René-François du Breil de Pontbriand

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René-François du Breil de Pontbriand (Pontbriand, 1705 - Paris, 1771?), abbé commandataire de Saint-Marien d’Auxerre, est resté célèbre pour avoir été le véritable fondateur de l’œuvre dite des petits Savoyards.

Il était le fils de Joseph-Yves du Breil, chevalier, comte de Pontbriand (1669 - 1710) qui fut un temps mousquetaire du Roi, et de Marie Angélique Sylvie Marot de la Garaye (1677 - 1732). Il se lança d’abord dans les armes, avant de se consacrer à l’état ecclésiastique.

La date et le lieu de son décès sont incertains : on pense qu’il est mort en 1771 dans l’établissement des Missions étrangères de la rue du Bac, à Paris. Mais certaines sources évoquent sa disparition dès 1760.

Œuvre et vie

Ce n’est peut-être pas par hasard qu’un prêtre connu pour son goût des garçons, l’abbé Desfontaines, avait fréquenté René-François de Pontbriand. Interné à Bicêtre pour la seconde fois en 1725, il demanda qu’on fasse intervenir en sa faveur ce digne ecclésiastique : « Faites agir de Gesvres et d’Avoust, aussi bien que l’abbé de Pontbriand. Je me recommande à eux tous. »[1]

Quelques années plus tard, en 1731 ou 1732, l’abbé de Pontbriand s’intéressera de très près à la condition misérable des jeunes ramoneurs. Il ranimera pour eux l’œuvre des « Petits Savoyards », un institut pour les enfants pauvres qui avait été créé une soixantaine d’années plus tôt par Bénigne Joly, futur chanoine de Dijon, puis repris par Claude Hélyot, après la mort duquel il avait périclité.

Touché de l’abandon dans lequel se trouvaient les jeunes savoyards,[2] Pontbriand reprit l’œuvre en main. Il lui consacra son temps et sa fortune, veillant tout d’abord à l’instruction religieuse des enfants des rues ; ouvrant pour eux des « écoles de charité » gratuites ; et enfin leur apportant toute l’aide dont ils avaient besoin. Très vite il étendit son ministère aux petits ouvriers venus d’autres régions, en particulier les Normands et les Auvergnats, qui étaient plusieurs milliers à travailler dans les rues de la capitale ; il mit en place également des structures destinées aux adultes. Ses écrits brossent un tableau des petits métiers de Paris à cette époque :

« Les Savoyards sont frotteurs, scieurs de bois, et font plusieurs autres ouvrages. Ils sont divisés par évêchés et par paroisses, vivent en communauté avec les petits Savoyards, dont ils ont soin. […] Les Auvergnats sont presque tous porteurs d’eau ; ils ont avec eux plusieurs petits enfants dont ils sont les chefs, comme parmi les Savoyards. […] Les Normands sont tailleurs de pierre, paveurs et marchands de fil.[3] »

Pour les jeunes Savoyards arrivés à l’adolescence, et qui, ne retournant pas vivre au pays, voulaient s’engager comme domestiques, l’abbé de Pontbriand s’efforçait de trouver de bons maîtres. Ceux-ci, comme le note Peyrefitte, pouvaient être pédérastes :

« Il était sensible à la misérable condition des petits Savoyards qui venaient à Paris ; le plus souvent leurs familles les abandonnaient au vice, et il s’occupait de les faire admettre dans l’institut, fondé en 1665 par l’abbé Joly, pour les enfants pauvres. Il les plaçait également chez des particuliers ; quelquefois, les enfants passaient du vice public au vice privé. Mais, si l’abbé de Pontbriand était un recruteur de la manchette, c’était certainement à son insu.[4] »

Le bon prêtre n’était peut-être pas aussi naïf que Peyrefitte semble le croire, car il était nécessairement en contact fréquent avec des jeunes garçons débauchés ou prostitués. On peut même penser qu’il sublimait en partie des tendances pédérastiques, comme c’est le cas de nombreux éducateurs, et qu’il dissimulait bien ce qu’il n’en sublimait pas. Peut-être pensait-il qu’un petit ramoneur serait mieux loti d’être aimé par un seul maître plutôt que d’être utilisé par plusieurs clients successifs ; et qu’à tout prendre, il valait donc mieux le placer chez un pédéraste bienveillant et discret que de lui laisser courir les rues.

À sa mort, ce bienfaiteur de l’enfance malheureuse fut remplacé par l’abbé de Fénelon, qui devait mourir plus tard sur l’échafaud révolutionnaire.

