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Cette étude de médecine légale intitulée Attentat aux mœurs, condamnation, appel, expertise médicale et prononcé du jugement, par le docteur Alexandre Brierre de Boismont, a paru en mars 1843 à Paris dans la revue Annales médico-psychologiques.

Texte intégral

Ce texte historique est protégé contre les modifications.




MÉDECINE LÉGALE.


___




ATTENTAT AUX MŒURS, CONDAMNATION, APPEL,
EXPERTISE MÉDICALE ET PRONONCÉ
DU JUGEMENT.



Il serait curieux et utile tout à la fois de rechercher les causes qui rendent certains crimes plus fréquents. Doit-on les considérer comme une conséquence de la loi de balancement qui remplace un délit par un autre délit ? Faut-il les rattacher à la prédominance d’idées, d’opinions, de doctrines nouvelles, ou à l’affaiblissement des principes régulateurs ? L’état constitutif des sociétés n’a-t-il pas la plus grande influence sur les actions bonnes et mauvaises des hommes ? L’argument, sans cesse reproduit, d’une statistique mieux faite en est-il la véritable explication ? Questions pleines d’intérêt, mais qui exigeraient des développements que nous ne pouvons leur donner maintenant.

Quoi qu’il en soit, il est un fait qui, depuis plusieurs années, a dû fixer l’attention des moralistes et des criminalistes : nous voulons parler des attentats à la pudeur. Ce genre de crime s’est accru dans de grandes proportions. Point de session de la cour d’assises de Paris où l’on ne lise sur le rôle un ou deux viols ou outrages aux mœurs. Le Bulletin des tribunaux rapportait, il y a quelque temps, que dans le seul arrondissement des Andelys, petite sous-préfecture de Normandie, on avait compté dix-sept poursuites pour attentats aux mœurs dans le cours de l’année 1841. Le plus ordinairement, ce crime est commis sur de jeunes filles mineures ; mais il n’est pas rare que des instituteurs s’en rendent coupables envers les jeunes garçons qui leur sont confiés.

C’est pour une action de cette nature que nous avons été nommé expert, conjointement avec MM. Ferrus et Foville.


EXPOSONS LES FAITS.


Au commencement de janvier 1842, Ferré (Roch-François), âgé de trente-deux ans, vint s’établir dans la commune de Dampierre-sous-Brou (Eure-et-Loir), en qualité d’instituteur primaire. Dès la fin d’avril, des enfants le virent commettre un outrage public à la pudeur sur des jeunes gens qui fréquentaient son école. Les innocentes victimes de sa lubricité furent entendues par le juge d’instruction de Châteaudun, et leurs révélations furent pleinement confirmées par les aveux mêmes du prévenu.

Cependant Ferré, dans le cours de son interrogatoire, prétendit justifier les actes odieux dont il se reconnaissait l’auteur. « Je ne comprends pas (disait-il devant le juge d’instruction) que vous inculpiez des faits qui me semblent tout naturels. La raison peut approuver ce que la philosophie et la morale condamnent. Je me suis, il est vrai, caché quelquefois pour commettre ces actes que vous me reprochez ; mais c’était dans la crainte qu’on interprétât mal ma conduite. Si je n’avais pas eu ces communications avec mes élèves, je me serais éloigné d’eux et n’aurais pas pu remplir avec le même zèle mes fonctions d’instituteur. »

Ce scandaleux système de défense révélait-il dans Ferré la corruption du cœur ou la perversion de l’intelligence ? M. Meunier, médecin distingué de Châteaudun, commis à l’effet de visiter le prévenu et d’examiner son état mental, déclara que la constitution physique de Ferré annonçait la passion violente révélée par les actes auxquels il s’était livré, et que le cynisme de ses paroles témoignait d’une démoralisation profonde, mais non de l’idiotisme ou de la monomanie.

