Lettres de Tony Duvert à Claude Hastaire

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Texte précédent : Lettre à Madeleine Chapsal

Lettres de Tony Duvert au peintre Claude Hastaire, gracieusement communiquées par ce dernier.
Elles concernent principalement leurs projets communs : en 1977, Tony a « illustré » d’un texte un livre de dessins d’Hastaire (La mémoire immédiate). En 1979, il a écrit un article sur une de ses expositions pour un magazine dédié à l’art contemporain (Hastaire : Scènes d’intérieur). Enfin en 1985, Hastaire proposa à Duvert de retravailler ensemble, mais le projet n’aboutit pas.
Les passages en italique représentent ce qui a été écrit à la main, les passages en romain à ce qui a été tapé à la machine.


Mercredi. [16/2/77]
Cher Claude,


Merci de ton amabilité. J’ai bien regardé les dessins : ce sera un plaisir de les préfacer, Mais ta lettre ne me dit pas :

— vers quelle date tu désireras avoir ce texte ;

— quelle longueur te semblerait convenable (à préciser en nombre de signes dactyl. ou typo.) Dis-moi au moins un minimum et un max.

D’autre part, il va sans dire que je ne ferai pas un texte de « critique d’art » — j’en suis bien incapable, ce serait une corvée. Je parlerai des dessins à ma façon, comme pour moi. Il y a donc un risque que ce soit très mauvais, ou que ça n’ait aucun rapport avec ce que tu souhaites, ou que ce soit insignifiant. D’où :

— si, lecture faite, le texte ne te convient pas, tu me le dis (non, ça ne me vexera pas), je le remballe et on n’en parle plus ;

— si, au contraire, il te plaît, tu le gardes et tu l’imprimes (mais je voudrais bien participer au choix de la typo).

Dans les deux cas, il n’est évidemment pas question que tu me paies ce texte. Ce n’est pas du désintéressement, d’ailleurs. Voici la vérité. Je suis bien, bien pauvre (je n’ai même pas de table), mais je vais cesser de l’être — dans 2 ou 3 mois, si l’État me stipendie ; sinon, dans une petite année. En attendant, je n’ai pas besoin de subvention, mais quiconque peut me consentir un petit ou très petit prêt sans être impatient qu’on le rembourse à date fixe me rend un service immense. Donc, si tu te vois assez riche pour ça, ne te gêne surtout pas, les chèques décuplent mon inspiration. Tandis que les cadeaux, même sous couleur de rémunération, la tarissent absolument. Aie donc la gentillesse de devenir l’un de mes créanciers (la liste en est prestigieuse !) et, si tu ne le veux ou ne le peux pas, ne parlons plus d’argent, de toute façon la préface t’appartient. Et mille excuses pour les complications perverses.


Bien amicalement
Tony

29 rue Bretonneau

37000 Tours



* * *



Tours, lundi. [février 77]

Cher Claude,

Merci mille fois. Je t’écris à la machine pour qu’on soit d’accord sur ce que tu appelles une page dactylographiée, car les miennes, d’habitude, sont un peu spéciales. Tandis que le modèle standard ressemble plutôt à cette lettre-ci, précisément : c’est-à-dire des lignes de 60 signes, et à peu près 35 lignes par page.

Si tu pensais à des pages plus fournies, dis-le moi, bien sûr. Pour moi, la longueur d’un texte n’est pas une question d’inspiration, mais de délai.

En tout cas, d’accord pour env. 4 pages comme celle-ci (mais entières…), ou un peu plus, et que je t’envoie fin mars.

Quant à la nature du texte, je crois qu’il parlera des choses auxquelles tes dessins me font penser, et non pas des dessins mêmes. Ce serait donc, plutôt qu’une « préface », un petit (et approximatif) double littéraire de cette Mémoire, comme si nous traitions, chacun de notre côté, à peu près le même sujet (enfin, j’espère). Si tu pensais à un texte très différent de cela, dis-le moi surtout, je peux changer de projet.

Précise-moi aussi si la première page, celle avec les trois petites photos, se présentera de même dans le livre. Et si la reproduction aura des noirs un peu plus saturés et un grain un peu moins flou que celui des photos que tu m’adresses.

C’est, notamment, parce que je préfère ne voir ni les originaux ni l’auteur tant que mon texte ne sera pas fini — un rien me perturbe !

L’argent : c’est trop si c’est un cadeau, ce n’est pas assez si c’est un prêt. Comme tu sembles tenir à ce que ce soit un cadeau, et qu’en plus tu es fauché (ça, je le savais, hé hé), ce n’est pas raisonnable de vouloir continuer. Enfin, je te laisse faire, mais si tu t’arrêtes cela ne changera rien aux bons sentiments que je te voue. Ni, hélas, à la qualité du texte que je fais.

