Claude-Maurice Robert

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Claude-Maurice Robert ( né en Champagne en 1895[1], mort le 19 ou le 20 avril 1963 à Alger[2]. )

Biographie

Portrait de Claude-Maurice Robert[3]
Envoi à Jeanne Sandelion


Selon Guy Dugas[4] :


« Ce personnage aujourd'hui oublié, poète et essayiste prolixe, dont l'oeuvre n'est plus guère lue, hormis peut-être un livre sur Charles de Foucauld, L'ermite du Hoggard ( note 12 ), mérite bien qu'on lui consacre ici quelques lignes, tant il joua en son temps un rôle non négligeable auprès des plus grands écrivains-voyageurs au désert. Né en Champagne en 1895, Claude-Maurice Robert, après avoir payé de son sang son engagement dans la conquête du Maroc, semble avoir trouvé en Afrique du Nord le pays de ses rêves.

En 1931, à Montherlant qui lui demande " des renseignements sur (s)a vie désertique " le poète écrit : " Depuis dix ans, mon étude unique est l'Afrique du Nord. Vécu au Maroc, où j'ai perdu un bras, le 20 août 1914; ai visité la Tunisie, où je fis des conférences dans toute la Régence sur la rééducation professionnelle des invalides de la Guerre; ai sillonné toute l'Algérie; puis revu le Maroc. Une première fois en 1922, je visite le Sahara oriental, l'oued Righ, le Souf, le Djérid tunisien, puis les montagnes de l'Aurès. J'y vis une année, puis j'entre en octobre 1923 à L'écho d'Alger que je quitte, en septembre 1928, pour retourner au désert, duquel j'avais gardé une nostalgie incurable. Il me fallait repartir, je repars. De Figuig à Timimoun ( 21 jours de chameau, seul Français, avec mon bras unique, au milieu de 30 bédouins ) je traverse le Sahara occidental. Tout cet hiver 1928, je le passe au Sahara, visitant pas à pas la Saoura, le Touat, traversant le Tanezrouft. Je rentre par El-Goléa, Ghardaïa, Ouargla, Touggourt, bouclant ainsi la boucle du Grand Erg. Depuis l'hiver dernier, je suis fixé à Colomb-Béchar où je poursuis mon rêve et mes études. J'ai un stock de notes sur toutes les questions. Enfin je suis libre, libre entièrement. ( note 13 ) "


Appel de la liberté, un tel amour du désert, de " la vie haute de l'anachorétisme "est aussi une fuite. Fuite devant les hommes et devant Dieu, dans l'hédonisme car " le soleil est l'ennemi de Dieu " : Robert est homosexuel et pédéraste. Il ne s'en cache guère et proclame à qui veut l'entendre qu'il peut lui servir de rabatteur à l'occasion ( note 14 ) - tout cela étant, on l'imagine aisément, fort mal vu dans la société petite-bourgeoise des Européens d'Algérie. Dans Alceste au désert ( note 15 ) il précise : " On ne souffre que par ce qu'on aime. J'ai beaucoup souffert par les hommes, beaucoup. A cause d'eux, j'ai pleuré. Et non des pleurs fictifs, mais des larmes sincères, non de rage, mais de peine, qui montent du fond de l'être et qu'on ne peut pas retenir. Et si je pars, c'est qu'ils me chassent. Ma fugue est une sauvegarde, je ne veux pas leur ressembler [...]. Trop fier pour me droguer, pas assez triste pour mourir, je me sauve au désert comme au suprême havre, au guérisseur unique. Mais pas de haine en moi, aussi profond que je sonde. "


Après Colomb-Béchar, c'est à Laghouat que le poète se fixe lorsqu'éclate la guerre. Il y vivra une douzaine d'années à la mode du pays, curieux mélange d' " anachorète libre " et d' " hédoniste insatiable ", faisant bénéficier les touristes européens de sa connaissance du terrain... et des hommes. Mais à la suite d'une grave opération, il doit revenir à Alger à la fin des années cinquante. C'est là qu'il mourra, dans l'Algérie indépendante, le 20 avril 1963.