Le tribunal correctionnel de Châteaudun adopta les conclusions du rapport médical ; et, par jugement du 23 juillet, il condamna Ferré en cinq années d’emprisonnement, comme coupable : 1° d’outrage public à la pudeur ; 2° d’excitation habituelle à la débauche ou à la corruption de la jeunesse qui lui était confiée.

Ferré interjeta appel de ce jugement. Sa cause fut portée devant les juges de Chartres. Justement frappés du cynisme des réponses de Ferré, ces magistrats demandèrent une expertise médicale ; elle fut faite par MM. les docteurs Lelong, Greslou, Maunoury, qui, dans un rapport très bien fait, n’hésitèrent pas à prononcer que l’accusé était atteint d’aliénation mentale. Cette consultation se trouvant en désaccord avec celle de l’honorable médecin de Châteaudun, le tribunal de Chartres rendit un jugement par suite duquel Ferré fut conduit à la Conciergerie de Paris, pour être examiné par les médecins sus-nommés. Nous allons faire connaître le résultat de nos recherches.


RAPPORT SUR L’ÉTAT MENTAL DU NOMMÉ ROCH FERRÉ.


Nous, soussignés : Ferrus, inspecteur-général des établissements d’aliénés ; Foville, médecin en chef de la maison royale de Charenton ; Brierre de Boismont, directeur d’un établissement privé pour les aliénés, docteurs en médecine de la Faculté de Paris, commis par jugement du tribunal civil de Chartres, en date du 29 novembre 1842, à l’effet de constater l’état mental du nommé Roch Ferré, détenu en ce moment à la Conciergerie pour attentat à la pudeur ; après avoir prêté serment devant M. Salmon, juge d’instruction à Paris, nous sommes transportés à la Conciergerie, pour présider à l’interrogatoire dudit Ferré.

Les gardiens de la prison, que nous avons d’abord interrogés, nous ont déclaré que cet accusé, placé dans l’infirmerie pour cause de fatigue, en avait été retiré, parce qu’il se livrait à des manœuvres solitaires, et provoquait les autres à la débauche. Suivant lui, cette conduite était naturelle, et n’avait rien de répréhensible. C’est dans les mêmes termes qu’il parlait des actes pour lesquels il avait subi une première condamnation. L’impression qu’a produite cet homme a été celle d’un cynique ; mais ses facultés intellectuelles n’ont été l’objet d’aucune remarque.

Ces renseignements obtenus, nous nous sommes fait représenter le nommé Ferré. Aux diverses questions sur sa santé, son pays, sa profession, il a répondu d’une manière convenable ; mais quand nous avons commencé à lui demander s’il connaissait l’importance des devoirs d’un instituteur, il s’est exprimé moins nettement, établissant des maximes, des théories quelquefois si obscures, qu’il nous était impossible d’y rien comprendre. Ces prétendues explications nous ont paru être plutôt la conséquence naturelle d’un esprit borné, faux, plein de soi-même, que le plan d’un individu qui cherche à tromper.

Mais il est un sujet sur lequel il a été beaucoup plus clair : nous voulons parler du motif de son arrestation. Sur ce point, il n’a jamais varié dans ses allégations. L’onanisme, selon lui, est une chose naturelle ; en initiant à cette pratique les enfants qu’il était chargé d’instruire, il gagnait leur confiance, se les rendait plus agréables, leur épargnait des grossièretés pour l’avenir, et agissait dans leur intérêt. Voici, au reste, quelles ont été ses réponses aux principales questions qui lui ont été adressées :

« — Pourriez-vous nous dire pourquoi vous avez été arrêté ? — Pour des attentats à la pudeur ; mais ceux qui m’ont fait arrêter et condamner sont bien plus méchants et bien plus coupables que moi. Ce que j’ai fait n’est qu’une bagatelle et ne valait pas la peine qu’on criât tant.

» — De quelle nature étaient les actes qui vous sont reprochés ? — Je faisais des attouchements à la ceinture des enfants. — Vous en imposez ; cela ne vous aurait pas fait condamner. — Eh bien ! je mettais la main sur leur nature, et je me livrais à des attouchements.

