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Cette étude historique intitulée Variation autour d’un mariage royal (série Entre les lignes), par Jacques Fréville, a paru en mars 1965 dans la revue homophile Arcadie.

Texte intégral

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ENTRE LES LIGNES




VARIATION AUTOUR

D’UN MARIAGE ROYAL




Une lettre de Voltaire.

C’est un fragment de lettre de Voltaire qui m’a mis, cousins, en appétit.

Cette lettre, non datée, se situe au début de juillet 1724 ; elle est adressée à la présidente de Bernières. J’y lus ceci :

« Si vous me promettez de m’envoyer bien exactement les nouvelles à la main que vous recevez toutes les semaines, je vous dirai pourquoi Mr de La Trimouille est exilé de la Cour, c’est pour avoir mis trés souvent la main dans la braguette de sa majesté trés chrétienne. Il avoit fait un petit complot avec Mr le comte de Clermont de se rendre tout deux les maîtres des chausses de Louis 15 et de ne pas souffrir qu’aucun autre courtisan partagent leur bonne fortune. Mr de La Trimouille, outre cela, rendoit des lettres au roi de mademoiselle de Charolais dans lesquelles elle se plaignoit continuellement de Mr le Duc. Tout cela me fait trés bien augurer de monsieur de La Trimouille, et je ne sauroi m’empêcher d’estimer quelqu’un qui à seize ans veut besogner son roi et le gouverner. Je suis presque sûr que cela fera un trés bon sujet. »


Monsieur le Duc et sa maîtresse

1724… Monsieur le Duc règne, et sa maîtresse gouverne. Lui, c’est le duc de Bourbon, vieux viveur borgne, « un prince d’une bêtise presque stupide », nous dit Duclos. Elle, c’est la Prie, Berthelot, marquise de Prie, marquise comme ces comtesses dont Balzac nous a dit qu’elles sont « comtesses de politesse ». Il en fleurit sous tous les règnes ; il s’en fane sous tous les régimes.

La Prie, pour gouverner, a besoin que, si symbolique soit-elle, la faveur royale continue de protéger son illustre protecteur. Et, si borné soit-il, Monsieur le Duc, premier ministre, le sait aussi bien qu’elle. Pour parvenir à cette louable fin, l’illustre couple a une belle arme sous la main : c’est Mlle de Charolais, sœur de Monsieur le Duc. Encore faut-il que le jeune roi daigne jeter les yeux sur elle. Et c’est ailleurs — enfer et damnation ! — qu’il les jette et les plonge à plaisir.


Alternances des amours royales

Il est de fait, à la cour de France, depuis un siècle et plus, que les amours royales suivent une courbe élégante ; elles alternent de la belle manière. C’est une loi. C’est presque un mystère. On constate la chose. On ne se l’explique pas.

Les dames régnaient sous Charles IX, et les messieurs sous Henri III, les dames régnaient sous Henri IV, et les messieurs sous Louis le Juste, les dames régnaient sous Louis le Grand, et sous son successeur…

— C’est donc, s’écria la duchesse de La Ferté, en apprenant la mort du Roi Soleil, que le tour des Favoris est revenu.

Mme de Prie ne voulait pas que cela fût, alors que cela, déjà, commençait d’être…


Une garden-party à Versailles

Une belle nuit d’avril 1722, messieurs du tour de garde surprirent six jeunes seigneurs qui se livraient, au clair de lune, dans le parc de Versailles, sous les fenêtres du jeune roi Louis XV,[1] à des abominations que ma plume répugne à rapporter. Ces jeunes gens avaient nom Meuse (le futur Choiseul), Alincourt, Ligny, Boufflers (qui furent tous deux lieutenants généraux par la suite), Rambure et Retz, le dernier âgé de vingt-cinq ans.[2]

C’était trop gros gibier pour qu’on le dépêchât. Seul, le marquis de Rambure, qui avait déjà trop entrepris sur le petit abbé de Clermont,[3] du même âge que le jeune roi, fut envoyé, pour peu de temps, à la Bastille.[4] Il y prit ses repas — noblesse oblige — à la table du Gouverneur. Le roi n’avait rien vu. Mais il fallait veiller. Mme de Prie, quand son amant prit le pouvoir, remplaçant le cardinal Dubois, fit nommer comme lieutenant-général de police Ravot, son cousin-germain, seigneur d’Ombreval qui, sur-le-champ, sortit d’archives empoussiérées une vieille ordonnance contemporaine du roi saint Louis, aux termes de laquelle il fallait, sans autre forme de procès, « tourner les libertins au pilori » et les « ardre », ce qui, comme vous savez sans doute, veut dire les brûler, en ancien style.


