« Ralph-Nicolas Chubb : prophète et pédéraste (Timothy d’Arch Smith) » : différence entre les versions

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Version du 24 mars 2013 à 11:28

Une étude de Timothy d’Arch Smith, intitulée Ralph-Nicolas Chubb : prophète et pédéraste, parut en mars 1963 dans la revue homophile Arcadie.

Signé du pseudonyme Oliver Drummond, cet article fut publié à nouveau en 1966, remanié et enrichi d’illustrations, sous le titre Ralph Nicholas Chubb : prophet and paiderast, dans le premier numéro de la revue International Journal of Greek Love.

Texte intégral

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RALPH-NICOLAS CHUBB

PROPHÈTE ET PÉDÉRASTE



par

Timothy D’ARCH SMITH



Celui qui, avec une sympathie sentimentale, chante la
bénédiction de l’enfance, pense au retour à la nature,
à l’innocence et à l’origine des choses, mais il oublie
que ces bienheureux enfants sont accablés de conflits
et de complexes, et capables de toutes les souffrances.

Hermann Hesse.



Le XXe siècle n’est pas siècle à nourrir des prophètes. La rapidité de son évolution, la nature charnelle de ses désirs et de ses buts, la menace d’annihilation totale de la soi-disant civilisation qu’il a édifiée, ôtent toute audience à l’idéaliste, au philosophe et au mystique, et leur dénient presque le droit d’exister. Les grandes maisons d’édition d’Angleterre publient de plus en plus de livres de moins en moins d’importance, et les manuscrits des poètes et des penseurs sont rejetés au profit de ceux des romanciers populaires.


Mais, si notre siècle méprise les mystiques, il abhorre les pédérastes. Nous avons beau avoir les idées plus larges que les générations précédentes, parler légèrement du mariage et du divorce, et même de l’amour de l’homme pour l’homme — que l’on ne pouvait aborder naguère qu’à voix basse — l’amour des garçons est encore un objet d’horreur et de scandale, qui provoque une condamnation sans appel et sans aucun effort de compréhension de ce qui est souvent, aussi bien pour l’aimant que pour l’aimé, la chose la plus naturelle en ce monde contre-nature. L’adolescent, qui est l’une des plus belles créatures de Dieu, doit être fui en tant qu’objet d’amour, et celui qui l’aime doit baisser la tête, dans la honte et la crainte, lorsque l’objet de son adoration traverse, yeux brillants et longues jambes, son chemin durant le jour et ses rêves durant la nuit. Il doit garder le silence, de peur qu’un jour il ne soit jugé sévèrement et chassé de ce monde déjà si solitaire : hors-la-loi rejeté plus loin encore d’une société qu’il n’a jamais osé vraiment affronter.


Ralph-Nicolas Chubb (1892-1960) fut à la fois un mystique et un amateur de garçons. L’importance qu’il attachait à être entendu, et la croyance intense qu’il avait dans la vérité de ce qu’il écrivait, le conduisirent non seulement à consacrer sa vie toute entière à mettre ses pensées philosophiques par écrit, mais à les imprimer, à les éditer et à les distribuer lui-même. De 1924 à sa mort, voici trois ans, il travailla à ses livres tout seul, sans jamais hésiter ni tenter de dissimuler ce qu’il estimait avoir à dire. Sans peur — on pourrait dire peut-être même sans prudence — il distribuait les élégants prospectus de ses œuvres, dont chacune proclamait sa philosophie, qu’il savait, au fond de lui-même, condamnée par le monde qu’il essayait de convertir. Lentement, laborieusement, quand chaque page avait atteint le sommet de la perfection technique, les grands in-folio et les épais in-quarto sortaient des presses, chacun d’eux constituant un coup de clairon en faveur de l’amour des garçons en face d’un monde d’adversaires. Chubb est encore mal connu du public ; le tirage réduit de ses éditions et leur luxe en limitent l’accès à quelques privilégiés.