Tiens, finalement, me voilà en bas de la feuille. C’est court, ces pages-là. Mieux vaut en compter 5 ou 6, donc.


Amitiés      Tony



* * *



Tours, mercredi [mars 77]

Cher Claude,

Excuse-moi, je vais être un peu en retard. Mais en ce moment je ne lâche pas mon bouquin[1] (le pauvre…). Est-ce que vers le 10-15 avril ce pourrait encore aller ? Bien entendu, je peux faire plus vite s’il y a urgence absolue. Donc préviens-moi. Et mille mercis d’être patient.


Amitiés
Tony

29 rue Bretonneau

    37000 Tours



* * *



Tours, mercredi soir. [mars 77]

Cher Claude,

Je venais de poster mon petit mot quand j’ai reçu ton télégramme (je suppose qu’il est bien de toi : je connais 3 autres Claude, mais je ne vois pas pourquoi ils me télégraphieraient…). Je suppose aussi que c’est à propos du livre. Si c’est parce que le projet est modifie ou perturbé, tu me le diras. Si c’est simplement parce que mon texte tarde à venir, tu me le diras aussi. Comme je te l’ai écrit, j’aime mieux prendre mon temps, parce que j’ai beaucoup de peine à travailler à deux choses à la fois ; alors j’alterne, par périodes assez longues, selon ce qui va le mieux et se trouve bon à cueillir. Mais il va de soi, je le répète, que je peux, s’il y a urgence, laisser tomber immédiatement mon roman et achever en qqs jours cette préface. Pour l’instant, elle est à 1’état de notes, d’idées vagues, de petits développements sans suite, et je laisse mûrir le tout, d’abord parce que c’est moins fatigant, ensuite parce que, d’ordinaire, ça me réussit mieux que de travailler à la volontariste. Mais, ces conforts mis à part, je suis à ton entière disposition, s’il faut aller plus vite.

Se voir ? Tu imagines quel plaisir ça me ferait. Mais comment faire ? Je suis en parfaite condition pour travailler, je ne veux pas m’interrompre en allant à Paris, il me faudrait ensuite des jours, peut-être des semaines de remise en train. Et je n’ai plus que 3 mois pour finir ce roman, ce qui m’interdit ces longues récréations. Par contre, si tu as le courage de venir à Tours, il y a d'excellents trains. Toutefois, je ne pourrais pas te coucher : seulement te nourrir (bien). Te soûler aussi, évidemment. À toi de décider.

En tout cas j’espère surtout que rien n'est arrivé qui t’oblige à remettre ce projet de livre ou à y renoncer. S'il y avait un problème financier, je crois que, dans ce cas, il faudrait faire une belle maquette avec une préface un peu longue, et puis on montrerait ça à Jérôme Lindon, mon éditrice, qui accepterait peut-être, ou même sûrement, de se laisser faire. Le problème avec Lindon, c'est surtout de le convaincre de faire un livre pas trop moche : chose très exotique pour lui.


Amitiés
Tony



* * *



Tours, vendredi. [mars 77]

Cher Claude,

Je suis réellement heureux de savoir que tout se passe bien ; ton télégr. m’avait rendu inquiet. Et maintenant, je me rends compte que je suis le seul obstacle à 1’achèvement rapide de ce livre. Si j’étais capable d’être honteux de quelque chose, ce serait l’occasion ou jamais.

1) Autant renoncer à ce projet de rencontre ; ces temps-ci, je dors aux heures ouvrables, et facilement 10 h de suite (tant le travail cérébral, toujours très épisodique chez moi, me fatigue) ; c’est ce qui m’a empêché de te téléphoner ou télégraphier ; c’est aussi ce qui rendrait problématique, si tu faisais ce voyage en venant le matin et en repartant le soir, que je sois « accessible » au moment convenable. Je tiens tellement à mon sommeil (toujours excellent et très profond, merci) que j’assassinerais facilement quiconque prétendrait le réduire ou le troubler ; et je m’assommerais moi-même si j’avais, pour quelque raison que ce soit, une idée aussi saugrenue. En vérité, mes horaires de dodo évoluent doucement jour après jour, et sans doute d’ici deux semaines je me lèverai et me coucherai (mais très provisoirement) comme tout le monde.