»

L'œuvre de Claude-Maurice Robert

Elle est à lire, à découvrir, pour ceux qui ont la chance de posséder des exemplaires de ses livres devenus difficiles à trouver.


Anecdote et poème

A(hmed) Mechattah, alors collégien, a connu le poète et en témoigne sur son blog[5] :

« Alors que j'étais au collège de Miliana, dès 1946/47, lors de chaque vacance scolaire, je tapais à la machine à écrire, les écrits de cet écrivain-poète qui résidait rue de la Grande Séguia (El Kabou) et je cherche en vain à retrouver ses manuscrits ou éditions. Ce sont MM. VALLUIS Léo, exploitant de l'Hôtel Saharien et SOUFI Mohamed, mon ancien instituteur, que Dieu ait leurs âmes, qui me présentèrent à lui. »

« LAGHOUAT

D'opale dans l'écrin d'émeraude des palmes
Où le vent du désert fait un bruit de marée
Par ces soirs printaniers, si lumineux et calmes
Laghouat a des langueurs de vierge énamourée

De la haute terrasse où sans fin je l'admire
Les cubes de ses toits font un vaste damier
Et l'ardeur du couchant fait de chaque palmier
Un feu d'or crépitant sur un mat de porphyre

Les sierras sans humus brasillent tout autour
Et le rocher des chiens avec sa vieille tour
Que l'ombre qui s'allonge embue et passe à l'encre
Evoque on ne sait quel vaisseau fantôme à l'ancre

Heureux, je reste là jusqu'à l'heure où la lune
Ronde et rouge, émergeant de l'immensité brune
Fanal au poing de quel secret lampadophore ?
T'illumine, O Laghouat et rend plus belle encore !

Avril 1941
Claude-Maurice Robert

»


Ebauche d'une bibliographie

Cette liste est une compilation de plusieurs sources.

  • Le Pèlerin de l'espace, Paris : l'Ermitage, 1927.
  • « Henry de Montherlant ou le cavalier seul », Alger, Editions Hélios, 1928.
  • Moi sans toi. Le Poème du souvenir et de la solitude, P. et G. Soubiron, 1930.
  • La couronne de Ronces / Robert, Claude-Maurice. -Alger : P. et G. Soubiron, 1930
  • Seul à seul (poèmes de tendresse), Alger : P. et G. Soubiron, 1931
  • La Couronne de ronces, Alger : P. et G. Soubiron, 1932.
  • Moi sans toi : le poème du souvenir et de la solitude / Robert, Claude-Maurice. -Alger : P. et G. Soubiron, 1933.
  • L'Amazone des sables, le Vrai visage d'Isabelle Eberhardt, Alger, P. et G. Soubiron (Impr. Minerva), 1934.
  • Dans le silence et la lumière, voyage aux oasis, Alger, P. et G. Soubiron (Impr. Minerva), 1934.
  • L'Envoûtement du Sud. D'El-Kantara à Djanet. Lettre-préface de E.-F. Gautier, 1934.
  • Le Coeur en vacances, essai de psychologie passionnelle en 1 acte, Alger : P. et G. Soubiron, 1935.
  • Le Pèlerin de l'espace. De Tripoli à Tanger. Nouvelle édition augmentée, Alger : P. et G. Soubiron, 1935.
  • L'Ermite du Hoggar. La vie au désert de Charles de Foucauld, Alger : Baconnier, 1938. (3 mai.)
  • Le long des oueds de l'Aurès : et in arcadia ego !, photos de Alexandre Bougault, illustré par P.-H. Durand, Alger, éd. Bacconier, 1938.
  • A cor et à cri, poèmes, Alger, impr. Baconnier ; L. Chaix, 1939.
  • Les Chants du Centaure, Alger, L. Chaix (impr. de S. Crescenzo), 1944.
  • La Croisière du coeur. Claude-Maurice Robert,... Le Buisson ardent, Alger, Baconnier (impr. de Baconnier), 1945.
  • Le buisson ardent pour Elle et pour Lui / Robert, Claude-Maurice. -Alger : Baconnier , 07/1945
  • Versets pour Leīla, Bacconier, 1948.
  • Fais ton royaume de ce monde, vitamines lyriques. Alger, impr. de Baconnier, 1951.
  • L'Afrique aux cent visages. La Féérie saharienne, Alger, Éditions Idea, 1952.
  • La féerie saharienne, Alger : Ed. Idéa, 1952.
  • L'Oasis Thermale d'Hammam-Rirha / Robert, Claude-Maurice. sn, 1954.
  • J'aime aimer, Alger, Chaix (impr. de Baconnier frères), (1958)
  • Tlemcen, jardin d'Eden, imp. Baconnier frères, 1959.
  • L'Oasis Thermale d'Hammam-Rirha. Ancienne Aquae Calidae / Robert, Claude-Maurice. -Alger : Comité du Vieil Alger, 1970.