Un « très bon sujet »

Ce fut alors qu’entra en lice le petit La Trémoille,[5] ce jeune homme voué (dixit Voltaire) à devenir « un très bon sujet ».

L’affaire éclata le 26 juin 1724. Flagrant délit. Aucune échappatoire possible. Il fallait agir. La Prie fulminait.

Ce La Trémoille était joli garçon, d’une hardiesse folle, et « faisant parade de tout ce que les autres cachent ». Immédiatement, le prince de Tallemont, oncle du jeune effronté, fut sommé de l’enlever en carrosse, et de lui faire épouser, pour sa pénitence, Mlle de Bouillon. Qui fut dit fut fait.[6]

Ce qui mettait le comble à la rage de la Prie, c’était que ce La Trémoille s’était vanté à qui voulait l’entendre de « faire manquer » au roi Mlle de Charolais, « en se portant hardiment son adversaire et rival ».

Le crime était patent, et la vertu royale menacée. La Prie expédia le jeune Louis XV à Chantilly.


Les mânes du Grand Condé

Chantilly ! Quelle gageure ! Les mânes du Grand Condé[7] régnaient sur Chantilly. Et le Grand Condé, en quittant ce monde, avait laissé dans Chantilly le souvenir d’amours bien peu orthodoxes…

La Prie avait laissé la garde du jeune roi au duc de Gesvres[8] qui, bien qu’il n’eût alors que quinze ans, était déjà gouverneur de Paris, et gentilhomme de la Chambre Royale. C’était un bon jeune homme, apparemment, car c’était lui, précisément, qui avait dénoncé le petit La Trémoille. Il avait pourtant des allures suspectes ; il entretenait avec des bains de lait la fraîcheur de son teint, et à la ville comme à la cour, portait le surnom de « Colifichet ». Étrange mentor…


Les nœuds de contentement

Bientôt, de méchants bruits revinrent aux oreilles de la Prie.

Gesvres et le jeune duc d’Antin[9] s’enfermaient avec le roi dans Chantilly, à journées faites, pour y tisser, pour y filer, pour y faire de la dentelle et y tripoter du chiffon. On tripotait même un peu par-delà. Charmant garçon, ce petit d’Antin : il n’avait pas son pareil pour faire sortir, d’une navette, les « nœuds de contentement », alors fort à la mode…

Ce que sachant, la Prie eut une idée. Une idée simple mais sublime. Comme l’idée de l’œuf, chez Christophe Colomb : il fallait marier le roi.

La Prie fit venir des portraits de princesses, compara, goûta, jugea. Et le roi contresigna. Le jugement s’appelait Marie Leczinska. Elle avait de la vertu, des illusions, quelque candeur, bref, tout ce qui manquait à la Prie. Donc, la Prie apprécia.


Un lampiste, pour l’exemple

Pendant ce temps, Monsieur le Duc et sa maîtresse avaient été littéralement vomis par l’opinion : de sordides histoires d’agiotages sur les blés avaient mis le comble à la mesure, qui, depuis longtemps, était déjà bonne. Le couple dut jeter du lest : on nomma lieutenant-général de la Police M. Hérault (père du futur Hérault de Séchelles, qui, depuis… Mais c’est une autre histoire) ; et le cousin d’Ombreval rentra dans l’ombre.

À peine arrivé à son nouveau poste, M. Hérault (la chose est de tous les temps) fit du zèle. On fouilla tous les repaires « d’infâmes » : les bains du sieur Bonco, rue des Saints-Pères, le Petit-Suisse, rue Saint-Roch, la Pomme de Pin, rue Bailleul, l’Hôtel d’Espagne, rue du Vieux-Colombier, le Saint-Esprit, au Marais, l’Hôtel de Laon, dont le tenancier, Lecerf, fournissait de garçons les mousquetaires noirs, la Demi-Lune, au faubourg Saint-Antoine ; j’en passe, et des meilleurs. On ne prit, au bout du compte, qu’un pauvre « bougre », un nommé Deschauffours. Et ce lampiste, pour l’exemple, paya. On le brûla et avec lui les pièces de son procès. C’était hygiène, sans doute, mais c’était aussi simple prudence. Car les pièces du procès auraient par trop parlé, citant des noms fameux.


Pour le roi de Prusse

Ce n’étaient que hauts prélats, grands dignitaires, ducs à brevet, cordons bleus, chevaliers de Saint-Lazare, et chevaliers (oui, cher Peyrefitte), chevaliers de l’Ordre de Malte, outre, pour faire l’appoint, magistrats, conseillers au Châtelet, et, en prime, le grand-maître des Eaux et Forêts, et, en surprime, le prévôt de Paris. Le manteau de Noé enveloppa tout le monde.