2) D’après ce que tu m’expliques, tout ça ne devrait pas présenter d’inconvénient sérieux. Puisque le livre est pratiquement achevé, je vais me dépêcher de finir mon travail, de sorte que tu le reçoives d’ici une semaine à peu près. Quant aux questions que tu voulais qu’on voie ensemble, je suis sûr que tu les résoudras parfaitement sans moi. Mais je les reprends quand même :

— la typo. Tu m’as dit que tu préférais un caractère italique*, et j’étais d’accord. Ils se ressemblent tous, à très peu près ; choisis donc simplement celui qui sera complémentaire du romain de ton goût (puisque je suppose que tu feras la page de titre et les pages de sous-titre en romain). J’aime mieux, évidemment, une italique pas trop aiguë, pas trop piquante, mais, si tu prends un corps suffisamment grand (12, 13, 14…), l’effet d’ensemble est déjà plus rond et plus souple, surtout si ce n’est pas interligné trop serré. Mon texte n’est pas agressif (mais vraiment pas) ; tu auras un bien meilleur œil que moi pour juger de ce qu’il faut, quant à l’effet d’ensemble. Pour moi, plus ce sera ni-trop-ni-trop-peu, plus ça m’ira. Idem pour la mise en page.

— comme cette « préface » n’est pas un commentaire direct de tes dessins, il vaudrait mieux, comme tu le suggères, l’appeler simplement texte. Tu peux mettre au choix, selon ce qui te paraît le mieux : « texte de … » ou : « avec un texte de… »[2]. La seconde formule, il me semble, dégage mieux les dessins, accentue davantage leur prépondérance dans cette affaire-là. Mais c’est déjà de la chicanerie. En tout cas, mon texte n’aura pas de titre, il commencera sans rien d’écrit au-dessus, ni « préface » ni quoi que ce soit. Mais si tu aimes le mot, mets-le…

Je suis vraiment navré de manquer cette belle occasion de te voir ; mais vraiment, si je veux conduire au mieux mon foutu roman, il faut que je m’écoute et que je m’écoute. La Touraine est très jolie au printemps, sa lumière a trois * dans tous les michelins, et je n’en profite même pas. Quand je pense que je vais, en plus, manquer ta galette et ton petit pot de beurre (et l’innocente petite victime qui, en principe, accompagne ce genre de cadeaux et qui les rend si délectables — mais ne me dis pas que tu n’avais pas prévu de m’en amener une : et peu importe le sexe, à cet âge-là tous les enfants sont des garçons), oui, quand je pense à ce que je perds, je m’en mords tout ce que j’ai d’accessible à de telles fins. (Heureusement que je n’ai plus la lubrique souplesse de mon jeune âge…)


Encore mille excuses. Mais peut-être à bientôt quand même (si je travaille à fond je m’offrirai une virée à Paris vers la mi-mai).


Amitiés (et de grosses bises** à Claude-bis)

Tony

29 r. Bretonneau

37000 Tours


* La plus belle italique que je connaisse (j’en connais peu) est celle du Garamond, quand il est vraiment bien dessiné. Mais c’est un caractère un peu trop répandu. L’ital. du Baskerville est très bien aussi, mais un peu fade et chaste (je ne l’ai jamais vue en corps un peu grand, je ne sais pas). En tout cas, ce sont les + moelleuses que je puisse me rappeler. En romain, le plus beau caractère de la planète est un Plantin parfaitement fidèle à son dessin du XVIe (siècle). Plutôt rare. Les versions « simplifiées » abondent. Quand à l’ital. du Plantin, je n’en ai aucun souvenir.

NB : Ces 3 caractères se ressemblent pas mal et ils sont chacun et tous 3 quelque peu « très convenables ». Et très banalisés par l’usage intensif qu’on fait de leurs parodies. Donc, ne prend pas ces mini-informations pour des suggestions…


** Ceci n’est pas un t mais un modeste s.


P.S. : Le texte fera probablement 4-5 pages comme celle-ci. Peut-être plus si je développe égoïstement quelques petites choses que j’aime. Mais ?!…



* * *



mardi
Cher Claude,


Encore merci de m'avoir confié ces merveilles et la responsabilité d'en parler.

Ce serait épatant que tu aies, et m’envoies vite à Tours, des doubles des photos des 3 groupes d’études qu’il y a au début du bouquin.

Tu as mon texte dans 1 semaine — si, si !


Je t’embrasse.
Tony



* * *



Tours, mardi.


Évidemment, je suis en retard. Bien entendu, c’est pour d'honorables raisons. Et il va de soi que tout finira bien — sauf que je me demande vraiment si le petit texte stupide que j’ai fait (envoi : très bientôt…) te conviendra, ou si tu ne va pas me le renvoyer furieusement. Ces petites choses me posent des problèmes si épouvantables, et pour un résultat si dérisoire, que je crois bien que je n'accepterai plus jamais d’en faire. Fffff…

Merci de ta patience.


Amitiés
Tony



* * *



Jeudi. [mars 77]
Cher Claude,


Encore un ennui (J.P.[3] m’a dit comme tu participais aux siens — je t’admire et je me sens plus honteux que jamais). Libé(ration) me demande un article sur les histoires gosses-zizi[4]. Je laisse tout tomber et je le fais, faut que ce soit fini demain.

