Pierre-François Guyot Desfontaines

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Pierre-François Guyot Desfontaines, né à Rouen le 29 juin 1685 et mort à Paris le 16 décembre 1745, est un journaliste, critique, traducteur et vulgarisateur historique français.

Surtout connu aujourd’hui pour ses querelles avec Voltaire, l’abbé Desfontaines peut être considéré comme le fondateur de la nouvelle critique littéraire et du journalisme en France dans la mesure où il a cherché à faire la critique esthétique et morale des ouvrages au lieu de se borner à les résumer ou à en reproduire de longs extraits.

Biographie

Élève des jésuites, l’abbé Desfontaines entra dans leur ordre et enseigna la rhétorique à Bourges. Au bout de quinze ans, il s’ennuya de cette dépendance, les quitta en 1715, et, avec la protection du cardinal de La Tour d'Auvergne, obtint la cure de Thorigny, en Normandie.

À sa sortie des jésuites, le cardinal d’Auvergne de La Tour d'Auvergne, qui aimait les gens de lettres, le garda quelque temps chez lui. L’obligation de dire la messe et de lire tous les jours son bréviaire parut à Desfontaines une nouvelle dépendance aussi lourde que la première. Bientôt son amour pour la liberté et un goût très vif pour les lettres l’empêchèrent de remplir ses devoirs de pasteur. Alors il se démit de son bénéfice, pour de se consacrer exclusivement aux lettres, ne voulant pas en toucher les revenus sans le desservir.

Son début dans la carrière des lettres est modeste. Alors qu’il était de coutume de se signaler dans le Parnasse par une tragédie et souvent même par un poème épique, Desfontaines, par une sage défiance du peu de solidité qui caractérise les débuts ambitieux, rédigea une simple ode Sur le mauvais usage qu’on fait de sa vie. En 1724, il devint collaborateur du Journal des sçavans et s’efforça d’introduire de l’agrément dans le style de ses articles, en évitant la sécheresse et le pédantisme.

Il publia ensuite, avec divers collaborateurs tels qu’Élie Fréron, François Granet, l’abbé Jacques Destrée, des recueils périodiques de critique : Le Nouvelliste du Parnasse (1731-1734, 5 vol.), Observations sur les écrits modernes (1735 et suiv., 34 vol. in-12). Ces périodiques, composés hâtivement, se signalaient surtout par la vivacité de leurs critiques et leur partialité.

Desfontaines attaqua notamment les œuvres dramatiques de Voltaire, qui l’avait pourtant aidé à faire libérer lorsque l’abbé, accusé de sodomie,[1] avait séjourné quelque temps en prison en 1724 et avait également usé de son influence pour l’aider à revenir à Paris dont il avait été un temps exilé. Voltaire répliqua par un pamphlet cruel intitulé Le préservatif, ou critique des Observations sur les écrits modernes (1738). Desfontaines répondit anonymement la même année par un libelle intitulé La Voltairomanie, qui compilait toutes les anecdotes scandaleuses qui couraient alors contre Voltaire. Ce dernier intenta une action en diffamation qu’il n’abandonna qu’après que Desfontaines eut désavoué l’ouvrage dans la Gazette d’Amsterdam du 4 avril 1739. La guerre continua pendant plusieurs années, si bien qu’aujourd’hui le souvenir de Desfontaines n’est plus entretenu que par les épigrammes de Voltaire, ainsi que par celles de Alexis Piron, pour une fois d’accord avec Voltaire, qui promit à l’abbé de lui apporter une épigramme tous les matins et tint parole pendant cinquante jours.

« Il semble que la Providence, en le faisant naître en Normandie, dans le pays de la chicane, et d’un père conseiller au Parlement, l’ait destiné à devenir quelque jour un suppôt de Thémis, ou, au pis-aller, un membre de la corporation hargneuse des procureurs. Néanmoins, elle permit qu’il embrassât la profession de critique, apparemment parce que cette profession s’éloignait le moins des deux autres, et que le besoin de chamailler trouve aussi bien à se satisfaire au moyen de la plume dans les feuilles d’un journal, qu’au moyen de la parole sous les voûtes d’une chambre de justice.— Désiré Nisard »

Affaire de mœurs

L’abbé Pierre-François Guyot Desfontaines, ancien jésuite devenu critique littéraire, fut grand amateur de petits Savoyards, dont au moins six cents déambulaient chaque hiver dans les rues de Paris (ceux qui travaillaient sur la rive gauche, où logeait l’abbé, étaient originaires de l’évêché de Genève).[2] Les visites discrètes des jeunes ramoneurs lui faisaient courir moins de risques que les adolescents qu’il avait d’abord hébergés sous son toit, et qui lui avaient valu d’être interné par deux fois à Bicêtre,[3] où il fut même flagellé. Dans sa biographie de Voltaire, Roger Peyrefitte évoque la vie secrète de ce pédéraste effréné :