Dates à préciser :

  • Nédroma Berceau de l’Empire Almohade (réf. incomplète)
  • Un poète maudit ; la passion de Marius Scalési.


Articles

Robert fut membre du comité de rédaction de "L'Écho d'Oran " puis de "L'Écho d'Alger"[6].


  • « En Afrique avec Henry de Montherlant », Marianne 13 septembre 1933. Il s'agit d'un entretien.


  • « Montherlant poète : Encore un instant de bonheur », 21 avril 1934 ( référence incomplète ).
  • « André Gide, l'optimiste lucide », Afrique Magazine, 6 décembre 1947.
  • Pour mieux connaître l'Afrique aux cent visages : La féerie africaine, L'Aurès inconnu / Robert, Claude-Maurice. L'Echo d'Alger, 1955
  • L'Aurès inconnu / Robert, Claude-Maurice. L'Echo d'Alger, [1954-1955]
  • Montherlant vu de près. Souvenirs et anecdotes africaines, Soubiron éd. Alger.

Mentionné dans Nouvelle école, Numéros 21 à 24, Éditeur Nouvelle Ecole, 1972. S'agit-il d'un livre ou d'un article ? Je n'en ai pas la date, mais les livres édités chez Soubiron mentionnés plus haut datent de la première moitié des années 30.


Montherlant, Gide, Augiéras, Roy, Sandelion

Gide

La bibliothèque littéraire Jacques Doucet conserve 5 lettres de Claude-Maurice Robert à André Gide, datées du 25 janvier 1927-13 janvier 1948 (15 pages en tout) et 1 lettre d'André Gide à Claude-Maurice Robert ( 1 page de brouillon, au verso d'une lettre de C-M. Robert datée du 25 janvier 1927 à Alger)[7].

Selon Guy Dugas [8] :

« Il existe une petite correspondance entre Gide et Claude-Maurice Robert. Elle s'étale entre 1927 et 1948 et on pourrait l'imaginer scandaleuse. Mais si le poète de Laghouat ne manque pas d'implorer Gide de venir lui rendre visite dans le désert où il s'est retiré et de lui faire quelquefois, sous forme de sous-entendu, des propositions immorales ( note 10 ) comme il ne cessa d'en faire à Montherlant, jamais Gide ne fit mine d'y donner suite. Et jamais il ne dérogera au rôle de parrainage auquel il s'était astreint vis-à-vis d'Augiéras, comme vis-à-vis de nombreux autres jeunes qu'il conseilla en littérature ou dans la vie.

note 10 : Par exemple, dans cette lettre de Laghouat, datée du 28 avril 1944, c'est-à-dire quelques mois à peine avant la rencontre supposée entre Augiéras et Robert : " Venez donc à Laghouat. Mai est ici le plus beau et le plus doux des mois. Car nous sommes à 750 m. Le paradis terrestre, vraiment. Vous y oublierez les bruits et les vacarmes d'Alger [...] Il suffirait d'en manifester le désir soit au colonel Lehuraux, Directeur des Territoires du Sud, soit au Gouverneur Catroux. [...] Pour ma part, je vous fournirais un jeune esclave docile et vous déduirais toutes ses heures. [...] Laghouat est moins belle que Biskra, moins saharienne; quand même, elle est plaisante et cette saison, je le répète, est paradisiaque. Vous pourrez passer ici un mois de paix et de délices. "