Encore une bonne excuse, tiens…Mais patience !


Mille amitiés
Tony


[sur la carte postale : Moussem d’Imilchil — Fête des fiançailles et Armoiries de la Ville de Ouarzazate. Commentaire de Tony : Dromadaires et travelos — Made in China.]

* * *



Jeudi [15/5/77]

Cher Claude,

Désolé de t’avoir si interminablement fait attendre pour, finalement, t’envoyer si peu de chose. Je me demande vraiment si ce petit bout de texte pourra te servir ; et s’il ne vaut pas mieux que tes dessins paraissent sans préface. Mais je te laisse en juger. J’espère au moins que tu me pardonneras de ne pas avoir été capable de faire davantage.


Donne-moi quelques nouvelles.
Bien amicalement
Tony



* * *



Tours, dimanche [mai 77]

Cher Claude,

Merci de ta lettre qui m’a bien réconforté. Je suis ravi que nous ayons ts deux des pensées aussi noires, et qu’elles aient pu coïncider.

Pourrai-je avoir les épreuves du texte ?

Excuse-moi d'être si bref — semblable à un certain lapin blanc, je suis, oh dear ! oh dear ! perpétuellement too late.


Mille amitiés
Tony



* * *



Tours, mardi. [20/5/77]

Mon cher Claude,

Voilà, des jours que j’aurais dû te remercier de ton livre ; mais je ne l’ai pas fait — avec toutes les bonnes raisons, empêchements et absences, etc.

Je ne connaissais qu’un dixième des dessins ; l’ensemble est impressionnant, et me donne tous les cafards que j’aime. J’ai vaguement envie d’arracher certaines pages et de me les encadrer sur mes murs — mais ceci ne te regarde pas.

Pour ce qui est du livre même, il est admirablement fait : si seulement on faisait les romans sur ce modèle-là ! Deux petites curiosités : comment s’appelle cette espèce de vergé (si c’en est), et le nom du caractère employé. Deux petites questions, aussi : ai-je vraiment écrit moîteur ? Ai-je vraiment écrit (avant-dernière page de texte) « Alors il n’y a pas que ce réel » ? Pas introduit un non-sens complet dans tout ce qui suit, et vraiment cela m’étonne. Je ne me rappelais pas avoir tant bu à l’époque[5]. Mais qui donc aurait eu l’idée saugrenue d’ajouter ce mot ?

À part ça, je ne compte toujours pas m’absenter de Tours avant d’avoir réglé le sort de mes petits personnages : cela veut dire normalement qu’en septembre, tout ce monde dûment enterré, je m’en irai faire la vie à Paris. J’espère t’y trouver occupé aux mêmes choses, et te dire enfin de vive voix quel plaisir tes dessins m’ont fait.


Amicalement
Tony


PS. Si c’est bien cette feuille que tu lis, ça veut dire que, cette fois-ci, ce qu’il y a dans l’enveloppe est bel et bien la lettre ad hoc, et non je ne sais quelle paperasse. Tu peux détruire celle que je t’ai envoyée par mégarde. Je n’en ai aucun souvenir, ça doit être de ces trucs que je tapuscris en prenant mon café à l’aube, avant d’être chaud. Si c’était important, ça me reviendrait. Mais mille excuses ![6]



* * *



Tours, jeudi  [11/1/78]
Cher Claude,


En effet, ton texte va faire croire que tu as peint entre le 1. et le 12 janvier 78 — ou que tu les peindras pendant l’expo même, comme les pâtissiers mettent leurs chefs-d’œuvre en vitrine à mesure qu’ils les cuisent. C'est l’art vivant !

Ceci dit, la reproduction qui orne ta carte est très belle ; du moins j’y trouve, pour mon usage égoïste, un classicisme exigeant et violent qui est extrêmement fait pour me toucher.

Mais quand en verrai-je davantage ? Mon bouquin n’en finit plus de me paralyser (au fait, bonne chance au nôtre — que tu étais d'ailleurs trop gentil d’appeler ainsi, car je ne suis malheureusement pour rien dans ce qu’il a d'attirant).

Peut-être libre quand même en février, et présent à Paris, sinon à Metz.


Mes vives amitiés
Tony



* * *



Tours, vendredi.  [23/3/79]

Cher Claude,


Merci de t’être dérangé pour ce petit dossier que je souhaitais. Mais c’est bien fâcheux que le titre des toiles ne figure pas sur les clichés — et qu’il en manque tant.

D’autre part, Tison n’avait pas le texte de l’interview que tu lui as accordée, et c’est vraiment dommage pour moi. Crois-tu que tu pourrais m’en envoyer une photocopie ?