Ralph-Nicolas Chubb naquit à Harpenden, dans le comté de Hertford, en 1892. Peu après sa naissance, sa famille alla habiter Saint-Albans, d’où il partit pour s’inscrire à l’Université de Cambridge en 1910. Membre de Selwyn College, il y gagna un titre de champion d’échecs, et reçut le diplôme de « Bachelor of Arts », en 1913. L’année suivante il s’engagea dans l’armée, fut cité à la bataille de Loos en 1915, atteignit le grade de capitaine, mais fut réformé en 1918 pour neurasthénie aiguë. Après la guerre, il suivit les cours de l’École d’Art Slade et, dans les années 1920, exposa plusieurs tableaux et aquarelles dans les galeries londoniennes. En 1921, il quitta la capitale avec sa famille pour aller s’établir à Curridge dans le Berkshire. C’est là qu’avec son frère il construisit, avec du vieux bois récupéré ici et là, sa première presse sur laquelle il imprima ses trois premiers livres : Manhood (Humanité) en 1924, The Sacrifice of Youth (Le sacrifice de la jeunesse) en 1925, et A Fable of Love and War (Un conte d’amour et de guerre) également en 1925. Seule cette dernière œuvre nous intéresse ici : c’est l’histoire — en vers — d’un beau guerrier qui, la nuit précédant une grande bataille, rencontre un garçon de seize ans qui éprouve pour lui un véritable culte. Lorsque le guerrier lui confie qu’il a le pressentiment qu’il sera tué le lendemain, le garçon le supplie de le posséder, mais l’autre refuse, et ils se séparent. Alors une jeune fille, Marie, s’approche du garçon et réussit à le séduire. Bientôt la bataille commence, le garçon s’élance au combat et Marie reste là à trembler, en écoutant le bruit lointain de la canonnade. Enfin le cri de « Victoire ! » éclate, et elle retourne chez elle, mais c’est pour trouver sa maison en ruines, et pour découvrir, au milieu des décombres, un corps affreusement mutilé, dans lequel elle se refuse à reconnaître le garçon. Elle reconnaît, par contre, le corps du vaillant guerrier, lequel, après qu’elle est partie, réussit, bien que mourant, à se traîner jusqu’au cadavre du garçon et meurt à côté de lui. On nous dit, en conclusion, que finalement Marie renoncera à attendre le retour de son amant, mais qu’elle trouvera la consolation dans la naissance d’un enfant.


Ce poème ne peut à aucun point de vue être considéré comme bien écrit, mais il est le premier aperçu que nous ayons sur les tendances pédérastiques de Chubb, et le dernier reflet de ses fantaisies hétérosexuelles. Par la suite, dans toute son œuvre, la femme n’aura plus que l’unique rôle de mère de l’enfant-homme.


En 1927, Chubb renonça à sa petite presse à main et, avec sa sœur, s’installa dans un cottage près d’Aldermaston, où il devait demeurer le reste de ses jours. C’est une ironie du sort que ce grand combattant pour la paix ait ainsi vécu à quelques kilomètres de l’endroit où devait s’élever la grande centrale atomique anglaise, mais il ne semble pas qu’il y ait jamais fait allusion dans ses livres ou dans ses lettres.


Entre 1927 et 1930 il écrivit d’autres œuvres, toutes publiées par des maisons d’édition. The Book of God’s Madness (Le livre de la folie de Dieu, 1929), long poème en vers blancs, est l’un d’entre eux. Chubb y déclare son amour des garçons :


…Ô forme exquise de la jeunesse, j’aime ta vue
Ton contact, ton son, ton parfum, ton goût, ton tout…
…Je m’adresse aux femmes : voici votre roi !…
…L’amour de l’homme et du garçon est comme deux brasiers
Celui de la mère et du fils comme deux fleuves puissants et doux,
Celui de l’homme et de la vierge comme un maigre ruisselet.


Ce livre contient un des plus charmants bois gravés de Chubb : deux jeunes garçons nus au bord de la mer.


Songs of Mankind (Chants de l’Humanité, 1930) est une œuvre de beaucoup de poids. C’est un recueil de poèmes, illustré de bois gravés — les uns érotiques, les autres délicieux — où se trouve exposée la philosophie de Chubb. Dans un poème sauvagement prophétique, « Song of my Soul » ( « Chant de mon âme »), il crie cette évocation aux garçons d’aujourd’hui :


Ô ma langue brûlante, ô mes lèvres de feu, explorez mon amour !
Inondez sa gorge de la fontaine bouillonnante de mes vers !
Imbibez l’en ! Oignez-en ses reins, toute éloquence !
Ne laissez rien de lui, aucun repli inexploré !
Plonge au plus profond, ô ma langue poétesse !