»

Montherlant

Claude-Maurice Robert dans l'œuvre de Henry de Montherlant

Montherlant aurait écrit des articles à sa propre louange sous la signature de Robert (cf. plus haut). Le récit « Pour le chant profond »[9], dont l'action se passe en 1925, s'ouvre par une histoire racontée à l'auteur par Claude-Maurice Robert[10].

Claude-Maurice Robert a inspiré un pamphlet cruel, La chienne de Colomb-Béchar à « la patte grêle » (il avait perdu un bras en 1914), qui donne un contexte voire une raison à son indélicatesse acrimonieuse envers Montherlant, qui fit le bonheur de Jules Roy en 1942 (lire ci-dessous).

Il a inspiré un personnage, Manuel Manoussié dit Colle d'Epate[11], dans Un assassin est mon maître, et est mentionné dans des notes sur Moustique (chercher la référence.).


La chienne de Colomb-Béchar (1931, écrit en 1928)

Selon Guy Dugas, « Claude-Maurice Robert, croyant se reconnaître dans le chien portraituré par Montherlant dans " La chienne de Colomb-Béchar " ( in Service inutile, 1934 ) lui avait écrit son indignation. »[12]


Henry de Montherlant : « Service inutile », éd. de la Toison d'or.


« Je n'ai jamais vu chez une bête une abjection plus saisissante que celle de la chienne de cet aubergiste, à Colomb-Béchar. Placés dans les mêmes conditions de dégradation, l'homme et la bête ne se dégradent pas différemment. La chienne de Colomb-Béchar avait une bedaine qui traînait à terre, la patte grêle, l'œil vide, et à la gueule la bave de la bonne-idée-de-soi ; il ne lui manquait que de conduire un six-cylindres. La saleté et la prétention, ces deux sœurs, avaient noué le ruban d'un rose crasseux qui pendait à son collier ; en outre, nous allons voir qu'elle était parasite, et c'est une loi, qu'un parasite soit presque toujours habillé avec recherche. Aux repas, elle allait de table en table, percevant sa dîme sur chaque dîneur, ne manquant pas une table, méthodique comme un chevalier de la sébille, et tout ce temps remuant furieusement la queue, moins par convoitise que par bonne grâce, car, si intéressée qu'elle fût, elle « aimait » aussi, j'en suis sûr, et souhaitait d'être aimée. C'est là un trait commun à beaucoup de parasites : ils ont une sympathie véritable et sans calcul, au début, pour leur victime, que plus tard ils rongeront jusqu'à l'os, et mordront idem. »


« A ce monstre, il ne suffisait pas d'être vil : il était indiscret »


« C'est le terme où en arrive tout parasite. D'abord il câline : « Mon bien cher ami... » Plus tard il exige : « Enfin, oui ou non, est-ce que je peux compter sur ces trois cent francs ? Il me semble qu'avec tout ce que j'ai fait pour vous... » A l'entendre, le parasite vous a toujours sacrifié son repos, sa carrière, son bonheur, etc. Enfin il insulte : « Votre ladrerie... votre égoïsme... Ah ! maintenant je vous connais ! » »
« p.121