Une exception est à noter, celle d’un peintre, âme candide, et qui prit peur. Emprisonné, il ne sut pas attendre un jour meilleur, qui, sans doute, fût enfin venu, pour lui comme pour les autres. Il se trancha la gorge, dans la nuit du vendredi au samedi 20 septembre 1725, se dénonçant ainsi fort naïvement. Il s’appelait Jean-Baptiste Nattier. Membre de l’Académie de peinture, il avait alors quarante ans et se trouvait en pleine renommée. Il fut en cela moins fortuné que Largillière, qui se tira indemne de la même affaire. À l’annonce de son suicide, les membres de l’Académie de Peinture s’empressèrent de prononcer la déchéance de Nattier et de faire disparaître son tableau de réception (Joseph et la femme de Putiphar) : bel exemple d’une touchante unanimité, rare dans le monde des Lettres et des Arts… (1).

Les complices de Deschauffours qui appartenaient au menu peuple allèrent en prison. Ils y restèrent jusqu’en 1740, année de l’avènement de Frédéric II au trône de Prusse. Frédéric, en effet, dès son avènement, fit chercher à travers l’Europe entière de beaux hommes vigoureux, aptes à tous genres de combats. Les prisons se vidèrent de mâles généreux qui, depuis « l’affaire », manquaient d’emploi. Ce fut ainsi qu’avec ce que la France considérait comme des « déchets d’humanité » Frédéric courut de combats en victoires… et d’amours en amourettes. Ceci, tout compte fait, donne à réfléchir.

Une autre conclusion ne donne pas moins à songer : c’est la longue vie de Louis le Bien-Aimé, inaugurée sous les auspices que, maintenant, vous connaissez. Paul Bourget disait qu’ « il n’y a pas de mauvais livres ; il y a de mauvais moments pour lire les meilleurs livres ». Ne peut-on pas dire, de la même manière, qu’il n’y a pas de mauvais maîtres ; il y a de mauvais moments (ou de bons, c’est affaire de sentiment personnel) pour se faire enseigner par les meilleurs maîtres.

Voilà, cousins, tout ce que j’ai pu lire, entre dix lignes de Monsieur de Voltaire.

Votre cousin de Béotie,


Jacques FRÉVILLE.



  1. Sur toute cette affaire, voir Alain, Voltaire fut-il un « infâme » ? dans le numéro 3 d’Arcadie (mars 1954).


Voir aussi

Source

  • « Variation autour d’un mariage royal » / Jacques Fréville, in Arcadie : revue littéraire et scientifique, 12e année, n° 135, mars 1965, p. 129-134. – Paris : Arcadie, 1965 (Illiers : Imp. Nouvelle). – 52 p. ; 22 × 14 cm.

Articles connexes

Notes et références

  1. Louis XV, né le 15 février 1710, roi de France depuis la mort de son arrière-grand-père Louis XIV en 1715, avait alors douze ans.
  2. « Au clair de la lune, dans un bosquet de Versailles, il plaisait à ces jeunes seigneurs qui sont presque tous nouvellement mariés de s’enculer assez publiquement. Le marquis de Rambure [quelques mots rayés] par toute la bande, et l’on dit qu’il en voulait à M. l’abbé de Clermont qui est de l’âge du Roi. Il est à la Bastille et les autres sont exilés, l’un d’un côté, l’autre d’un autre. Tout cela, hors le duc de Retz, n’a guères plus de 20 ans. » (E. J. F. Barbier, Journal historique et anecdotique, août 1722, BnF, mss fr. 10285, folio 229 verso).
  3. Louis de Bourbon-Condé, comte-abbé de Clermont, né le 15 juin 1709, mort le 16 juin 1771. Il avait presque treize ans.
  4. Le marquis de Rambure fut détenu à la Bastille du 1er au 7 août 1722 (Archives de la Bastille, n° 10 760).
  5. Charles Armand René de La Trémoille, né le 14 janvier 1708, mort le 23 mai 1741. Il avait donc seize ans en 1724, et Louis XV en avait quatorze.
  6. Le mariage de Charles de La Trémoille avec sa cousine Marie Hortense de La Tour d’Auvergne eut lieu le 29 janvier 1725.
  7. Louis II de Bourbon-Condé (16211686), pair de France et premier prince du sang.
  8. François-Joachim Bernard Potier, duc de Tresmes et de Gesvres, pair de France, premier gentilhomme de la chambre du roi, était gouverneur de Paris depuis 1722. Né en 1692, il avait donc trente-deux ans, et non quinze, en 1724.
  9. Louis de Pardaillan de Gondrin, deuxième duc d’Antin (1707 – 1743). Il avait été marié en 1722, à l’âge de quinze ans, à Françoise Gillonne de Montmorency, de trois ans son aînée.