Je vais travailler le plus vite que je peux. Pour la longueur, disons 1 page format d’œil, par ex. ? Ces choses-là s'allongent facilement en ajoutant des illustrations, se raccourcissent en imprimant petit, etc. J’indiquerai des coupures possibles. — Mais je n’ai jamais écrit ce type d’article-étude, et il faudra me corriger !

J’attends impatiemment l’interview.


Amitié
    Tony



* * *



mercredi. [28/3/79]
Cher Claude,


Merci de tes envois. Je te confirme que j’appelais « titres » les numéros qui figuraient à côté des toiles et qui sont le seul moyen de les désigner. Faute de quoi je ne peux pas faire certains commentaires « individuels » qui m’auraient bien plu. Enfin, tant pis !

Finalement, c’est sur l'expo que je centre l'article (la timidité!…) — et je suis, bien entendu, très en retard. J’essaie de t’envoyer ça avant la fin de la semaine. Au fait, je l’intitule « Hastaire par lui-même ». Rigolo, non ?

Bon courage pour ce terrible déménagement et toutes ces sales corvées.

Je t’embrasse (chastement).


Tony



* * *



5.IV.79.
Mon cher Claude,


Alors non seulement tu ne m’égorges pas, mais tu me télégraphies bien poliment ! Ce n’est pas ce que je mérite.

Mon excuse : Lindon me fait des vacheries d’argent dégueulasses, je suis scié, je n’arrive pas à travailler — le livre se vend mal, les articles (!) ne viennent pas (re-!) — je bois, bois, bois.

Autre problème, en plus, mes « scrupules ». Te rappelles-tu un pastiche de P. Reboux où l’on apprenait que Flaubert dévorait les vies de saint Lazare pour la seule raison qu’il envisageait de faire passer un de ses personnages par la gare du m. nom ?… Je suis tout à fait comme ça. Je n’ai jamais écrit d’article sur un peintre, je voudrais d'abord lire tout ce qu’on a écrit sur tous les peintres — et j’ai une frousse de débutant.

Ça te fait une belle jambe, c’est sûr.

J’essaie de poster demain les 2 feuillets « pour Le Matin »[7] ; et la m. chose en plus long (sinon plus mieux) ce w-end*.

Encore 1 milliard d’excuses


— et mille amitiés
Tony


* pour le magazine inconnu.



* * *



Tours, mardi. [11/4/79]

Mon cher Claude,

Je suis bien malheureux de t’avoir manqué lundi. Je n’ai été réveillé que bien après ton départ, il semble. Enfin, tu as vu où j’habite — plus pour longtemps, d’ailleurs, C’est vraiment trop cher. Je vais essayer de tenir jusqu’à la fin de l’année, mais je crois que l’an 80 ne me verra plus à Tours ; ni peut-être en France. Trois ans sans baiser, ça commence à faire long ! (Et que d’argent fichu en l’air pour vivre aussi mal…)

Ci-joint l’article. Il est abominablement mauvais, et tu serais entièrement pardonné de le trouver inutilisable, Je suis incapable de faire un peu moins moche ces temps-ci ; 1’insuccès de mon bouquin, ou tout au moins son trop lent démarrage et 1’évidente hostilité de la presse me rongent les sangs, je n’ai pas ma tête.

C’est la « version longue » de 1’article que je t’envoie, il faudrait donc, pour le Matin, faire une photocopie et taillader dedans afin d’obtenir la longueur désirée. C’est bourré de blablabla, ça doit être très facile à faire. Idem si le texte était trop long pour le magazine qui en voudrait. Je n’ai mis ni titre ni intertitres. Bref, c’est un peu de la matière première que je te donne, en te suppliant de la remodeler exactement comme tu le veux — et, bien sûr, d’ajouter ou retrancher toute phrase et tout terme selon ton bon plaisir.

Je reste profondément honteux d’avoir été si long à faire ce travail, et de 1’avoir si mal accompli. J’attends de toi un petit mot pour me dire que tu ne m’en veux pas.

Je ne pense pas aller à Paris ce mois-ci (trop fauché, trop préoccupé) ; on ne se reverra donc sans doute pas avant courant mai — sauf si tu repasses par ici (de préférence après 14 ou 15 h !…)


Amitié
     Tony


Je ne te renvoie pas le dossier de documents aujourd’hui, je n’ai pas d’enveloppe à la bonne taille, Mais j’en aurai bientôt !



* * *



12 mars [85]

Mon cher Claude,

Tu es trop aimable de me demander une permission qui va de soi — et pardon d’avoir tardé à répondre. C’est le surmenage, voire la panique (tant mes lenteurs à travailler m’ont fichu dans la merde). Ravi que tu sois toujours d’accord avec les modestes propositions que j’avais soumises au sentiment public, cela me touche beaucoup : et les merveilles que tu me communiques (aussitôt épinglées au mur pour me rafraîchir l’œil) me donnent une folle envie de filer à Paris voir ça en avril, si mes pièges à con se relâchent à temps — c’est possible. Écrire qqch. après ? Chiche.