De grands idéalistes, les chiens, voyant que de nos jours le Génie de l'Espèce est menacé, se sont donné pour apostolat social de servir d'intermédiaires galants. Le gruisme marocain a le secret de transformer en un rien de temps une salle de restaurant en une sorte d'écurie, grâce aux bandes d'apôtres que ces dames y amènent. Quelquefois, nippées par un capitaine, elles feraient un peu illusion, n'était le cabot qui crie la noire misère; elles se trahissent par cela qu'elles pensaient qui leur ferait honneur, comme se trahissent, en croyant se poser, les gens qui portent les palmes, ou qui roulent dans un auto de 25.000 francs. Ces chiens viennent se frotter à vos mollets pendant que vous dînez, faire le beau sous votre nez, pour que vous engagiez la conversation avec leur patronne, pissent et crottent entre les tables, quand ils n'y préludent pas aux plus doux ébats. « Qu'est-ce que vous faites-là, monsieur ? » minaude alors la grue, encouragée par les capitaines, qui trouvent tout cela exquis. Un capitaine fait l'imperator, dans la cuisine, parce qu'on n'a pas monté assez rapidement à l'étage les déchets de viande pour le chien de « Madame ». Un lieutenant de vaisseau porte sous son bras le carlin de sa grue, ce qui, à tout prendre, vaut mieux que de se tuer pour elle. Et cætera. C'est dire que dans l'auberge de Colomb-Béchar il n'y avait que gâteries pour la chienne. Tout le monde communiait dans la sympathie pour elle, parce qu'elle était ignoble.

»


« Mais la haine que j'avais pour cette chienne, et la honte de n'oser pas exiger son renvoi, m'empêchaient quasiment de manger. En quoi peut-être ils me sauvèrent la vie. Car la mangeaille valait la chienne, bien que contre elle, comme contre la chienne, il ne vint à l'esprit de personne de protester. »
Le personnage de Colle d'Epate, dans « Un assassin est mon maître »

Dans ce roman le personnage inspiré par Claude-Maurice Robert prend de l'ampleur.

Le personnage de Manuel Manoussié, dit Colle d'Epate, fauché, tapeur sans fausse gêne, chapardeur, proxénète et prostitué pour touristes quand il séjourne au Sahara, loin d'Alger. Il a une réputation à la bibliothèque franco-musulmane où travaille Exupère, est l'auteur de vers à double sens qui rappellent la correspondance Montherlant-Peyrefitte, fait les quatre cent coups avec l'anti-héros. Ils draguent les « filles », ont leurs habitudes au bordel de la Crabalona, femme qui arrange pour Exupère un rendez-vous avec une très jeune « Parisienne de Paris ».

Duroisin, Pierre : « un assassin est mon maître de Henry de Montherlant », Les lettres romanes, 2010, p.261-303. L'auteur décortique le roman, montre de quoi il est fait, quels textes déja parus ailleurs ont été réutilisés, réécrits en tout ou en partie.

Service inutile

Montherlant mentionne Claude-Maurice Robert au début de « Pour le chant profond »[13] (Les nouvelles littéraires, 1929, écrit en 1928).  : il est le narrateur de l'histoire qui ouvre ce court récit. Il y est question d'un émouvant petit cordonnier chanteur de quatorze et dont le prénom, Redouane, signifie « celui qui ouvre les portes du paradis ».


Moustique

Colle d'Epate apparaît dans Moustique, roman posthume de Henry de Montherlant [14]

[15]


Correspondance

Introduction : le journal de Jules Roy

Dans son journal[16] (cf. plus bas le chapitre Jules Roy ), l'auteur parle de son séjour à Laghouat en 1942. Il a eu la chance de profiter de l'indélicatesse de Robert, qui lui a fait lire les lettres de Henry de Montherlant.


Correspondance Montherlant - Claude-Maurice Robert

Le journal de Jules Roy donne une impression de cette correspondance inédite.


« 21 novembre.

... Claude-Maurice Robert, dans sa petite maison de poète Parlé de tout cela avec émotion, puis de Montherlant avec qui il a vécu assez longtemps, de l'horrible Jeanne Sandelion qui est l'Andrée Hacquebaut des Jeunes filles et de qui, quoi qu'il en dise, Montherlant a reproduit des lettres entières.

»
« 22 novembre.

