Quand mourut Jonathan (1)

De BoyWiki

… Two lads, that thought there was no more behind,

But such a day tomorrow as today,

And to be boy eternal.

Shakespeare, Conte d’hiver.



PREMIÈRE PARTIE



Le petit garçon entrait dans la cuisine, et il apercevait des choses insolites sur le carrelage.

Mais il ne dit rien. Sa mère bavardait avec Jonathan. Et lui, Serge, il explora cette maison inconnue : car il était mécontent que la conversation le néglige.

Ensuite sa mère partit sans lui. Il la suivit des yeux. Elle prit un petit chemin qui rejoignait la route ; sa voiture était là-bas. Jonathan referma la porte du jardinet, poussa l’enfant par les épaules, et ils regagnèrent la cuisine. C’était l’heure de goûter. Serge accepta une tartine de confiture sur du beurre et un verre de lait. Et, en se remplissant la bouche, l’enfant montra à Jonathan les choses bizarres qu’il y avait par terre :

— Pourquoi tu mets ça ?

— C’est pour les souris, dit Jonathan.

Une soucoupe de lait, une soucoupe de confiture et un gros croûton de pain.

— Elles boivent du lait ?

— Oui, elles boivent du lait.

Serge écoutait avec plaisir l’accent léger de Jonathan. Un accent allemand, ou anglais, ou néerlandais, on ne savait pas : Jonathan avait trop voyagé, il n’avait plus d’origine. Serge avait envie d’imiter sa voix ; les mots étaient bien clairs, calmes, un peu timides, comme des objets naïfs, sans une ombre dessus.

— Elles ont une langue ? dit Serge.

— Une langue oui. Vraiment une petite langue rose qui remue. Elles aiment ça. Elles lèchent la confiture aussi, c’est des framboises, elles laissent les petits grains dans les framboises.

— Moi j’aime mieux comme ça quand c’est comme ça quand c’est à l’abricot, dit Serge, que cette différence entre son goûter et le repas des souris parut décevoir. Mais pourquoi tu leur donnes à manger toi ?

— Parce que je ne sais pas.

Serge mangeait sa tartine par l’intérieur. Il tirait la mie beurrée et négligeait la croûte, qui forma un fer à cheval.

— Je les aime bien, ajouta Jonathan. Elles sont jolies, tu en as vu ? (Serge fit non.) Elles ont une queue longue comme ça, elle bouge, ça fait comme les oreilles de ton chien quand il te parle (Serge dit très vite on a plus de chien maman l’a donné), ah c’est vrai ? et des pattes comme un chat ou un écureuil, t’en as vu des écureuils ? (Serge dit ah on a un chat c’est un garçon il s’appelle Julie), et c’est doux, tout doux !

— Oh t’en as touché ? C’est ma mère quand on l’a appelé Julie le chat, non mais t’en as touché des souris ?

— Non elles ont trop peur. C’est ta mère qui l’a appelé Julie le garçon chat ?

— Oui forcément, alors t’en as pas touché.

— Si, mais elle était morte. Je l’ai touchée quand même. Elle était à côté de mon lit.

— Y en a dans la chambre ?

— Oui elles viennent le soir. C’est leur heure pour se promener, moi c’est là qu’on les voit bien. Parce que j’ai des gâteaux, des petits-beurre, je les mets sur la table de nuit.

— Tu leur mets des gâteaux ?

— Non c’est pour moi, quand je me réveille si je dors pas, ça me donne faim.

— Eh dis c’est des garçons ou des filles les souris.

— Rigole pas y a les deux.

— Ah… Alors y a des souris, des fois c’est des garçons.

— Oui.

— Mais tu vois toi si c’est des garçons quand ils mangent ?

— Non, ça se voit pas. Il faudrait les attraper par la queue et puis il faudrait regarder ça, juste là.

Jonathan pointa modestement le doigt vers la culotte du petit. Serge se mit à rire :

— Alors c’est comme Julie on voit sa couille ! Faut que tu me laves, maintenant je suis sale.


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