En tout cas, l’indécence m’oblige à te dire quel bonheur ça me fait de découvrir ces nouvelles étapes de ton œuvre et d’apprendre qu'elle va si bien. (Presque jaloux, le mec : mais je me vengerai.)

Merci aussi d’avoir pensé à « renouer ». Le temps ne passe pas du tout pour moi, et je suis candidement choqué quand on me dit : Mais voici x années que etc. Tu parles.


Toute mon amitié, et grosses bises garanties sans sida !
Tony


Silence provisoire — et recueilli — sur les s.d.b.[8] : j’y suis, j’y reste. Mais j’espère que les originaux font partie de l’expo. (Sans le ventru, pouah !)



* * *



jeudi [mars 85]

Cher Claude,

Naturellement, je mérite des reproches sanglants pour te répondre si tard. Pourtant, je t’assure qu’un mois de retard, ces temps-ci, c’est bien peu de ma part. Tes lettres & cartes m’ont trouvé dans 1’état où tu sembles être toi-même ; l’envie de se coucher pour attendre des jours meilleurs. Une envie que j’écoute le plus possible, ce qui me complique la vie encore davantage, puisqu’il faut que je travaille comme trente-six mille crétins — vu pénurie totale de fric et retards colossaux dans mes « engagements », alors j’écrivaille d’une main et je dors de l’autre : mais tu imagines l’horreur, la nausée toutes spéciales que m’inspire la moindre feuille de papier vierge. Ah le joli métier.

Tu vois que, si on se rencontrait, on pourrait chanter à l’unisson. C’est fou ce que ça nous réconforterait ! Donc j’arrête là ces joyeusetés, je passe à ce que tu me demandais :

— ton exposition. Les photos m’en plaisent tellement qu’elles ne quittent plus ma table ; j’ai démembré le catalogue, et si tu penses que tes gribouillis noirâtres ont supplanté ainsi les très jolies images de très jolis garçons (et en très bon état, eux) qui, d’habitude, ornent mes heures de travail, tu devineras combien je suis impatient de voir tes dessins grandeur nature. Après quoi, je te dirai (s’il y a à boire aux environs) mille choses pertinentes et délicieuses à leur sujet. L’ennui, c’est qu’il y a très peu de chances que je sois disponible (liberté, fric, humeur) pour aller à Paris d’ici le 31, Je ne verrai donc pas les dessins accrochés. Où seront-ils, s’il en reste ?

— tu as l’air très vexé que je ne t’ai même pas remercié dare-dare de m’avoir proposé un dessin. Tu exagères. Remercie-t-on pour une intention de cadeau ? Ensuite, les encadrements sont ruineux et, en attendant d’être en fonds (ça va venir, si si), il faudra que je cache ledit dessin dans un endroit bien plat et peu humide, lieu quasi introuvable chez moi. Donc, rien d’urgent. Et puis je n’accepte pas des cadeaux comme ça, à la commande, sans avoir vu ni touché et sans qu’on m’ait fait mille gentillesses pour me faire avaler qqch. d’aussi humiliant (ça, c’est mon petit côté bougnoule : tout ce qu’on vous donne, il faut le rendre au double : or je n’ai rien, ô pauvre !). Alors cent milliards de mercis, mais on en reparlera, et sec !

— consterné de ce que tu me dis des Scènes [9]; ravi de ce projet d’édition. Pour le texte de Cimaise, aucun problème, bien entendu, il est à toi. Minuit n’a aucun droit sur mes choses free lance. Quant à une rémunération de l’auteur dudit texte, tu me vexes horriblement (chacun son tour). Évidemment, si la galerie qui fait le livre a les moyens, j’oublierai cette blessure d’amour-propre et je me laisserai faire, vu misère déjà mentionnée. Mais que cela ne pèse en rien dans le budget de l’éditeur, ou dans la réalisation du projet. Ce serait un comble ! — Et j’aime mieux, surtout, te remercier de croire ce texte assez potable pour pouvoir resservir ainsi ; je ne suis pas sûr du tout qu’il le mérite.


Assez papoté, rougi et rosi. J’espère qu’on va quand même se voir une de ces semaines, et je t’embrasse très très fort (veinard).


Tony


Je ne sais plus sous quel nom il faut t’écrire[10]. Je mets les deux sur l’enveloppe.