Depuis longtemps Chubb réfléchissait au moyen de produire un livre parfait : « J’ai toujours rêvé, écrit-il, d’une méthode qui combinerait l’idée poétique, la typographie et le dessin, en un rythme libre et harmonieux, dans une parfaite unité, de façon que tous ces éléments soient interdépendants et tirent leur signification les uns des autres ». En 1929, il avait produit, pour un cercle restreint d’amis, un court ouvrage, intitulé Appendix, tiré au moyen de stencils manuscrits sur une ronéo, et cela lui avait peut-être donné l’idée de lithographier ses propres livres. En 1931, ce rêve se réalisa, et il publia son premier livre lithographié : The Sun Spirit (L’esprit solaire). C’est — de même que les trois livres qui lui font suite — un grand in-folio de 38 cm sur 27,5 cm. Aucun caractère métallique n’est utilisé, et le tout consiste en une reproduction lithographique de l’écriture et des illustrations manuscrites de Chubb. Rien ne permet de donner une idée de l’extrême complexité de l’aspect de ces livres lithographiés de Chubb. Quelques-uns d’entre eux exigèrent cinq ou six années de travail. Il tirait épreuves sur épreuves, jusqu’à ce que l’encrage et la pression fussent exactement ce qu’il fallait, notant au crayon, sur les épreuves, les fautes à corriger pour le tirage suivant. Il n’utilisait que le plus beau papier à la forme, de sorte que ses livres, en raison de leur prix de revient et du temps exigé par leur production, ne pouvaient être publiés qu’à très petit nombre d’exemplaires. Pour augmenter encore la perfection technique, il enluminait à l’aquarelle les illustrations de quelques exemplaires de chacun de ses livres. Je ne crois pas qu’il existe en France d’exemplaires de ces livres lithographiés ; très peu sont, en fait, entre les mains de collectionneurs, bien que Chubb encourageât toujours les amateurs par de nombreux prospectus et brochures publicitaires.


Les livres lithographiés de Chubb, qui sont au nombre de huit, se répartissent nettement en trois groupes.


Le premier groupe en comprend quatre : The Sun Spirit, 1931 ; The Heavenly Cupid (L’Amour céleste), 1934 ; Water-Cherubs (Chérubins d’eau), 1937 ; The Secret Country (Le pays secret), 1939.


The Sun Spirit est un drame visionnaire, dont voici brièvement résumée l’action : un vieux sage fait subir à son jeune disciple (Chubb lui-même) une série d’épreuves plus terribles les unes que les autres, jusqu’à ce que finalement Lucifer apparaisse en personne. Il est mis en fuite par un jeune voyant qui, tel l’apôtre Jean, a eu une vision de lumière, sous la forme d’une figure de garçon splendide, lequel n’est autre que Jésus ou Éros, c’est-à-dire l’Humanité divine consumée, embrassant les éléments masculins et féminins en une perfection spirituelle. Le livre est dédié à « Vous, véritables amants visionnaires de l’Enfance divine ». Chubb y a inclus une confession sur sa propre enfance, extrêmement intéressante et importante ; il y parle de ses désirs sexuels précoces, et de son amitié passionnée (à l’âge de dix-huit ans) pour un garçon de trois ans plus jeune.


The Heavenly Cupid est un in-folio à peu près quatre fois plus épais que le précédent. On l’a naturellement comparé — si grande est la similitude du style artistique — avec les livres prophétiques de William Blake, mais, comme l’a dit le critique littéraire du Times Literary Supplement (6 décembre 1934) : « Personne ne peut dire que ce livre est une simple imitation littéraire ; il s’agit évidemment d’un exemple de résultats parallèles obtenus par le travail de deux esprits de même nature ». Le corps du livre est un long essai prophétique sur l’avènement d’un Troisième Sexe, ou « Troisième Don ». C’est là la prophétie de base de Chubb, répétée à travers tous ses ouvrages. Il se considérait comme l’Ange annonciateur de ce Troisième Don, envoyé par Dieu pour proclamer la venue de l’Homme-Enfant destiné à gouverner le monde. Écoutons ses propres paroles :


« Raf, qui est l’enfant Rafi devenu adulte, est l’ange annonciateur du Troisième Don, l’ange de l’aube ; et c’est par l’Anglia, sa mère-patrie, qu’il rachètera le monde. Car il est la Pierre Angulaire, la pierre essentielle dans l’angle, qui à la fin des temps couronnera la pyramide universelle de l’évolution du monde. L’Anglia est le pays de la rose et de la couronne. Et ses adolescents aux cheveux d’or, aux lèvres de rose, aux yeux bleus, ne seront plus appelés Angles mais Anges. Et la génération cessera ; car la couronne d’or de l’univers sera posée sur la tête, et le sceptre d’or dans la main, de l’éternel Homme-Enfant. Oui, la verge de fer de la Volonté divine sera changée et adoucie en un sceptre d’or pur dans la fournaise ardente de l’Amour divin ».