Moralisation des ramoneurs

Cette action humanitaire avait son revers dans un inévitable embrigadement moral : les petits travailleurs des rues furent repérés, recensés et recrutés par l’abbé de Pontbriand — avec la collaboration active des enfants les plus dociles et de certains chefs. On put alors leur rabâcher les principes chrétiens, non seulement deux fois par semaine lors des réunions de catéchisme, mais jusque dans leurs lits :

« Comme nous les trouvons huit à dix dans une même chambrée ; qu’ils se couchent et se lèvent presque à la même heure, nous leur avons promis une Prière par écrit qu’ils diront tous ensemble ; par là chaque chambrée sera une petite communauté où on priera Dieu soir et matin. […] Dans la suite nous aurons dans tout Paris quelques-uns des plus sages d’entre eux à notre disposition pour nous avertir de tout ce qui se passera dans les chambrées, et pour nous informer de ceux qui sont les plus éloignés des sacrements.[5] »

Le démon de la chair fut-il chassé par toutes ces oraisons et ces délations ? Sans doute quelque peu, et pendant un certain temps… On peut cependant faire confiance à la lubricité naturelle du mâle humain, qu’il soit homme ou garçon, pour reprendre finalement le dessus contre tous les endoctrinements. D’ailleurs, le brave abbé ne se faisait pas trop d’illusions sur les motifs qui poussaient les enfants à s’intéresser à la religion :

« Comme ces enfants sont ici livrés à eux-mêmes, pour les attirer dans nos instructions, nous sommes obligés de leur donner beaucoup de récompenses.[6] »

Notes et références

Référence pour la notice biographique : P. M. du Breil de Pontbriand, Histoire généalogique de la Maison du Breil, 1889-1895.

  1. Roger Peyrefitte, Voltaire et Frédéric II, vol. 1, p. 241.
    Peyrefitte commente ainsi cette énumération : « Le duc de Gesvres, grand et petit ami de M. le Duc, était un des plus célèbres chevaliers de la manchette [homosexuel, dans le jargon de l’époque] et M. d’Avoust un des plus honorables ».
    Cela permet de supposer que Pontbriand, cité en troisième lieu, avait les mêmes mœurs que les deux premiers. Il n’y a là aucune certitude, mais l’innocence de l’abbé de Pontbriand n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le croire à première vue.
  2. On appelait couramment savoyards les jeunes Savoyards qui exerçaient le métier de ramoneur. La Savoie ne faisait pas alors partie du royaume de France.
  3. R.-F. du Breil de Pontbriand, Progrès de l’établissement commencé depuis peu pour les Savoyards qui sont dans Paris : seconde partie, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1737, p. 14-15. – Au XVe siècle, le mot « ramoneur » avait un sens obscène (organe qui « ramone » une femme). Puis il a remplacé, peu à peu, l’ancien « ramoneux », nom de l’ouvrier. C’est sans doute pour éviter cette équivoque sexuelle que l’abbé de Pontbriand emploie plutôt le terme générique de « frotteurs ».
  4. Roger Peyrefitte, Voltaire et Frédéric II, vol. 1, p. 241-242.
    Selon son propre témoignage dans le Projet d’un établissement déjà commencé pour élever dans la piété les Savoyards…, imprimé en juillet 1735, Pontbriand aurait eu pour la première fois l’intention de s’occuper des petits Savoyards « il y a trois ans », c’est-à-dire vers 1732. Peyrefitte anticipe de plusieurs années son action en la situant dès 1725, au moment de la seconde incarcération de Desfontaines. Il semble donc que celui-ci ait eu quelque autre motif de connaître Pontbriand. Ou alors il faut croire que l’intérêt de Pontbriand pour les ramoneurs était beaucoup plus ancien qu’il ne l’a reconnu dans ses ouvrages, et peut-être d’une tout autre nature… Il est possible que l’abbé, sous une influence que nous ne connaissons pas et après une vie dissolue, se soit converti vers 1730, ce qui expliquerait à la fois ses accointances antérieures avec Desfontaines, et son action ultérieure d’évangélisation auprès des savoyards.
  5. Pontbriand, Projet d’un établissement déjà commencé pour élever dans la piété les Savoyards…, p. 22 ; Progrès de l’établissement commencé depuis peu pour les Savoyards…, p. 22.
  6. Pontbriand, Progrès de l’établissement commencé depuis peu pour les Savoyards…, p. 24-25.
    En 1739, l’abbé de Pontbriand fit paraître chez le même éditeur un troisième tome, intitulé Suite du progrès de l’établissement pour l’instruction de tous les enfans et de tous les ouvriers des rues de Paris…