L'affaire Théophile Jeanson

De BoyWiki
Révision datée du 13 octobre 2021 à 09:24 par Skanda (discussion | contributions) (Création de l'Affaire Théophile Jeanson)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

L’affaire Théophile Jeanson est une affaire criminelle survenue en 1868 dans le Petit Séminaire de Pont-à-Mousson et dont le retentissement initial a tenu aux sentiments amoureux passionnés du meutrier, un jeune séminariste de 19 ans, envers sa victime, un garçon de 16 ans et demi.

Le lieu du crime

Logé dans un cadre prestigieux (l’abbaye des Prémontés, aujourd’hui musée abritant une hôtellerie), le Petit Séminaire de Pont-à-Mousson était un établissement d’enseignement religieux réputé dans toute la Lorraine. Son supérieur, l’abbé Jules Gombervaux (1820-1883), jouissait d’une notoriété avantageuse qui dépassait le cadre régional.

La victime : Jacques Joseph Jouatte

Né à Nomény (Meurthe-et-Moselle) le 12 septembre 1851 et fils d’un quincailler, Jacques Joseph Jouatte avait seize ans et demi au moment des faits. Au petit séminaire, des rumeurs affirmaient que ce joli garçon accordait des privautés sexuelles aux autres séminaristes au gré de ses caprices.

Le meutrier : François Théophile Jeanson

Né à Tremblecourt (Meurthe-et-Moselle) le 13 mars 1849, François Théophile Jeanson avait dix-neuf ans au moment du crime. Très intelligent, il avait bénéficié, enfant, de l’attention du curé de Tremblecourt, l’abbé Jules Éroux (1821-1871), qui se chargea de son éducation primaire. L’abbé avait cependant noté que la fièvre thyphoïde dont le jeune Théophile souffrit à huit ans, avait quelque peu altéré son intelligence et modifié sa psychologie. Classé néanmoins parmi les meilleurs élèves du Petit Séminaire, Théophile Jeanson avait la réputation d’être un original, au comportement qualifié de bizarre. Il se sentait fait pour aimer, car avant de désirer se lier à Joseph Jouatte, il éprouva une forte amitié particulière pour le jeune Anthime, 14 ans, neveu du curé Jules Éroux.

Les faits

Dans la nuit du 29 au 30 mai 1868, Théophile Jeanson alluma un incendie dans la salle d’étude du Petit Séminaire dont il souhaitait être renvoyé, puis, grisé par les flammes et la fumée, monta au dortoir où dormaient ses camarades et égorgea, à l’aide d’un rasoir, son ami Joseph Jouatte. Arrêté peu après sans résistance, il déclara avoir tué le garçon qu’il aimait pour le pas le laisser derrière lui.

Avant procès, l’expertise psychiatrique

Devant l’étrangeté des déclarations du meurtrier, le procureur impérial demanda une expertise mentale. Elle fut confiée aux aliénistes Henri Bonnet (1828-1900), directeur de l’asile d’aliénés de Maréville (près de Nancy) et à son collègue, le Dr Jules Bulard (1828-1876). Les deux experts, après avoir examiné Théophile Jeanson et l’avoir très longuement interrogé sur sa sexualité, conclurent à une totale absence de folie et donc à l’entière responsabilité de ses actes.

Le procès à Nancy

Tenu les 10 et 11 février 1869 devant la cour d’assises de Nancy où la déposition des docteurs Bonnet & Bulard joua un rôle déterminant, le procès conclut à l’entière responsabilité de Théophile Jeanson qui ne dut qu’à son jeune âge de n’être condamné qu’à vingt ans travaux forcés. Néanmoins deux infractions au Code de procédure criminelle amenèrent la cassation du jugement et le renvoi de Théophile Jeanson devant un nouveau jury d’assises, à Metz. L’avocat de Jeanson eut l’idée de requérir une sorte de contre-expertise sur l’état mental de l’accusé auprès du Dr Morel.

Intervention d’aliénistes contestataires et polémique avec le Dr Bonnet

Il se trouve que l’ancien directeur de l’asile de Maréville, le Dr Bénédict Augustin Morel (1809-1873), entendit parler de l’affaire Théophile Jeanson en Bavière, où il était intervenu au procès d’un assassin dont il contribua à sauver la tête. De retour vers Rouen où il officiait, il s’arrêta à Maréville, eut un bref entretien avec Jeanson, et se fit une mauvaise opinion de la démarche des experts. C’est en l’occurrence contre le point de vue du Dr Bonnet que Morel s’opposait, car le Dr Bulard, qui fut un de ses anciens élèves, lui sembla se comporter en suiveur dans l’expertise du cas Jeanson.