* * *



Tours, le 19 avril

Mon cher Claude,

Je te livre mon diagnostic : non seulement t’as un gros bide, mais tu bois. En culturiste sourcilleux, j’ai inspecté ton anatomie sur les photos, j’ai reconstitué l’original d’après les restes, et c’est honteux que tu aies abîmé ça. On n’a pas le droit de donner à un vrai cerveau une poubelle pour logement, et c’est une poubelle qui te le dit. L’autre preuve que tu bois, c’est que tu as fait des phautes d’orettocrave. Il ne manque que des calembours pour que le syndrome soit entier, à la grande joie des connaisseurs. Et tu dates du 19 une lettre du 17.

Trêve de reproches. Je te dois des excuses parce que je n’ai pas verni ton expo jeudi 18. D’insondables malheurs m’ont privé de cette liberté. Même pas fait un tour à vélo dans la région depuis février. Ce n’est pas que je travaille beaucoup, mais je ne suis bon à rien d’autre non plus. Petite confidence : côté fric, je n’aurais pas trouvé l’argent du voyage à Paris pour hier. Histoire de voir tes toiles et la couleur du printemps rue Saint-Georges (un coin que j’ai adoré quand j’étais lycéen fantôme) je serais bien venu en pédalant (la fonction crée l’organe) mais mon enfant réclame ma présence, et ton cœur de mère comprendra.

Tu es bien chipoteur de me dire que cinq mille francs ne sont pas le Pérou. Au cours usuel, mon mois le travail vaut le tiers de ça — et c’est pas mal, pour le droit de faire ce que je veux. En plus, m’offrir, comme si j’en étais capable, le privilège de tartiner par-dessus ton boulot, et ceci sans joindre le chèque à ta lettre, est un signe de méfiance qui me blesse. Serais-tu comme ces éditeurs qui attendent d’avoir vu pour croire ?

Les photographies que tu m’as envoyées de tes toiles m’ont fait aussi punaiser les photos de celles d’avant, aller à l’excellente bibliothèque municipale de Tours (adorable et grand lieu de coups d’œil garçonniers, ça aide à lire) pour regarder des Piranèse et — une erreur de jugement, mais je ne l’aurais pas corrigée sans ça — les trucs en perspective de Vinci pour ses Mages. Vouais, je ne travaille que dans la peinture de luxe. Idem, lécher des trucs sans relation avec toi, comme Rembrandt et Turner, pour un usage particulier des blancs. Tout ça, et des milliers de curiosités que mes loisirs ne m’ont pas permis d’assouvir, relève davantage de la zoologie comparée que de l’esthétique. Mais j’ai le crâne plutôt Lamarck que Vigée-Lebrun.

Je te rassure : il n’y aura aucune trace de mes explorations personnelles et de mes comparaisons zintuitives dans le texte que je ferai — sauf Piranèse, qui n’engage à rien. Quant à ce texte, il faut que tu me dises :

1/ Quelle longueur environ, en signes typos, que je sache de quel espace je peux disposer ;

2/ Si, quand tu écris « nous espérons faire imprimer à la mi-mai », cela signifie, comme probable, que tu aies reçu et approuvé mon texte le 15 mai au plus tard.

De mon côté, voici ce que je prévois, sous réserve que tu m’aies envoyé entre-temps une subvention ad hoc :

— continuer d’aller mater des machins dans les bouquins, pour suivre mes idées ;

— venir à Paris (pas mis les pieds depuis cinq ans) entre l’Armistice et la Jeanne d’Arc (i.e. entre le 8 et le 12 mai) : dis-moi si tu seras là au même moment — toute amitié mise à part, j'aimerais bien rencontrer l'auteur (ni l'un ni l'autre n'étant trop soûls) et lui infliger un interrogatoire musclé (est-ce que tu penses qu'on pourrait flanquer un bout de ce genre de conversation — revue et corrigée par nous — dans mon texte ?) ;

— rentrer vite chez moi travailler à cela dans l'isolement dont j'ai besoin, t'envoyer l'ours en respectant la date limite.

MAIS il y a un hic : je n'ai pas vu les toiles telles quelles. Les photos que tu m'as envoyées en montrent quatre. Très réduites. Si l'espace et l'éclairage de la galerie ne dénaturent pas les œuvres, et si, pourtant, ça ne m'accrochait pas comme les photos l'ont fait, un texte insincère me pèserait trop sur le cul pour que je le fasse. Ça m’étonnerait mais, puisque cet argent établit un contrat entre nous, je tiens à ce que cette réserve soit dite. Et pardon de l'avoir faite.


Toutes mes excuses pour ce tapuscrit : ma m. dr., ravagée par la masturbation, est d’une indocilité qui explique pourquoi peu de peintres furent célibataires.

Je t’embrasse.


Tony


P.S. pour mes curiosités : tu es le seul « hétéro » qui ne m’ait jamais, il me semble, parlé de petites filles. T’aimes pas ça ? Ou aurais-je oublié ?


