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Les extraits ci-dessous de Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat, édité en 1967 par Gallimard, évoquent la vie de nombreux enfants qui grandissent dans des bordels, ou qui errent et se prostituent dans les rues.


Les enfants perdus

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Extrait précédent
Le bordel du général




« Ne me prenez pas ma liberté. Vous vous faites une affreuse idée des bordels. Moi, c’est mon élément naturel. Vous, vous obéissiez à une gouvernante, moi, à des maquereaux. Vous appreniez la science, moi, j’apprenais l’amour. Je sais me servir de mon corps. Je sais être beau sans y prendre garde, en pissant, en dormant ; je sais être noir, jaune, rouge, nègre, viking, grec, esclave rameur ; ma salive sale comme le ressac, va et vient sur le ventre des hommes comme le ressac, tombe dans leur bouche ouverte comme la pluie, recuit leurs paupières, comme la pluie tombée des feuilles, mon ventre se creuse et se soulève sous leurs lèvres comme la boue dans les marécages ; je suis enchaîné, cloué à la banquette de cuir, au lit défoncé, à la paillasse humide, au carrelage visqueux, au ciment, les vers cracheurs craquent, s’écrasent sous mon dos. — Tais-toi, tais-toi. — Enfant, la monitrice me dépose, emmitouflé de couvertures, au seuil du bordel, une main me soulève par la nuque, la monitrice s’enfuit, je me tais, la peur me pousse dans la salle surchauffée où coulent à flots le vin et le sperme ; la couverture est arrachée, jetée sous une banquette, un jeune homme écrit sur un livre de comptes, au fond de la salle ; une main saisit ma gorge, la serre ; une porte s’ouvre, au fond, un souffle de vent et d’herbe jailli du jardin obscurci, fouette mon visage ; la main me soulève par la nuque, comme un petit chat.
[……]
Les soldats en groupes serrés descendent vers la ville basse ; des enfants sortis des tas d’ordures, leur font des signes obscènes, les soldats rient, bondissent en avant, avec des cris ; les enfants reculent, s’avancent de nouveau, ramassent des ordures et les jettent aux pieds des soldats. Un enfant nu se relève d’une cage à lapins défoncée — un homme se cache derrière un eucalyptus — monte sur le tas d’ordures ; un soldat le vise, le canon du P.M. descend aux pieds de l’enfant, remonte le long de ses jambes, le soldat y voit couler un peu de sperme mêlé de boue ; les soldats s’éloignent, l’homme sort de l’arbre, court vers la cage où l’enfant se couche, les jambes écartées, le visage enfoui dans la litière ancienne, pourrie, excrémentielle, la poitrine creusée au-dessus des clous et des fils de fer, le sexe écrasé sur le grillage : les soldats, l’arme à la main, escaladent les ruines et les remblais ; des enfants nus, ou le sexe, ou le genou, ou la gorge entortillés dans des chiffons, le dos, les fesses, la joue rougis, se réveillent aux pieds des soldats et surgissent la tête couverte de paille ; dans leurs trous encore chauds, des rats tremblent, se chevauchent avec des petits cris.
[……]
Kment se lève, revient vers la blanchisserie, les enfants le suivent, leurs pieds foulent la terre et les cailloux. Dès qu’ils touchent quelque chose de mou, de frais, l’enfant se penche, s’accroupit, ramasse, mange et gratte la terre autour. Kment s’assied contre l’eucalyptus, en face de la blanchisserie : l’homme est couché sur l’enfant dans la cage à lapins ; il entend les pas et les murmures des enfants, il se relève, ses deux mains appuyées au bord de la cage ; l’enfant piétiné, ébloui, le corps aplati, les joues couvertes de la salive de l’homme, se redresse sur ses coudes ; l’homme sort un billet de sa poche et le jette sur le ventre de l’enfant. Kment se lève, l’homme met ses mains devant son visage et s’enfuit. L’enfant porte le billet à Kment. Le garçon le prend, les enfants font cercle autour de l’arbre, Kment, le billet à la main, entre dans l’épicerie : petite boutique en chaume et terre battue, des bébés se roulent derrière la claie de bambou. Kment donne le billet, prend un pain, sort ; les enfants viennent à lui. Kment fait asseoir les enfants autour de l’arbre, arrache un morceau, le tend à l’enfant que l’homme vient d’étreindre, et distribue le reste aux autres. Et il s’en va. Il rejoint l’homme qui descend vers le fleuve, au bas de la ville, l’homme se retourne, voit briller le petit couteau sur la cuisse du garçon, Kment bouge le petit couteau autour de son sexe, et sourit à l’homme. Sous l’arbre, les enfants mangent, celui étreint par l’homme sent encore la sueur, le tabac et le vêtement d’homme. Les enfants ramassent les miettes sur leurs cuisses, sur la terre, autour d’eux ; leur ventre vite gonflé, les plus grands le mesurent, le palpent, imaginent la trajectoire du pain dans l’estomac, dans les intestins, essaient de se dégoûter de ce pain mou, enduit de sucs pâles, tombant de poche en poche, et pourrissant, bloqué dans les reins. Les enfants bâillent, se couchent sur la terre, la nuque appuyée contre les racines de l’eucalyptus. Kment marche derrière l’homme, glousse ; des brasiers, des flaques fument dans les fossés ; les cloches de l’archevêché tintent dans le haut de la ville, l’homme ralentit, s’arrête, se retourne : « Si tu veux me tuer, fais-le vite. Jette-toi sur moi, prends ma gorge, dépêche-toi. » L’homme lève les bras, renverse la tête en arrière, sa gorge brille sous le soleil ; un grand paquebot bleu et blanc sort du port d’Inaménas. Kment marche vers l’homme, il crache sur cette gorge lisse et palpitante, il crache, il crache, il brûle la gorge de l’homme avec ses crachats.
[……]
Une jeep descend vers le port : le général est dedans, il regarde les petites rues, sa main est posée sur la cuisse du chauffeur moulée dans le treillis, les enfants volent autour de la jeep ; les frères de Kment s’exposent sur la jetée, la jeep roule dans les embruns, le général caresse au passage les joues et les cuisses des frères de Kment, la jeep s’arrête, le général descend puis il appuie son doigt sur le ventre d’un garçon, il va s’asseoir au milieu de l’escalier qui descend dans la mer, les soldats saisissent le garçon, ils le poussent dans l’escalier, le général le fait asseoir sur les marches au-dessus de lui, puis il renverse sa tête entre les cuisses du petit garçon et la roule et la frotte contre le sexe tendrement gonflé sous le short léger, les soldats gardent l’escalier, repoussent les enfants déboutonnés.




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Table des extraits
1. Aïssa
2. Le chef et les marmitons
3. Serge adolescent
4. Les frères de Kment
5. Le cardinal
6. Les castrats du cardinal
7. L’enfant et le soldat
8. Le bordel du général
9. Les enfants perdus
10. Draga et le soldat
11. Les souvenirs de Pétrilion
12. Pétrilion et Draga
13. Pétrilion et le chien
14. Les garçons des rues
15. Bagne pour garçons
16. Les esclaves de Titov Veles
17. La mère de Cendre

Voir aussi

Édition utilisée

  • Tombeau pour cinq cent mille soldats : sept chants / Pierre Guyotat. – Paris : Gallimard, 1967 (Saint-Amand : Impr. Bussière). – 496 p. ; 21 × 14 cm. – (Le chemin).
    P. 306, 307, 312-313, 349-350.

Articles connexes