Un autre aliéniste, le Dr Delasiauve, attira l’attention de ses collègues sur les analogies frappantes entre l’affaire Jeanson et une autre affaire, survenue en 1857, celle d’un séminariste d’Aix-en-Provence qui tenta d’assassiner le jeune camarade dont il était amoureux fou, et qui fut, lui, reconnu aliéné : l’affaire Louis Raimbaud [1]

Fort de cette analogie, Morel rédigea un rapport qu’il soumit à l’appréciation de collègues de la Société médico-psychologique, ainsi qu’à celle de la Société de médecine légale qui venait d’être créée. L’intervention officielle de cette jeune Société provoqua l’indignation des magistrats qui considérèrent comme inopportune l’immixtion de la médecine dans une affaire de justice.

Le Dr Bonnet, qui se sentit visé par la contre-expertise du Dr Morel, se défendit dans un article où il explicita son point de vue sur l’acte commis par Jeanson : le séminariste avait tué le garçon qu’il aimait et qui le repoussait exactement comme un amant tue la femme qui le rejette avec mépris. La sexualité de Jeanson était donc au cœur des débats, car pour Morel, l’amour du meurtrier pour sa victime était resté chaste : il s’agissait d’une amitié particulière ardente, compliquée par la volonté de Jeanson de quitter le Petit Séminaire et d’abandonner la prêtrise.

Le second procès à Metz

La cour d’assise de Metz, en juin 1869, après trois jours d’audience qui furent une répétition des séances de la cour de Nancy, conclut à la responsabilité de Jeanson qui fut à nouveau condamné à vingt ans de travaux forcés.

Sort ultérieur de Jeanson

Enfermé au bagne de Toulon, Théophile Jeanson fut ensuite embarqué en janvier 1870 sur la frégate La Sybille à destination de la Nouvelle Calédonie. C’est au bagne récemment construit sur l’île de Nou qu’il trouva la mort, d’une péritonite, le 24 juin 1877, à l’âge de vingt-huit ans. Son corps fut jeté dans une fosse commune dont plus rien ne subsiste aujourd’hui.

Retentissements littéraires de l’affaire Jeanson ?

Il est possible que l’affaire Jeanson telle qu’elle fut relatée par les journaux de l’époque ait exercé une influence décisive sur Lautréamont au moment de la rédaction du premier Chant de Maldoror :

« Est-ce un délire de ma raison malade, est-ce un instinct secret qui ne dépend pas de mes raisonnements, pareil à celui de l’aigle déchirant sa proie, qui m’a poussé à commettre ce crime ; et pourtant, autant que ma victime, je souffrais ! Adolescent, pardonne-moi. Une fois sortis de cette vie passagère, je veux que nous soyons entrelacés pendant l’éternité ; ne former qu’un seul être, ma bouche collée à ta bouche… »


Bibliographie

• Henry Bonnet & Jules Bulard (médecins en chef de l’Asile public d’aliénés de Maréville) – Rapport médico-légal sur l’état mental du nommé Théophile-François Jeanson inculpé d’incendie et d’assassinat volontaire. Nancy : impr. de Sordoillet, 1869.

• Delasiauve – Les deux séminaristes. Journal de médecine mentale. 1869, pp. 236-281.

• B.A. Morel – Consultation médico-légale sur l’état mental de Jeanson. Annales d’Hygiène publique et de médecine légale. 1869, pp. 152-210.

• Brierre de Boismont, Guérard, Jules Falret – Rapport fait à la Société de médecine légale sur l’affaire Jeanson (Falret, rapporteur). Annales d’Hygiène publique et de médecine légale. 1869, pp. 210-236.

• Henri Bonnet : La vérité sur l’affaire Jeanson. Annales médico-psychologiques n° 03., 1870, pages : 231 à 263.

• Dr E. Dumesnil – La vérité sur l’affaire Jeanson. Quelques réflexions.

• Delasiauve : À monsieur le Dr Lunier, rédacteur en chef des Annales médico-psychologiques. Annales médico-psychologiques n° 03, 1870, pp. 526 à 529.

• Dr Morel – La vérité sur l’affaire Jeanson. Réponse au Dr Bonnet. Annales médico-psychologiques. 1870, pp. 420-263.

• Jules Falret : Les Aliénés et les asiles d’aliénés, assistance, législation et médecine légale, 1890. pp. 267-355.

• Jean-Claude Caron – Les feux de la discorde. Hachette littérature, 2006.

• Raymond Clément – Crimes étranges mais vrais. Ed du Panthéon, 2014.

• Jean-Claude Féray – Une criminelle expertise : l’affaire Jeanson. Quintes-feuilles, 2021.

  1. Dr Aubanel – « Cours d’assises des bouches du Rhône. L’affaire de Louis R… » Annales médico-psychologiques n° 05, 1859, pp. 42 à 105.