... Après-midi avec Claude-Maurice Robert. Trois heures à parler de Montherlant. Cette vie mystérieuse de Montherlant (si soigneusement cachée) m'est révélée. Il n'a jamais touché une femme. Il nourrit pour leur sexe le mépris le plus souverain. Tout chez lui, quand il parle d'elles, est substitution. A Alger, il ne cherche que les petits Arabes, les chasseurs d'hôtel. Il fait les tramways, les cinémas de quartier. Quand il parle d'eux, il emploie le féminin. Robert m'a fait lire de nombreuses lettres de lui, extrêmement révélatrices. Il lui arrive de suivre des amours de ce genre, très loin, même à l'étranger. Il a peur de la mer (c'est pourquoi il passe toujours par l'Espagne), de l'air (il refuse de prendre l'avion), du cheval (il marche à pied à côté de Robert). Il n'aime que le mouvement des villes, a horreur du désert (ses souvenirs ne sont que des narrations de Robert), des appartements. Il ne vit qu'à l'hôtel, parmi une quantité de valises toujours fermées à clé, travaille la plupart du temps couché. Monstre d'inhumanité, de mensonge, de combine, d'intérêt. Il écrit, sous la signature de Claude-Maurice Robert, ces articles à sa propre louange.

»


« 29 novembre.

... Longue promenade avec Claude-Maurice Robert. Il se cantonne dans un lyrisme tout primitif, ressassé jusqu'au comble de la satiété. Il ignore Patrice de La Tour du Pin, Aragon, Supervielle. Sa vie ne manque pas d'une certaine grandeur farouche, mais sa langue, son impossibilité d'atteindre au fond des choses et des êtres demeurent puériles. Il se croit vraiment un grand poète quand il restera seulement un curieux personnage, quelque chose comme un sous Paul Géraldy qui aurait vécu au désert.

Chez lui, nous commençons à classer une centaine de lettres et de billets de Montherlant, un trésor documentaire dont il n'avait pas grande conscience, où l'auteur des Jeunes filles se dénude. J'aimerais tout recopier mais impossible. Les télégrammes de Tlemcen, signés Des Touches (Montherlant s'appelle le chevalier des Touches, à Alger), les « bergeronettes » qui sont l'appellation des petits garçons, baptisés d'abord « hochequeues ». Il est aussi question d'une certaine « Gilberte », un marin que Montherlant avait rencontré dans un tram.

»
« 5 décembre.

... Après-midi du dimanche chez Claude-Maurice Robert où il fait froid. Classé environ la moitié du dossier Montherlant. Surnoms qu'il donne à ses amours masculines du moment en les appelant souvent au féminin : la petite infante de Castille, la Panthère (terrible, paraît-il), Gilberte, la rose de Blida, Laroussi (son plus grand amour), la crevette d'Oujda, etc. Il s'envoie toute la journée des pneumatiques ou télégrammes pour recevoir les petits télégraphistes. Quand il découvre chez un fleuriste un éphèbe qui lui plaît, il s'envoie des fleurs et explique à sa concierge : « Depuis qu'elles me savent ici, toutes les femmes me font porter des fleurs. » Robert et lui jouent alternativement le rôle de rabatteur et se refilent leurs conquêtes.

»


Augiéras

« Les biographes d'Augiéras mentionnent parfois, sans autre précision, sa rencontre avec Claude-Maurice Robert, à la fin de l'année 1944. Attiré vers cet Oncle qu'il connait très peu, le jeune François, qui s'est engagé dans la Marine nationale, s'aventure pour la première fois en Algérie. Mais il n'ira pas plus loin que Laghouat, où se serait donc faite la rencontre. Dans une lettre à Montherlant, en date du 8 décembre 1944, Claude-Maurice Robert signale en effet, parmi d'autres conquêtes, l'arrivée chez lui du " gars de la Marine, plus beau que l'archange Gabriel[17] ". »


Jules Roy

Nous avons vu plus haut qu'à plusieurs reprises, Robert a eu l'indélicatesse de montrer à Jules Roy des lettres de Montherlant, et lui permi de les trier.


