Tombeau pour 500.000 soldats (extrait 3)

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L’extrait ci-dessous de Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat, édité en 1967 par Gallimard, évoque Serge adolescent, travaillé par la puberté.


Serge adolescent

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Extrait précédent
Le chef et les marmitons




Serge et Fabienne marchent pieds nus dans le palais et dans le parc ; ils ont au pied une corne dure. Dans les chambres, ils vivent le plus souvent nus ; l’hiver, sans chauffage, le torse serré dans un seul pull-over. Ils n’ont pas d’argent de poche, ils réparent eux-mêmes leurs vieux jouets. Leurs cheveux sont coupés ras. Serge élève des couleuvres dans sa chambre, il les laisse s’enrouler autour de ses jambes, se lover sous son sexe ; des lézards mordent ses cahiers, des scarabées roulent dans les plis de ses draps. Serge, avant de se coucher, s’enferme dans le cabinet de toilette, il sort sa tête et son genou d’entre les rideaux, il lance des appels de bordel, il fait mousser sa salive sur ses lèvres, il fouille sa braguette déboutonnée ; puis d’un bond, il est au milieu de la chambre et il marche, les poings aux poches, les cheveux emmêlés sur le front, le ventre en avant, les épaules roulées, froisse deux doigts de sa main, regarde le rideau de haut en bas, alors sa taille frémit, ondule, ses lèvres s’ouvrent, sa tête s’incline sur l’épaule. Et toute la nuit, dans le brouillard de sueur, nu, il lutte avec l’oreiller entre ses cuisses et sous sa poitrine et sous ses dents. Aux premiers cris des coqs, il s’endort, arc-bouté, au bas du lit, le sexe allégé sous l’ombre du ventre. La fraîcheur renverse son corps sur le dos, ouvre ses jambes, sèche le sperme sur ses cuisses et dans ses poings desserrés. L’hiver, au plus fort des nuits glacées, la fenêtre est ouverte et le vent gonfle le drap et soulève les mèches du front de Serge. La sentinelle frôle le mur. Serge s’éveille avant l’aube, il va, nu, à la fenêtre, se penche, siffle, la sentinelle voit le torse nu de l’enfant : « Les étoiles s’y reflètent, tellement il est poli et transparent. — Des poux courent dans ta chevelure. Quand m’emmèneras-tu chez tes putains, Nano ? — Je leur ai parlé de toi. Je leur ai dit la couleur de tes yeux, le timbre de ton torse, le tressaillement de ton ventre. Elles ont cloué ta photo au mur de leur salon d’attente. — Nano, leurs bébés naissent-ils sur le carrelage souillé ? — Ils y vivent aussi. — Nano, quand tu es sale… — La putain lèche ma crasse, n’importe où sur mon corps. Elle croque mes genoux et mes coudes. — Cette nuit, ta femme, en Ecbatane, se lève et recouvre tes enfants déshabillés par le cauchemar. Elle les prend dans son lit, sous ses aisselles… — Ici, tous les enfants sont sales, morveux, le cul crotté, infirmes, souillés… Penche-toi. » Serge tremble, il penche sa tête vers le soldat, celui-ci change son fusil d’épaule, il lève le bras, avance la main vers le visage du garçon, caresse ses joues, son front, enfonce sa main dans le pyjama, le long des fesses, attire la tête du garçon vers sa poitrine et l’embrasse sur le coin des lèvres. Le soldat a les joues et le bord des lèvres durcis par le gel ; sous le casque léger, sa chevelure, fraîchement savonnée et rincée, ruisselle ; Serge entrouvre ses lèvres et sa langue touche les lèvres du soldat ; dans les narines, les poils sont collés par le café noir et trop sucré. Les yeux du soldat brillent et des larmes roulent sur sa lèvre supérieure ; Serge les boit.




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Table des extraits
1. Aïssa
2. Le chef et les marmitons
3. Serge adolescent
4. Les frères de Kment
5. Le cardinal
6. Les castrats du cardinal
7. L’enfant et le soldat
8. Le bordel du général
9. Les enfants perdus
10. Draga et le soldat
11. Les souvenirs de Pétrilion
12. Pétrilion et Draga
13. Pétrilion et le chien
14. Les garçons des rues
15. Bagne pour garçons
16. Les esclaves de Titov Veles
17. La mère de Cendre

Voir aussi

Édition utilisée

  • Tombeau pour cinq cent mille soldats : sept chants / Pierre Guyotat. – Paris : Gallimard, 1967 (Saint-Amand : Impr. Bussière). – 496 p. ; 21 × 14 cm. – (Le chemin).
    P. 76-77.

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