(Vieilles petites pubs pour magazines d’impub’ ; mon prosélytisme pédophile est tous azimuts). (J’espère que t’en as des collect’ énormes)[11].



* * *



Tours, lun. 14 oct. 85

Mon cher Claude,

Je suis ravi de pouvoir te donner enfin signe de vie. Et, comme tu ne m’as écrit aucun des reproches saignants que je mérite, je n’insiste pas sur les sentiments de honte et de contrition que je devrais exprimer. En rentrant ici début juin, j’avais retrouvé 1 situation épouvantable (côté fric, dettes, coupures, huissier, ultimatums) : obligé d’obtenir 1 gros à-valoir de droits et de m’engager à remettre mon bouquin, dernier délai, fin juillet. Infaisable et si paralysant que… j’en suis toujours là. Ivrognerie et sports se sont partagé mon été, je n’ai rien fichu. Le moral et le courage, voire l’aptitude à ne pas tartiner trop merdique, je ne les retrouve qu’à présent. En pratique, je peux me tirer d’affaire (les pépins matériels tout neufs que cet été insouciant (hum) m’a préparés sont à conjurer de tte urgence) si je me dépêche d’établir et d’envoyer du manuscrit à mon prêteur sur gages favori ; il y faut une petite semaine. Ce n’est qu’ensuite que je ferai et t’enverrai mon texte. Mais si, mieux vaut tard que jamais ! Je ne sais plus où me mettre chaque fois que je pense au retard calamiteux que ton projet a pris à cause de moi — et je n’ai pas le professionnalisme de gribouiller n’importe quoi de c’est-con-mais-c’est-de-moi pour tenir 1 date ou 1 engagement qui n’est pas quantitatif. Affreuse situation ! Impardonnable mais banal. (Je pense à 1 revue américaine qui fait dans les auteurs français et qui m’a demandé 2 fois du texte : cet éditeur avisé s’y prend… 3 ans d’avance — ce qui lui permet d’avoir, et presque à temps, la copie voulue : et sous forme de bons inédits. Délais habituels des publications françaises qui te demandent qqch., elles : 2 à 3 semaines ; d’où les misères et les fonds de tiroir qui garnissent leurs sommaires.)

— On s’est manqués bêtement (c’est moins grave que de se manquer tt seul) quand tu es passé à Tours : j’étais ds le jardin de mon frère (bronzette, piano, whisky) à st Cyr (3 km d’ici). Ça vaut peut-être mieux : je ne savais pas du tout où j’en étais.

— Mille choses à te dire et à te répondre, mais d’abord tenir l’emploi du temps marathonien que je me fixe. Rien de + sérieux qu’1 paresseux qui se met au travail — comme tu sais sûrement. Si toi tu as le temps, 1 petit mot rassurant de toi me chatouillerait partout.


Je t’embrasse
Tony


Et voilà pourquoi les petits garçons en sont réduits à se faire piper par les vilains messieurs

Quelle ogresse ! Tu vois t’as tes chances…[12].


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Voir aussi

La mémoire immédiate
Hastaire : Scènes d’intérieur

Notes et références

  1. Quand mourut Jonathan
  2. C’est cette dernière formulation qui a été retenue
  3. Leur ami commun le journaliste Jean-Pierre Tison
  4. Libération a publié un dossier sur la pédophilie dans son édition du 24/3/77, mais aucun texte de Tony n’y figure.
  5. L’article n’est jamais paru dans le journal le Matin.
  6. Le texte que Tony a envoyé à Claude :

    sur le « substitut paternel »
    Non. Si vous avez un oiseau dans votre jardin, vous allez voir qu’il fait son nid avec tout ce qu’il trouve : des bouts de laine du pull que vous avez tricoté, des poils du chat, etc. Si, découvrant son nid, vous concluez, d’après les matériaux, que cet oiseau aime les pulls rouges et les chats, et que ce nid hétéroclite est un équivalent névrotique ou pervers de la « personne » féline ou pullesque, vous vous foutez le doigt dans l’œil jusqu’au trou du cul, et vous êtes de ces archéologues qui, parce qu’une stèle maya ressemble vaguement à une balise d’Orly, [pensent] que les Mayas eurent des soucoupes volantes.

  7. Non, Tony n’avait pas bu, ces erreurs ne sont pas dans le tapuscrit.
  8. Série de toiles d’Hastaire
  9. Une personnalité très haut placée de l’époque avait réservé une toile, mais ne l’a jamais payée, espérant se la faire offrir…
  10. Claude Hilaire, dit Hastaire, a fait changer légalement son patronyme.
  11. Tony a collé sur la lettre ces publicités
  12. Tony commente une photo qu’il a envoyée à Hastaire, sans doute tirée d&esquo;un magazine du style « Jeunes et Naturels «, où on voit une petite fille nue souffler dans une énorme flûte à bec…