« L’abbé Desfontaines n’avait pas changé de mœurs, mais seulement de quartier. Pour faire peau neuve, il avait quitté la rue de l’Arbre-Sec, où était son domicile précédent, et il logeait à l’hôtel d’Espagne, rue de Seine, au coin de la rue du Colombier, sur la rive gauche. […] Il ne se risquait plus à avoir à demeure des jeunes gens qui, sous couleur de travailler avec lui, étaient en réalité ses bardaches. […] Mais il se contentait désormais de ces jeunes Savoyards qui venaient ramoner les cheminées et montrer les marmottes. Beaucoup de ces enfants se prêtaient au « péché philosophique ». On les débarbouillait quand ils descendaient des toits, et les pédérastes se les passaient les uns aux autres. Avec sa cheminée, Desfontaines se croyait désormais à l’abri des investigations de la police.[4] »

Voltaire, avec qui il s’était brouillé après avoir été de ses amis, se vengea bassement en le persiflant, d’abord dans sa correspondance, puis dans ses écrits publics. Voici, dans une lettre du 19 novembre 1736 au marquis d’Argens, le premier récit des prétendus démêlés de l’abbé avec des petits Savoyards :

« Cet abbé est un ex-jésuite à qui je sauvai la Grève[5] en 1723 et que je tirai de Bicêtre où il était renfermé pour avoir corrompu, ne vous déplaise, des ramoneurs de cheminée qu’il avait pris pour des amours à cause de leur fer et leur bandeau.[6] »

Réitérant ses attaques, Voltaire les mit en vers dans une de ses Poésies, datée de 1738 :

«
L’abbé Desfontaines et le ramoneur

Un ramoneur à face basanée,
Le fer en main, les yeux ceints d’un bandeau,
S’allait glissant dans une cheminée,
Quand de Sodome un antique bedeau
Qui pour l’Amour prenait ce jouvenceau,
Vint endosser son échine inclinée.
L’Amour cria : le quartier accourut ;
On verbalise ; et Desfontaines en rut
Est encagé dans le clos de Bicêtre.
On vous le lie, on le fait dépouiller,
Un bras nerveux se complaît d’étriller
Le lourd fessier du sodomite prêtre.
Filles riaient, et le cuistre écorché
Criait : Monsieur, soyez touché,
Lisez de grâce et mes vers et ma prose.
Le fesseur lut ; et soudain plus fâché
Du renégat il redoubla la dose :
Vingt coups de fouet pour son vilain péché,
Et trente en sus pour l’ennui qu’il nous cause. [7]

»

Enfin, dans une note ajoutée en 1769 à l’article « Amour nommé socratique » du Dictionnaire philosophique, Voltaire dramatisait à plaisir les ennuis de l’abbé (lequel, mort depuis longtemps, n’était plus là pour démentir) : en le faisant presque condamner, rétrospectivement, à la peine capitale, il le mettait sur le même plan que le criminel Benjamin Deschauffours — un célèbre proxénète, violeur et assassin de garçons, qui avait été brûlé vif le 25 mai 1726 :

« L’abbé Desfontaines fut sur le point d’être cuit en place de Grève pour avoir abusé de quelques petits Savoyards qui ramonaient sa cheminée ; des protecteurs le sauvèrent. Il fallait une victime : on cuisit Deschauffours.[8] »

Comme souvent, Voltaire se montrait là un calomniateur fort habile : si Desfontaines, en effet, avait utilisé volontiers les services de petits ramoneurs complaisants ou intéressés, il n’en avait jamais violé aucun. Jamais non plus on ne le menaça du bûcher. S’il fut incarcéré et fouetté, ce ne fut pas pour son libertinage avec les jeunes Savoyards (preuve que ceux-ci savaient tenir leur langue), mais à cause de ses livres et de ses gravures érotiques, ainsi que de ses relations avec un ancien élève pour lequel il avait eu des faiblesses.[9]

Ce n’est peut-être pas par hasard que l’abbé Desfontaines avait fréquenté un autre prêtre, René-François du Breil de Pontbriand. Lorsqu’il fut interné à Bicêtre pour la seconde fois, en 1725, il demanda même qu’on fasse intervenir en sa faveur ce digne ecclésiastique : « Faites agir de Gesvres et d’Avoust, aussi bien que l’abbé de Pontbriand. Je me recommande à eux tous. »[10]

Bibliographie

Œuvres

  • Apologie du caractère des Anglois et des François, 1725.
  • Dictionnaire néologique à l’usage des beaux esprits du siècle, 1726.
  • Lettres d’un rat calotin à Citron Barbet ; Relation de ce qui s’est passé au sujet de l’illustre Mathanasius à l’Académie françoise, 1727.
  • Traduction des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, 1727.
  • Entretiens sur les voyages de Cyrus, 1728.
  • Nouvelle histoire de France par demandes et par réponses, 1730.
  • Le nouveau Gulliver, 1730.
  • La Voltairomanie, 1738.
  • Racine vengé, ou examen des remarques de l’abbé d’Olivet sur les œuvres de Racine, 1739. Texte en ligne : [1].
  • Traduction en prose des poèmes de Virgile, 1743.
  • Lettre d’un comédien françois au sujet de l’Histoire du théâtre italien.

