Quand mourut Jonathan (28)

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Comme la pluie était venue, Jonathan l’entendait sonner dans son plafond. Car la chambre, où il se réfugiait, était en mansarde : un grand pan de toit tombait sur le lit et empêchait de relever tout à fait la tête.

Ce bruit régulier, presque gai malgré la grisaille du jour, malgré le froid visqueux et les arbres dévastés, lui donnait une sérénité morne. Il ne ferait rien tant que cette pluie tomberait. On ne se tue qu’un jour violent, qui vous rappelle le monde, les saisons, ou quelqu’un.

Jonathan pensa encore à quitter tout, aller à Paris, rejoindre vite Serge, subir n’importe quoi — même ses contemporains — pourvu qu’il sauve le petit.

Mais le sauver de quoi ? Le monde où l’on se croit heureux n’était pas celui de Jonathan. Serge avait passé ici trois ou quatre mois qui pouvaient ressembler au bonheur : mais il n’avait pas encore l’âge de rechercher et reconnaître quelque bonheur que ce soit. Son séjour chez Jonathan lui ferait plutôt des souvenirs pour ses soixante ans, et des si-j’avais-su. Puisque en vieillissant on se rappelle enfin un certain âge heureux qu’on a vécu sans même savoir qu’il ne reviendrait pas : et ce sont les premiers ans de la vie, et la seule vie à jamais.

Et seulement par chance. Ce que Jonathan connaissait de la petite enfance de Serge lui semblait épouvantable. Ce qu’il se rappelait de la sienne propre ne valait pas mieux : et ce qu’on lui en avait dit après coup, avant qu’il abandonne sa famille, ses amis, son pays — et l’humanité avec, la soi-disant humanité —, lui avait seulement donné des envies de meurtre. En plus, ils (les vieux) étaient fiers de vous raconter ce qu’ils vous avaient fait, quand vous deveniez assez âgé pour comprendre.

La pluie tombait. D’une douceur et d’une régularité qui réconciliait, comme une tendresse discrète, avec la vie, la vie toute seule et pour rien.

Ne pas mourir. Ces gouttes d’eau qui faisaient leur bruit tranquille suffisaient, sûrement, pour aimer vivre pendant qu’elles étaient là.

Jonathan verrait les feuilles tomber, le temps passer, il écrirait des lettres à Paris le matin, quelques soirs après il devinerait qu’on les détournait. Un enfant de huit ans ne répond pas tout seul ; on ne ferait même pas mettre à Serge trois lignes dans les lettres emphatiques que Barbara écrirait si elle avait besoin d’argent ou de raconter un nouvel amour éternel.

Jonathan n’était pas malheureux que soit finie, maintenant, sa vie à lui : elle avait seulement commencé lorsque Serge l’avait empruntée et conquise pour vivre lui-même. Mais Jonathan souffrait que ce ne soit pas assez pour que l’enfant survive.

Les pluies violentes qu’il y eut en septembre cédèrent à un immense éclat doré d’automne, un automne envahi de lumières tendres et belles qui, du levant au couchant, étaient comme le reflet d’un autre été.

Alors Jonathan ne mourut pas, et il aima tout seul un enfant disparu.


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