Jules Roy, écrivain alors capitaine dans l'armée de l'air, qui passera avec l'amiral Darlan, non sans un problème de conscience, aux forces Alliées, aterrit à Laghouat le 13 novembre 1942 et y reste quelques semaines. Dans son Journal[18]. Il y passe du temps avec Claude-Maurice Robert, dont il fait un portrait peu flatteur.

Il dégoise l'écrivain :

« Longue promenade avec Claude-Maurice Robert. Il se cantonne dans un lyrisme tout primitif, ressassé jusqu'au comble de la satiété. Il ignore Patrice de La Tour du Pin, Aragon, Supervielle. Sa vie ne manque pas d'une certaine grandeur farouche, mais sa langue, son impossibilité d'atteindre au fond des choses et des êtres demeurent puériles. Il se croit vraiment un grand poète quand il restera seulement un curieux personnage, quelque chose comme un sous Paul Géraldy qui aurait vécu au désert. »


Il dégoise aussi l'homme. Il le peint comme un indélicat, qui aligne les anecdotes de la vie de Henry de Montherlant en Afrique du Nord comme autant d'histoires croustillantes. Robert va jusqu'à lui permettre (en 1942 !) de lire et de trier une centaine de lettres et de billets[19]

Il le soupçonne d'avoir envoyé une lettre anonyme à ses supérieurs :

« 5 janvier

Il paraît qu'après mon départ de Laghouat est arrivé à la 19ème région une lettre anonyme signalant l'ignominie du capitaine Roy et l'indignité des propos de cet officier à l'égard du Maréchal. Il paraîtrait que cette lettre ne pourrait avoir été écrite que par Claude-Maurice Robert qui en serait un spécialiste. On l'appelle « le scorpion de Laghouat ».


24 mai

... Rencontré encore Claude-Maurice Robert à qui je dois faire l'aveu de la lettre anonyme. Il me jure sur l'Evangile qu'il n'en est pas l'auteur. </ref>

»


Claude-Maurice Robert dans l'œuvre de Jules Roy

Roy en a fait un personnage de La saison des Za ( Grasset, 1982)[20] :

(à compléter)


Jeanne Sandelion

Auteur de l'essai « Montherlant et les femmes »[21], Sandelion a inspiré l'Andrée Hacquebaut des Jeunes filles de Montherlant.

Henri de Meeûs[22] cite Claude-Maurice Robert parmi les fidèles amis et correspondants de Sandelion :


« - Claude-Maurice Robert, écrivain-poète, vit à Alger, bien connu par Montherlant qui l’a croqué sous les traits de Colle d’Epate dans Un Assassin est mon maître, passe huit mois sur douze au Sahara, apprécie la poésie de Sandelion, mais il va repousser l’amour qu’elle lui porte (dans une lettre de 6 pages datée du 20 septembre 1927, voir leur correspondance entre juillet 1926 et mars 1928); »


Notes et références

(à compléter)

Références

  • Jeanne Sandelion : Montherlant et les femmes : Avec 45 lettres inédites de Henry de Montherlant. Couverture de Mariette Lydis, Paris, Plon, 1950.
  • Roy, Jules : « Les années déchirement. Journal 1925/1965 », Albin Michel, 1998.
  • Dugas, Guy : " Père, parâtres, parrain ", dans Dossier François Augiéras : "Europe. Revue littéraire mensuelle, 84ème année, n°931-932, nov-déc 2006, p. 192-304 (p. 203-6).
  • Henry de Montherlant : La chienne de Colomb-Béchar, dans Service inutile, 1934.
  • Henry de Montherlant : Un assassin est mon maître,
  • Jules Roy : « Les années déchirement. Journal 1925/1965 », Albin Michel, 1998.
  • Jules Roy : La saison des Za, Grasset, 1982
  • de Meeûs, Henri : Pour Montherlant, édition privée, 2010.