» — Faites-nous connaître l’endroit où ces actes avaient lieu ? — À la rivière, quand les enfants allaient se baigner. » Pressé de questions, il est convenu qu’il s’était plusieurs fois livré à ces manœuvres avec un seul enfant dans sa chambre, la porte fermée. Sur l’observation qui lui a été faite qu’en s’enfermant ainsi il comprenait qu’il agissait mal, il a répondu avec indifférence :— « Je ne me cachais pas ; car la porte est souvent restée ouverte. Il n’y avait d’ailleurs rien de prémédité ; cela n’arrivait guère qu’aux heures de récréation, lorsque les enfants venaient là par hasard. »

On a attaché quelque importance à cet argument ; nous ne saurions adopter cette manière de voir. Nos établissements sont pleins d’aliénés qui cachent, volent, et ont la plus grande tendance à s’abandonner à de mauvais penchants. La vérité est qu’ils prennent si bien leurs mesures que très souvent on ne peut retrouver les objets qu’ils ont dérobés, et que, malgré la surveillance la plus active, ils parviennent à satisfaire leurs inclinations vicieuses ; l’astuce, la ruse, la finesse, l’adresse, sont très communes parmi eux.

De ce premier interrogatoire nous avons été portés à penser que Ferré était un homme d’une intelligence bornée, plein d’orgueil, prédisposé à la folie par la tournure de son esprit et les instincts qui le dominent, que l’instruction avait encore contribué à égarer, qui avait des notions très fausses sur plusieurs idées fondamentales, mais qui, à l’époque où nous l’examinions, comprenait les questions qui lui étaient adressées, lorsqu’elles n’avaient pas rapport au sujet pour lequel il était arrêté.

L’examen des pièces de la procédure pouvait éclairer nos doutes sur l’intégrité des facultés intellectuelles de Ferré ; nous les avons examinées avec le plus grand soin, et nous devons déclarer qu’elles ont dissipé les incertitudes que nous pouvions avoir encore sur la cause de la conduite de cet accusé.

Si on parcourt les pièces de la procédure, voici ce qu’on lit dans un des interrogatoires de Ferré devant le procureur du roi de Chartres :

« — J’avais fait des heureux, c’était ce que je voulais. En commettant ces fautes légères, j’enlevais aux enfants un certain poids de conscience ; ces fautes, c’était l’amour raisonné, l’amour raisonnable qui les faisait commettre. Je demande que cette conduite soit exposée aux yeux des tuteurs et des vrais amis d’un pays que je dirais presqu’en démence, s’ils n’avaient pris le soin de faire employer ces expressions dans la prétendue défense qu’ils proposent. »

Ailleurs il dit : « Tout ce que j’ai fait a été dans l’intérêt actuel et futur de mes élèves. » Il cite pour justifier sa conduite l’exemple de Socrate et d’Alcibiade. Dans un autre endroit, il s’exprime ainsi : « Les communications que j’ai eues avec mes élèves ont été amenées par l’amour ; mais cet amour s’est manifesté d’une manière si réciproque, si tendre et si délicate, qu’il n’y a eu entre nous ni grossièretés, ni offenses, ni brutalités ; c’est, on pourrait dire, un phénomène de raison, de tendresse, occasionné par un amour réciproque du pays et de l’honneur. » Il dit, dans un autre endroit, que son système d’éducation aura pour résultat de civiliser les gens de campagne.

Ferré se croit l’objet de la haine et de l’injustice de ses compatriotes, qui ne comprennent pas son mérite, les services qu’il a rendus au pays. Il va jusqu’à dire qu’on devrait le regarder comme un bienfaiteur de l’humanité.

