Bramy raju (Jerzy Andrzejewski)

De BoyWiki
(Redirigé depuis Bramy raju (Andrzejewski))
Page d'aide sur l'homonymie Pour les articles homonymes, voir Les portes du paradis.

Bramy raju est un roman historique polonais de Jerzy Andrzejewski, publié en 1960. Il a été traduit l’année suivante en français sous le titre Les portes du paradis.

Intrigue

Tout en marchant, les participants à la croisade des enfants se confessent tour à tour. L’histoire est construite autour d’un personnage de Don Juan pédéraste, d’un beau petit berger charismatique blond « à la démarche malhabile de gamin », et des désirs et plaisirs qu’ils suscitent autour d’eux.

Un confesseur ayant beaucoup vécu accumule les désillusions en cherchant les motivations de ce zèle religieux juvénile, qui semblent aller à contre-courant des aspirations personnelles et des intérêts amoureux des jeunes croisés.

Forme littéraire

Tour de force stylistique dans la veine du Nouveau roman, ce livre tient en deux phrases. La seconde est : « Et ils marchèrent toute la nuit. »

Extraits


[…] je me souviens qu’il est écrit que l’amour peut faire des miracles, qu’il peut transporter des montagnes et faire encore quelque chose dont je ne me souviens plus, moi, mon amour, il ne m’a jamais aimé, il n’a même pas eu besoin de me dire : déshabille-toi, car nous étions aux étuves et j’étais tout nu, il étendit sur le banc le manteau pourpre dont il m’avait fait présent le jour de mes quatorze ans, je me souviens d’une nuit dans un temps si lointain qu’il me semble que je ne pouvais exister encore, mais j’existais cependant, c’était une nuit de printemps, la lune déversait à flots sa lumière mais je me suis réveillé non pas dans le silence de la nuit et non pas baignant dans la lumière diffuse de l’astre, mais dans les flammes qui jaillissaient de toutes parts et dans une grande […][1]


