La civilisation arabe et l’amour masculin (Marc Daniel) – II

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LA CIVILISATION ARABE

ET L’AMOUR MASCULIN  (suite)




par Marc DANIEL.




II. — MŒURS ARABES D’AVANT MAHOMET

À côté de toutes les civilisations, antiques et brillantes, du Proche-Orient, de la Perse, de l’Égypte, de l’Inde, et des solides traditions culturelles de l’Afrique du Nord et de l’Espagne latinisées, il faut bien reconnaître que les tribus arabes faisaient pâle figure au temps de Mahomet.

À part quelques centres commerciaux et religieux tels que La Mecque et Médine, la péninsule d’Arabie n’était guère peuplée que de Bédouins nomades qui vivaient de transhumance, de razzias et de pillage, et dont le niveau culturel était des plus rudimentaires. Aucune grande religion, comparable aux cultes mésopotamiens et syriens, n’existait pour servir de ciment à une unité au moins morale. Les tribus, opposées les unes aux autres par des rivalités ancestrales, se pillaient réciproquement et entretenaient le pays dans un état permanent d’anarchie.

Il existait toutefois depuis une époque fort ancienne, une poésie et un folklore arabes, qui nous ont été en partie transmis par les traditions postérieures. Nous renseignent-ils sur l’homosexualité dans cette Arabie primitive ?

Il est hors de doute que la pédérastie et l’inversion sexuelle étaient connues des Arabes bien avant le Prophète mais, pour autant que nous puissions en juger, cette forme particulière d’amour n’avait pas d’expression littéraire et ne tenait donc pas, dans la conception érotique des tribus, une place de premier plan. Quant à l’inversion, loin d’être honorée comme une manifestation du sacré ainsi qu’elle l’était dans la Mésopotamie antique (et dans bien d’autres civilisations), elle était plutôt considérée comme un sujet de raillerie.

En témoignent ces dictons, que se jetaient à la face les différentes tribus, et que nous ont transmis les auteurs arabes classiques.

Je le jure, les mers et les déserts sont moins larges que le cul des Benoû Lakit ! ce sont les plus infâmes de tous les hommes qui montent à cheval, les plus vils de tous ceux qui marchent à pied (23).

Ou encore :

Si l’habitant de Kinda se glorifie, cet inverti à la chevelure bouclée, c’est d’un tissu, d’une bottine, d’un manteau ou d’une parure (24).

La tribu des Koraïchites — celle-là même à laquelle appartenait Mahomet — comptait de nombreux homosexuels passifs, si nombreux qu’ils étaient passés en proverbe (25).

À La Mecque, « le débordement s’étalait avec encore plus d’impudence que sous la tente. Tout l’y favorisait : l’affluence des étrangers, des esclaves, les fréquents déplacements de la population commerçante » (26). Au reste les allusions de Mahomet lui-même dans le Coran suffiraient à prouver que l’homosexualité était bien connue des Arabes de son temps.

Mais, nous l’avons dit, la littérature arabe anté-islamique — dans la mesure où elle nous est connue — ne fait aucune place à cette sorte d’amour. Les mou’allakât — ces « joyaux » de la poésie arabe du désert —, de même que les œuvres du grand poète archaïque Imrou’l Kaïs et de ses contemporains, ne connaissent guère que trois thèmes, où déjà s’annonce la sclérose future : évocation du campement abandonné dans le désert et de la femme qui y avait accordé ses faveurs au poète ; récits de voyages, de chasses, de guerres ; éloge et satire d’un personnage vivant ou mort : telles sont les limites de la kasîda, forme traditionnelle de la poésie arabe qui, beaucoup plus tard, suscitera les sarcasmes des poètes d’ « avant-garde » de la cour de Bagdad. L’élément érotique y est certes présent, mais uniquement hétérosexuel, et sous une forme assez stéréotypée qui favorise davantage les acrobaties prosodiques que la sincérité de l’inspiration (27).



  1. Masoûdi, Les Prairies d’or (d’après la trad. fr. de Barbier de Montault, VI, p. 144).
  2. Id., p. 145.
  3. Ahmad Al-Tîfâchî, Les Délices des cœurs, trad. René R. Khawam, p. 255.
  4. H. Lemmens, Le berceau de l’Islam : l’Arabie occidentale à la veille de l’Hégire, Paris, 1914, I, p. 283 ; voir également L. Massignon, La Passion d’Al Hosayn ibn-Mansour al-Hallâj…, Paris, 1922, II, p. 797, n° 2.
  5. Sur la poésie arabe anté-islamique, voir R. Blachère, Histoire de la littérature arabe des origines à la fin du XVe siècle, 1er et 2e fascicules, Paris, 1952-1964, et M. Wiet, Introduction à la littérature arabe, Paris, 1966.


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Introduction
I. — Les voluptés de l’antique Orient
La Palestine et la Syrie. La Mésopotamie et l’Iran.
L’Égypte. L’Afrique du Nord. L’Espagne. La Sicile. L’Inde
II. — Mœurs arabes d’avant Mahomet
III. — Le Coran et l’homosexualité
IV. — La muse grecque et les garçons
V.
La description de l’aimé. L’amour et le vin.
Femmes et garçons. Les joies et les tourments de l’amour
VI. — Le bien-aimé céleste
VII. — De la poésie à la réalité
La littérature et la vie. Pudeur et délicatesse de sentiments.
Garçons faciles et prostitution masculine. Lieux de rencontre.
Pédérastie et libre-pensée. De la bisexualité à l’homosexualité exclusive.
L’inversion sexuelle. Amours de princes
VIII. — Hier, aujourd’hui, demain

Voir aussi

Source

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