Le moyen de défense adopté par Ferré devait naturellement soulever la question d’aliénation mentale ; les recherches auxquelles elle a donné lieu nous ont paru d’une grande importance. Ainsi le prêtre économe du séminaire de Chartres déclare que, il y a douze ans, Ferré lui a soutenu qu’il voyait des démons dans l’air ; M. le curé de Gaillardon affirme que Ferré lui a dit que Sa Majesté Louis-Philippe, qu’il ne connaît pas, pourvoirait à ses besoins. M. le préfet de Maine-et-Loire écrit que Ferré s’est fait remarquer à l’école primaire d’Angers par des singularités qui dégénéraient en une espèce d’aliénation mentale.

M. le procureur du roi de Belley, en faisant connaître le jugement qui a condamné Ferré à trois mois de prison, rapporte que cette peine lui a été infligée pour avoir frappé dans l’église le maire qui ne lui avait pas assigné une place convenable à la procession. M. le procureur du roi attribue cet acte à une sorte d’exaltation mentale due à son excessive continence. Pendant tout le temps que Ferré a été instituteur à Belley, ses mœurs ont été pures.

La période de la vie militaire de Ferré n’est pas moins digne d’attention. À cette époque, il était animé de sentiments religieux très exaltés : c’est ce que ses lettres mettent hors de doute ; très souvent même elles ont un cachet de mysticité prononcé. À Lyon, il est conduit à l’hôpital militaire pour une maladie qu’il attribue aux nerfs et au sang. Là, d’après son récit, il lui arrive un événement singulier : il est transporté dans la campagne au milieu d’un nuage, répandant une odeur sulfureuse ; puis, après une longue marche, on le dépose dans une fosse parmi des décorations, des épaulettes formées de petites bêtes : le lendemain, il se retrouve à l’hôpital.

À Paris, il a fait, il y a quelques années, une rencontre extraordinaire. Se promenant sur la place Louis XV, il vit venir à lui une voiture traînée par six chevaux. Le roi, qui était dedans, cria à ses aides-de-camp : Faites écraser cet homme par mes chevaux ; pourquoi n’est-il pas avec les autres ? Ferré se jeta devant les coursiers et dit : Sire, ce que vous faites là n’est pas bien ; si j’ai mal agi, faites-moi juger par mes chefs. Il n’a jamais vu le roi ; mais il n’y a que lui qui ait un semblable attelage et qui soit entouré d’aides-de-camp et de généraux.

Les médecins de Chartres, MM. Lelong, Greslou, Maunoury, qui ont consigné ces deux faits dans leur rapport, ont dit à Ferré que ce qu’il racontait était l’effet d’un songe, qu’il avait été abusé par des rêves ; mais il a répondu qu’il avait bien vu tout cela, qu’il était éveillé, et que ces choses s’étaient passées au milieu du jour.

On retrouve dans ces deux faits tous les caractères des hallucinations de la vue, de l’ouïe et de l’odorat, si communs chez les aliénés et dont les recueils sont remplis : aussi, les médecins de Chartres, en rapportant ces visions dans leur interrogatoire, n’ont-ils pas hésité à considérer le prévenu comme aliéné. Le médecin de Châteaudun, qui a été d’un avis contraire, a cependant mentionné dans son rapport cette phrase de l’accusé : « L’antiquité nous recommande cette pratique (l’onanisme), ainsi que les lois de Moïse, pourvu qu’on ait le soin de ne pas oublier les ablutions indiquées par ces mêmes lois avant la fin de la journée, sous peine d’être réputé impur. »

Mais il y a une pièce d’une haute importance qui n’a point figuré au procès parce qu’on n’avait pu se la procurer : c’est le congé de réforme. Ce congé, à la date du 26 novembre 1836, signé par MM. Léonard, médecin, et Trustour, chirurgien principal, porte expressément que le nommé Ferré est réformé pour monomanie religieuse et aliénation. La valeur de cette pièce ne saurait être contestée ; l’habileté des chirurgiens militaires à déjouer les ruses des conscrits est suffisamment établie.