Références

  • Les deux sources principales de cet article sont d’une part l’article Pierre-François Guyot Desfontaines de Wikipédia en français (version du 10 mai 2011) sous licence CC-BY-SA 3.0 ; d’autre part l’article sur les Ramoneurs savoyards (version du 7 mai 2011).
  • Archives de la Bastille : documents inédits. XII, Règnes de Louis XIV et de Louis XV (1709 à 1772) / recueillis et publiés par François Ravaisson,…. – Paris : A. Durand et Pedone-Lauriel, 1881 (Paris : Impr. Pillet et Dumoulin). – [6]-508 p.
    Table des matières p. 497-505. Table des auteurs de la correspondance p. 507-508.
    Sur Desfontaines : p. 102-107, 114-125, 144-145, 169-186, 190, 206, 238-248, 262-263.
  • Benoit Léger, « Voyages de Desfontaines dans la Romancie : le nouveau Gulliver (1730) », Préfaces romanesques, Peeters, Leuven et Paris, collection La République des Lettres, 23, p. 219-231.
  • Benoit Léger, « Le médecin observateur : paratexte et traduction idéologique de L’état de la médecine de Francis Clifton par Desfontaines (1742) », Annie Cointre, La traduction de textes non romanesques au XVIIIe siècle, Série 2003, n° 5, Université de Metz, Centre d’études de la traduction, p. 215-231.
  • Benoit Léger, « Nouvelles aventures de Gulliver à Blefuscu : traductions, retraductions et rééditions des Voyages de Gulliver sous la monarchie de Juillet ». (Histoire de la traduction et traduction de l’histoire) Meta, 49, 3, p. 526-543.
  • Hugues Plaideux, « L’abbé Desfontaines : un adversaire de Voltaire à la cure de Torigni (1732-1734) », Revue de la Manche, t. 40, fasc. 158, avril 1998, p. 31-37.

Liens externes

Notes

  1. « L’abbé Duval des Fontaines, attire chez lui des jeunes gens pour les corrompre, et il en fait souvent coucher avec lui.
    Si on veut s’informer exactement de sa conduite, on trouvera qu’il n’a point ou peu de religion, qu’il fait gras sans nécessité les jours maigres, et qu’il est en commerce avec de petits et jeunes libertins, avec lesquels il fait des parties de débauche.
    Il loge rue de l’Arbre-Sec, à Notre-Dame-de-Lorette, au 2e étage, sur le devant, en chambre garnie. Il mange, tantôt à l’hôtel d’Uzès, rue Jean-Tison, tantôt à l’hôtel du Saint-Esprit, rue Saint-Germain ; mais on peut le regarder comme une peste publique, et il sera bon de le faire servir d’exemple, quand on aura vérifié ces faits et le sieur Haymier le fera très aisément. »
    Archives de la Bastille, t. 12, dir. François Ravaisson, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1881, p. 102-103.
  2. Pontbriand, Projet d’un établissement déjà commencé pour élever dans la piété les Savoyards qui sont dans Paris, p. 17-21 (il précise que six catéchismes d’une centaine d’enfants « seraient suffisants pour instruire tous les Savoyards qui sont dans Paris ») ; p. 7. – La population de Paris était alors d’environ 600.000 personnes.
  3. Prison située au sud de Paris.
  4. Roger Peyrefitte, Voltaire : sa jeunesse et son temps, vol. 2, Paris, Albin Michel, 1985, p. 237.
  5. C’est sur la place de Grève, à Paris, qu’avaient lieu les exécutions capitales.
  6. Voltaire, Correspondance complète, t. 1, Paris, Gallimard, 1968.
  7. Arcadie, n° 257, p. 276-277. – Peyrefitte, dans Voltaire et Frédéric II, vol. 1, Paris, Albin Michel, 1992, p. 85-86, donne une version un peu différente de cette pièce, que Voltaire aurait d’abord faussement attribuée à Lériget de La Faye.
  8. Voltaire, « Amour nommé socratique », in Dictionnaire philosophique, 1764, rééd. 1769.
  9. Maurice Lever, Les bûchers de Sodome, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1985, p. 288-290, 307 ; Peyrefitte, Voltaire : sa jeunesse et son temps, vol. 2, p. 214-220, 237-244. – En ce qui concerne les détails de la vie de Desfontaines, Lever fait trop de crédit à Voltaire et donne plusieurs indications erronées. Peyrefitte, plus précis, corrige plusieurs de ses erreurs.
  10. Peyrefitte, Voltaire et Frédéric II, vol. 1, p. 241. – Peyrefitte commente ainsi cette énumération : « Le duc de Gesvres, grand et petit ami de M. le Duc, était un des plus célèbres chevaliers de la manchette [homosexuel, dans le jargon de l’époque] et M. d’Avoust un des plus honorables ». Cela permet de supposer que Pontbriand, cité en troisième lieu, avait les mêmes mœurs que les deux premiers. Il n’y a là aucune certitude, mais l’innocence de l’abbé de Pontbriand n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le croire à première vue.