturées, absolument sans douceur et sans repos. Des reptiles enragés. Mais leur lenteur nous trompe. Si on accélère l’image de leur vie, on voit des monstres – les hommes verts dont, jadis, on peuplait l’inquiétante planète Mars. Ils habitent la nôtre, sagement, hypocritement rangés dans nos jardins.


NATURISME


D’inconcevables garçons ont tout juste de quoi pisser debout sans mouiller leurs baskets. Ils ne semblent pas nus.

Je soupçonne que, jadis, quelques jolis vertueux, pudiquement vêtus, ne refusèrent mes bonnes manières que pour garder cet embarrassant secret. Ils avaient tort. On a des compassions, des attendrissements : et l’amour fait voir grand contre l’évidence même.


NOMS


Rouerie de ceux qui disent : « Appelons un chat un chat ! »

Ils présentent cela comme un petit effort d’honnêteté, une retouche verbale qui va presque de soi.

Mais c’est une déclaration de guerre. Car chaque chose, chaque homme, chaque action prospère sous un faux nom (par exemple, cette franchise assassine se prétend simple droiture). Et appeler les choses par le nom qu’elles méritent, c’est renverser la société.


NORMAL


Les dames pipi s’évaporent, mais les motocrottes se répandent et avec elles monsieur Caca, le conducteur.

Ce monsieur Caca, qui traque les étrons de chien sous les pieds des passants, est un chef-d’œuvre de civisme. Quel zèle ! Quelle conscience sourcilleuse ! Quelle vigilance inlassable ! Il ne pense que crottes et crottes tout au long du jour : puis, sa moto remisée, brusquement il réussit à faire le vide. Il ouvre la bouche, les narines, il rentre chez lui. Il mange, il s’accouple, il va aux toilettes, il raconte son travail. Sa femme ou son amant l’étreint, le respire. La nuit, rêve-t-il de trottoirs constellés à l’infini du ciel ? – Et chaque matin fidèle au poste, l’œil perçant, l’aspirateur glouton et le bras infaillible.

Son réglage mental force l’admiration. Les sociétés d’institutrices, de psychiatres et de parents d’élèves devraient lui dresser une statue (à l’abri des pigeons). Car il est le seul homme de France qui incarne leur idéal. Sans doute il fut un écolier modèle. L’Éducation nationale nous veut équilibrés, normaux, adaptés surtout, très adaptés : sa vaste ambition, c’est une France où cent millions de monsieur Caca obéiront aux chiens.


NOUVEAUTÉ


Il y a de nouveaux livres chaque jour, comme il y a de nouvelles fraudes, de nouvelles rides, de nouveaux deuils. Mais je lis un vieux livre dans son vieux français, par exemple ce roman du XIIe siècle : et il est frais comme le souffle des prés. Aucun livre récent ne me donne un plaisir aussi vif. Le moine inconnu qui écrivit la Quête du Saint Graal m’est plus ami que ces grands hommes pour années creuses qu’on nous lance au derrière.

*

Tout a été dit : mais de ce qui se dit sans déplaire, sans chagriner, sans retour de bâton. Pauvre est la diversité des mensonges qui amusent ou qui attendrissent. D’antan à aujourd’hui, on se les ressert faute de mieux.

Sinon, chaque époque a ses salauds inédits qui la ravagent : notre imagination de l’horreur est inépuisable, et le temps présent donne aux crimes contre l’homme une couleur bien à lui. Il y a de quoi peindre, de quoi être nouveau, tristement, dangereusement, jusqu’à la nausée.


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