L’examen attentif de ces pièces, la moralité des personnes citées, ne nous ont point permis de douter que Ferré n’ait eu à diverses reprises des hallucinations, et qu’à l’époque de son congé il n’ait été obsédé par des idées religieuses mystiques. Dès lors, il devient naturel de penser que la perversion actuelle de ses facultés morales n’est qu’une de ces transformations auxquelles l’aliénation est si sujette, et dont nous avons chaque jour des exemples sous les yeux.

Dans la seconde visite que nous avons faite à l’accusé, ses raisonnements ont été les mêmes. Il a toujours persisté à trouver naturel, convenable et charitable, de pratiquer des attouchements sur les élèves : c’est un devoir pour les instituteurs. Il croit que l’éducation n’est pas bien dirigée et que les choses se passent mal, parce que les hommes ont des sentiments trop vifs ou trop bas ; quant à lui, il s’est placé au milieu et juge mieux des choses.

Aux objections que nous lui avons faites sur l’absurdité de ses réponses, il s’est contenté de dire : Vous ne pensez pas comme moi ; vous jugez d’une manière différente : voilà l’erreur.

Nous l’avons ensuite interrogé sur les visions qu’il avait eues autrefois. Sa nouvelle narration a été semblable à celle qu’il avait faite aux médecins de Chartres ; nous ajouterons même qu’elle a été plus explicite et plus convaincante. Il a d’abord cru que c’étaient des imaginations ; mais il est maintenant persuadé de leur vérité. Quant aux motifs de son congé, il pense qu’il y a sur le papier : « Renvoyé pour monomanie religieuse. » Mais il ne se rappelle pas ce qui a eu lieu alors, et il en parle d’une manière très vague. On a voulu, ajoute-t-il, me faire passer pour fou au procès : il n’en est rien. Tout ce que j’ai fait est naturel, et je suis d’avis qu’on doit se conduire ainsi dans l’éducation des enfants.

Si l’on résume maintenant les faits de ce rapport, on voit :

1° Que dans l’espace de plusieurs années Ferré tient des discours, se livre à des actes qui le font considérer comme aliéné par les personnes respectables avec lesquelles il se trouve en rapport ;

2° Qu’il a des hallucinations de l’ouïe, de la vue, de l’odorat, phénomènes qu’il est difficile d’inventer, à moins d’avoir étudié les livres de médecine, et qu’il est encore plus difficile de simuler ;

3° Que sa conduite, en 1836, est d’une telle nature, qu’elle le fait réformer comme fou religieux par ses chefs et par les chirurgiens militaires ;

4° Que, pendant le temps qu’il exerce à Belley les fonctions d’instituteur, il est cité comme ayant des mœurs très pures ;

5° Que Ferré, loin de chercher à simuler la folie, s’élève contre ce moyen de défense, et dit même qu’on a eu tort de s’en servir, caractère commun chez les fous, qui ne se croient presque jamais privés de raison ;

6° Que le reproche fait à Ferré d’avoir compris la perversité de ses actions, puisqu’il est convenu qu’il se cachait, n’a pas la valeur qu’on y attache, parce qu’il est constant que les aliénés, voire même les imbéciles, combinent leurs moyens, prennent leurs précautions pour dérober, faire un mauvais coup, et même assassiner : témoin le dément qui, dans un établissement de la capitale, cacha pendant quinze jours et aiguisa un morceau de fer avec lequel il tua la fille du propriétaire, s’écriant après son action : On me fera ce qu’on voudra, je suis vengé ;

7° Que les réponses faites par Ferré aux questions qui lui sont adressées sur son attentat, sont celles d’un homme dont l’esprit est dérangé et non l’œuvre d’un coupable qui cherche à tromper ceux qui l’observent.

De ces considérations, il résulte pour nous la conviction que Ferré, dans l’accomplissement des actes qui lui sont reprochés, n’avait point son libre arbitre, qu’il a agi sous l’influence d’une perversion de ses facultés, perversion qui remonte à une époque déjà éloignée et qui existe encore aujourd’hui.