[…] puis je fis lentement demi-tour et m’éloignais, mes compagnons m’appelaient à haute voix, je ne leur répondais pas, je voulais être seul, ce n’est qu’au crépuscule que je revins ce jour-là au palais et puis, il contempla un instant l’arc-en-ciel qui commençait à escalader le zénith, et continua : et puis j’ai essayé de ne plus y penser, c’était le printemps, je sentais son regard reposer sur moi plus souvent que de coutume, il me fit présent de ce beau manteau pourpre, en me le donnant il a dit : dans deux ans tu recevras des éperons d’or et une ceinture de chevalier, un autre jour, en me prenant par l’épaule, il a dit : tu es toujours songeur, j’aimerais tant connaître tes pensées, je ne les connais pas moi-même — lui ai-je répondu et je disais la vérité, car je ne connaissais pas mes pensées en ce temps-là, je marchais comme dans un rêve lourd et angoissant, je faisais les gestes que j’avais accoutumé de faire mais étranger à tout et à tous, il pensa : ils étaient nombreux ces jours et ces nuits où je marchais comme dans un rêve lourd et angoissant, mais je n’arrive aujourd’hui à en dire rien d’autre fors qu’ils étaient et qu’ils étaient nombreux et que je marchais entre eux comme dans un rêve lourd et angoissant, un jour de ce même printemps il m’emmena aux étuves, jusque-là j’y allais avec mes compagnons de jeux, j’aimais bien y aller, j’aimais la chaleur qui y régnait, les volutes de vapeur qui enveloppaient le corps d’une douce humidité, j’aimais ma nudité insouciante et celle des autres et comme j’étais très fort je gagnais toujours les joutes que nous organisions entre nous, j’aimais ces joutes, la nudité des corps échauffés et ma force et puis le lent repos sur des lits bas, mais ce jour-là je n’y allais pas avec mes compagnons mais avec lui, nous étions seuls, il avait renvoyé tous les suivants, au début je me sentais un peu emprunté, non pas du fait de ma nudité mais à cause du silence qui régnait dans cet endroit habituellement si bruyant, le bruit me manquait et mes compagnons aussi me manquaient, je ne pensais à rien, fatigué après toute une journée passée en selle, car au matin de ce jour j’étais parti faire une randonnée solitaire à travers bois, mais l’eau chaude eut vite fait de chasser de mon corps toute la fatigue, je me suis étendu sur le lit bas, ne pensant toujours à rien et même quand il me rejoignit sur le lit je ne pensais encore à rien, quand il s’étendit à mon côté et m’attira à lui sans mot dire entourant mes épaules de son bras, je sentais sa nudité auprès de la mienne et je voyais son visage mince et sec, jeune encore, quoique labouré de quelques rides sombres, son visage au nez aquilin et aux yeux si clairs qu’ils semblaient nus, je voyais son visage dans le même raccourci que je l’avais vu six ans auparavant pour la première fois, à un certain moment sans délier son étreinte, il ferma les yeux tandis que je les gardais ouverts, il me dit : tu es un homme à présent, oui — ai-je répondu — et sans esquisser le moindre geste pour éviter le contact de son corps nu, je lui demandai : c’est vrai que tu as tué mes parents ? je n’ai pas senti son corps frémir ni son cœur battre plus fort, je l’aurais pourtant bien senti, il répondit, les yeux toujours fermés : oui, et après, de la même voix à peine perceptible : tu es bien ? oui — répondis-je car en effet j’étais bien et en ce moment-là je ne pensais à rien d’autre qu’au fait que j’étais bien, je ne sais pas — dit-il — quand et par qui tu as appris que j’avais tué tes parents, je ne veux d’ailleurs pas le savoir, je ne veux pas que tu me le dises, il me suffit que, le sachant, tu restes près de moi, couché dans mes bras, je te l’aurais dit tout seul, peut-être cette année même, car tu es déjà un homme, c’est vrai, j’ai commis ce crime horrible croyant, plein de foi et d’espérance, que du moment que nous portions des manteaux de croisés et que nous avions juré de tout sacrifier pour arracher le tombeau du Christ aux mains des infidèles par ce seul fait tout ce que nous faisions devenait juste et nécessaire servant ce but suprême, c’était là une erreur de ma foi aveugle, un crime de ma foi aveugle — pendant qu’il le disait je pensais, moi, que j’étais bien dans ses bras et je revoyais aussi l’intérieur de l’église Saint-Pierre à Chartres, cette église semblable à un gouffre pierreux grimpant vers le ciel, embrasé de lumières tout en bas et ombreux vers le haut, il n’avait sur lui qu’une tunique noire qui lui tombait aux chevilles, serrée à la taille par une ceinture d’or, il prêtait serment devant le grand autel, il jurait de consacrer le restant de sa vie à reconquérir le tombeau du Christ, je me tenais tout à côté dans ma robe brodée de page, les paroles du serment amplifiées par l’écho résonnaient solitaires sous la voûte élancée, l’évêque Guillaume, sur la plus haute marche de l’autel se penchait sur l’Évangile tenu à bout de bras par deux jeunes sous-diacres, en prêtant serment il tenait son épée sur l’Évangile déployé, la journée était automnale, sur les vitraux, très haut dans l’ombre froide, veillaient les saints et les anges, tout autour de nous, dans leurs armures chatoyantes se pressaient les barons, les chevaliers et les seigneurs, je voyais tout cela mais avant tout je pensais que je me trouvais