(Flames of Sunrise)


Mêlé à ces écrits prophétiques on trouve beaucoup d’érotisme en vers et en prose. Il y a déjà dans The Heavenly Cupid un poème de cette nature, « Boys on the Quays » (Garçons sur les quais) ; mais il est dépassé par un court poème intitulé « The Ship Boy’s Tale » (L’Histoire du petit mousse), inséré dans Water-Cherubs. C’est l’aventure d’un garçon de quinze ans, que Chubb rencontre sur la vieille jetée d’un port. Le garçon l’emmène dans un coin discret et ils font l’amour. Ensuite, le garçon lui raconte sa propre histoire, quand il était mousse sur un bateau à l’âge de quatorze ans avec un garçon du même âge nommé Joe. Chacun d’eux avait son amant en titre, et les hommes se battaient pour eux comme des lions. « Nous, on était la prime » ! Un jour, l’amant de Joe séduit le narrateur et est surpris en flagrant délit par Charles, l’amant en titre de celui-ci. Ils combattent, sous les regards des deux garçons. C’est une lutte à mort et Charles est tué. Ainsi finit l’histoire dans la bouche du jeune garçon :


Je tombe, je hurle comme un fou.
Sur son corps inerte, là par terre,
Je tombe, je hurle, je l’inonde de mes larmes.
Pourquoi je te raconte ça, mon vieux ? parce que
J’en rêve la nuit. Je ne suis plus le même qu’avant.


The Secret Country, le dernier des volumes lithographiés du premier groupe, ne fut tiré qu’à 37 exemplaires, et vit le jour juste après le début de la seconde guerre mondiale. C’est un recueil de contes allégoriques, assez dans le genre des contes médiévaux de chevaliers en armure et de princes aux cheveux blonds, avec de nouvelles expériences visionnaires de Chubb.


Le second groupe d’ouvrages lithographiés comporte deux titres : The Child of Dawn (L’Enfant de l’aube), 1948 ; et Flames of sunrise (Les flammes de l’aurore), 1954. Ils sont beaucoup plus difficiles à analyser et à commenter : le symbolisme y est abondamment répandu et les chapitres y sont subdivisés à l’infini pour répéter encore et toujours, la prophétie de l’avénement du Dieu-Garçon.


Le troisième groupe se compose aussi de deux titres : Treasure Trove (Trésor trouvé), 1958 ; et The Golden City (La Cité dorée), publiée, après la mort de Chubb, par sa sœur en 1961. Ce sont des in-quarto, reliés en toile verte, qui reflètent la tranquillité d’âme de Chubb à la fin de sa vie. Ils contiennent peu de prophéties et consistent surtout en contes pastoraux, rédigés par Chubb dans sa jeunesse. L’amour des garçons y est à peine mentionné. De toute façon, Chubb, même s’il avait continué à vivre, n’avait plus l’intention de publier de livres, son œuvre était accomplie : c’était à l’humanité désormais de lire et de comprendre.


Pendant toute sa vie, Chubb trouva dans les garçons illumination et délice. Peut-être le mobile secret qui le poussait était-il le désir intense de rentrer en possession de sa propre enfance et de revivre les jours idylliques de son premier amour pour le garçon de quinze ans ? Souvent, dans ses visions, Chubb raconte comment il retrouve son enfance, ou comment, grâce à l’attouchement magique d’un garçon, il est transformé en adolescent et accepté dans le groupe des garçons nus qui jouent au bord de la rivière. Il prophétisait qu’un jour, tous les hommes auraient l’aspect de jeunes garçons éternellement préservés de la vieillesse. Mais le secret de l’alchimie du rajeunissement n’est pas encore trouvé : dans ses rêves, Chubb le possédait, et vécut heureux.


Timothy D’ARCH SMITH.


Nota des éditeurs d’Arcadie. — Mr. Timothy Smith prépare actuellement, au moyen de sa propre collection des livres de Chubb, un Catalogue raisonné des œuvres de ce poète, avec un Essai sur la vie de ce dernier par Miss. Muriel L. Chubb, sa sœur. Mr. Smith se fait un plaisir de répondre à toute question concernant Chubb. Nous le remercions d’avoir bien voulu confier à Arcadie la primeur de ses recherches sur l’œuvre et la personnalité de Ralph-Nicholas Chubb.



Version révisée en anglais :
Ralph Nicholas Chubb : prophet and paiderast

Voir aussi

Source

« Ralph-Nicolas Chubb : prophète et pédéraste » / Timothy d’Arch Smith, in Arcadie : revue littéraire et scientifique, dixième année, n° 111, mars 1963, p. 137-144. – Paris : Arcadie, 1963 (Illiers : Impr. Nouvelle). – 52 p. ; 22 × 14 cm.

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