Fait et délibéré à Paris le 23 janvier 1843.


Signé : FERRUS, FOVILLE,
                       BRIERRE DE BOISMONT.



Extrait du Bulletin des Tribunaux, du 24 février 1843.


Le 21 février dernier, Ferré a comparu devant le tribunal d’appel de Chartres. C’est un homme, dit le correspondant de Paris, doué d’une grande vigueur physique. Sa figure est celle d’un satyre ; il s’exprime avec décence et en termes choisis ; il développe fort longuement, sur les devoirs de l’instituteur, des théories à peu près inintelligibles. Quant aux faits qui lui sont reprochés, il s’en reconnaît l’auteur.

Parmi les dépositions nouvelles, nous citerons celle de M. le curé d’Unverre. Le dimanche 27 mars 1832, dit cet ecclésiastique, Ferré vint me faire une visite, et il me fut facile de reconnaître un entier dérangement de tête dans ses propos ; car il m’assura, entre autres choses, que trois fois différentes il avait traversé les enfers et savait fort bien ce qu’il en était ; qu’il avait voulu arrêter la voiture de Louis-Philippe ; qu’on lui offrait une place d’honneur dans la maison du roi de Sardaigne, ou un grade d’officier supérieur dans l’armée de ce prince ; que, s’il avait sous ses ordres 40,000 hommes, il marcherait contre le roi des Français, qui n’avait pas répondu à une lettre qu’il lui avait envoyée, et que j’ai vue ; qu’il était en correspondance avec le duc de Bordeaux, et mille autres propos qu’il accompagnait de contorsions tellement étranges que la peur me prit, et je le laissai. En sortant il dit qu’il partait pour Chartres, où il donnerait le lendemain une roulée des plus belles à M. le préfet…

Les faits exposés ci-dessus, l’avis unanime des médecins de Chartres et de Paris, décident M. Lafaulotte, substitut du procureur du roi, à abandonner la prévention. Mais il insiste vivement pour que le prévenu, bien qu’acquitté, soit néanmoins condamné aux frais de la procédure, conformément à plusieurs arrêtés de la Cour de cassation, dont il fait valoir les motifs avec son talent accoutumé.

Le tribunal, à l’audience du 25 février, prononça un jugement d’appel ;

1° Il reconnaît que les actes odieux commis par Ferré sur ses élèves ne constituent pas le délit d’excitation habituelle à la corruption de la jeunesse ; l’art. 334 du Code pénal ayant seulement en vue les proxénètes et non ceux qui corrompent dans l’intérêt de leurs propres passions ; en conséquence, il infirme sur ce premier chef le jugement du tribunal de Châteaudun ;

2° Il déclare constant l’outrage public à la pudeur à raison duquel Ferré a été condamné en premier ressort ; mais vu l’état de folie du prévenu au moment où il a commis cet outrage, il infirme également sur ce dernier chef et prononce l’acquittement ;

Enfin, 3° il fait application des art. 64 du Code pénal, 194 et 168 du Code d’instruction criminelle, combinés, et dit qu’il n’y a lieu de condamner Ferré aux dépens.



Voir aussi

Source

  • « Attentat aux mœurs, condamnation, appel, expertise médicale et prononcé du jugement » / [Alexandre Brierre de Boismont], in Annales médico-psychologiques : journal de l’anatomie, de la physiologie et de la pathologie du système nerveux, destiné particulièrement à recueillir tous les documents relatifs à la science des rapports du physique et du moral, à la pathologie mentale, à la médecine légale des aliénés, et à la clinique des névroses, t. Ier, p. 289-299. – Paris : Fortin, Masson et Cie, 1843 (Paris : Impr. de Bourgogne et Martinet). – XXVIII-520 p.

Articles connexes

Lien externe

  • L’article des Annales médico-psychologiques est disponible en ligne sur le site Biu Santé : Médecine légale.