bien dans ses bras, il me disait : je ne sais plus très bien à quel moment au juste j’ai compris que je venais de commettre un crime, que non seulement je ne me rapprochais pas ainsi du but rêvé mais que je m’en éloignais à le rendre presque inaccessible, comme si, montant vers la cime d’une très haute montagne j’eusse croulé dans un précipice, peut-être est-ce précisément en cette nuit de meurtre que je l’ai senti pour la première fois, alors que, souillé du sang que j’ai versé, je te vis sur le grand lit baignant toi aussi dans le sang, de quelques heures trop tard, d’une nuit trop tard je venais de comprendre que seuls ceux dont les pensées sont pures et les actes pareillement verront s’ouvrir devant eux les portes de Jérusalem et cependant à présent, après des années de mortification et de jeûnes, pendant lesquelles je fis plus que je n’aurais voulu pour effacer le mal commis par moi dans l’aveuglement de la foi, à présent, te tenant dans mes bras, de nouveau mais consciemment cette fois, je laisse se refermer les portes de la lointaine Jérusalem, car par-dessus toutes les aspirations qui sont en moi, plus fort est mon noir amour pour toi, pour toi qui devais être mon fils et mon héritier et que depuis longtemps je désire comme un amant, tu peux faire de moi ce qu’il te plaira — dis-je quand il eut fini et il me demanda : cela te sera-t-il agréable ? tu peux faire de moi ce qu’il te plaira — ai-je répété — tout ce que tu feras me seras agréable et c’est alors que c’est arrivé, mais quand ce fut arrivé je n’étais plus heureux, j’étais seulement repu d’une jouissance inconnue jusqu’alors et désireux de la voir se renouveler, mais je n’étais plus heureux car je venais déjà de comprendre qu’il ne m’aimait pas, qu’il désirait seulement mon corps, je sais qu’il le savait lui-aussi, quoiqu’il tentât de me leurrer et de se leurrer lui-même en me disant qu’il m’aimait, mais en le disant il mentait, car c’est seulement mon corps qu’il désirait, il désirait peut-être l’amour mais ne savait m’aimer, la seule chose vraie en lui était son désir ardent et affamé, je sais que plus d’une fois, me tenant dans ses bras, il me disait qu’il m’aimait tout en pensant intérieurement : tout est vain, je ne sais pas l’aimer et ne sais vivre sans lui, et moi je pensais quand repu de moi il m’abandonnait sur ma couche, je pensais alors : je suis sa propriété, sa chose aussi préfère-t-il me mépriser plutôt que de se mépriser lui-même, je le hais mais je me hais aussi, car je suis docile à ses moindres désirs, cela me fait plaisir et quand j’ai du plaisir je ne sais pas ne pas l’aimer, c’est pourquoi je me hais, je savais qu’il cherchait aussi son plaisir en dehors de moi, en d’autres corps et qu’il les possédait, mais ensuite il revenait toujours à moi et moi, bien que sachant qu’il venait me rejoindre encore tout pénétré de la chaleur d’un autre corps que le mien, je l’attendais comme la plus fidèle des épouses et puis, et puis un jour il est arrivé que lorsqu’il me quitta me croyant plongé dans le sommeil je partis à sa recherche, j’étais couché sur le dos à même mon manteau pourpre, la tête penchée sur mon épaule et quand il s’éveilla avant le soir et se pencha sur moi, je fis semblant de dormir, je respirais tranquillement comme on respire au fond d’un grand sommeil tranquille, il dit à haute voix : Alexis, je ne bougeai pas, le silence régnait, dans les tréfonds des bois on entendait chanter le loriot, alors il se leva doucement pour ne pas me réveiller, il se leva doucement comme un homme qui veut fuir, se revêtit de son pourpoint, releva son manteau et son épée, puis, me jetant encore une fois le regard inquiet d’un homme prêt à fuir, descendit vers le ruisseau où nos deux montures paissaient, les pieds entravés, j’ouvris alors les yeux et je le vis s’approcher de son étalon noir, le libérer de ses entraves et le conduire par la bride jusqu’au sentier courant à travers le sous-bois, je restai seul, je pensai : il a beau fuir, je sais qu’il reviendra, il n’y a que le désir qu’il soit vrai en lui et quand le crépuscule commença à tomber, toujours étendu nu, mais ne sentant pas la fraîcheur du soir, sur mon manteau pourpre, celui-là même que je viens d’enlever pour le temps de la confession pour le jeter sur les épaules de Jacques […][2]


[…] lorsque tout nous fault, il nous reste encore le désir, lui seul, non pas l’amour ni la fidélité mais le désir, ami des solitaires, vigilant et anxieux, fidèle jusque dans le sommeil, jamais assouvi, c’est avec lui et par lui que l’on sombre, alors pourquoi fuir puisque la fuite est impossible ? et il pensait encore : j’ai fui, car au-dessus de la certitude de la possession je place l’incertitude de la recherche […][3]


[…] pensai-je en regardant le feu autour duquel s’affairaient de jeunes garçons dont les tuniques courtes voilaient à peine la nudité […][4]


Film

Jerzy Andrzejewski (19091993) est également l’auteur des dialogues de l’adaptation cinématographique d’Andrzej Wajda, Gates to Paradise, sorti en 1968 (en français La croisade maudite).

Voir aussi

Éditions

  • Les portes du paradis / Jerzy Andrzejewski ; traduit du polonais par Georges Lisowski. – [Paris] : Gallimard, 1961.

Articles connexes

Notes

  1. P. 69.
  2. P. 81-89.
  3. P. 91.
  4. P. 117.