Notes

  1. Lire Dugas, Guy : " Père, parâtres, parrain ", in : "Europe. Revue littéraire mensuelle ", 84ème année, n°931-932, nov-déc 2006, p.200-208.
  2. * Le 19 selon Angeli, L.-E.  : « Claude-Maurice Robert », Bulletin économique et juridique, volume 27, 1963, p.113 : « Un poète algérien s'est tu ! Claude-Maurice Robert, terrassé subitement par une crise cardiaque, est mort le 19 avril dernier à Algers.  »
    * Le 20 selon Guy Dugas : " Père, parâtres, parrain ", dans Dossier François Augiéras : "Europe. Revue littéraire mensuelle ", 84ème année, n°931-932, nov-déc 2006, p.192-304 (p.203-206)
  3. Source : de Meeûs, Henri : " Pour Montherlant ", édition privée, 2010.
  4. Dugas, Guy : " Père, parâtres, parrain ", dans Dossier François Augiéras : "Europe. Revue littéraire mensuelle ", 84ème année, n°931-932, nov-déc 2006, p.192-304 (p.203-206)
  5. Le témoignage et le poème se trouvent sur page. Sur une autre page de ce site, on apprend que « Laghouat fut écrit et envoyé à mon feu père Abdelkader MECHATTAH en avril 1941 par l'auteur ! »
  6. http://cdha.ath.cx:8080/Record.htm?Record=19113235157919314179&idlist=1
  7. cf. catalogue de la bibliothèque Doucet
  8. Dugas, Guy : " Père, parâtres, parrain ", dans Dossier François Augiéras : "Europe. Revue littéraire mensuelle ", 84ème année, n°931-932, nov-déc 2006, p.192-304 (p.200-208)
  9. dans « Service inutile »
  10. Henry de Montherlant : « Service inutile », éd. de la Toison d'or Montherlant mentionne Claude-Maurice Robert au début de « Pour le chant profond » (Les nouvelles littéraires, 1929, écrit en 1928). Voir la note 1 p.257. (il ne fait que citer le nom) : il est le narrateur de l'histoire qui ouvre ce court récit.
  11. A propos de ce personnage, lire les pages 1066-1068 de la préface de Jean Delay à « Un assassin est mon maître » dans l'édition de La Pléiade
  12. Dugas, Guy : " Père, parâtres, parrain ", 2006, op.cit., p. 206, note 11.
  13. Henry de Montherlant : « Service inutile », éd. de la Toison d'or, note 1 p.257. (il ne fait que citer le nom). Le texte se trouve, amputé de ce passage, sur le site plume verte.
  14. Rivas, Pierre : "Images de l'immigration espagnole en Oranie et trajectoire d'E. Roblès : racines hispaniques et enracinement oranais", p.3. Texte lié à une communication au Colloque Emmanuel Roblès et l'hispanité en Oranie Bibliothèque de la Faculté des Sciences du campus Professeur M.S.Taleb (ex IGMO) Oran 4 et 5 novembre 2008. "On lui préférera son roman posthume Moustique, le côté picaresque et débrouillard, et le sens de l'honneur castillan qui anime le héros, fils d'Oranais ; on y trouve un portrait savoureux de Claude Maurice Robert, figure locale de la vie littéraire, sous le masque de Colle d'Épate." http://www.biu-montpellier.fr/ezpublish/index.php/fre/content/download/1757/7490/file/Rivas.pdf
  15. Lire le parallèle établi par Paul Duroisin entre deux scènes d'Un assassin est mon maître et de de Moustique :
    • Duroisin, Pierre : « un assassin est mon maître de Henry de Montherlant », Les lettres romanes, 2010, p.280.
  16. « Jules Roy : Les années déchirement. Journal 1925/1965 », Albin Michel, 1998.
  17. Dugas, Guy : " Père, parâtres, parrain ", dans Dossier François Augiéras : "Europe. Revue littéraire mensuelle ", 84ème année, n°931-932, nov-déc 2006, p.192-304 (p.200-208)
  18. Roy, Jules : « Les années déchirement. Journal 1925/1965 », Albin Michel, 1998
  19. idem, 29 novembre. Chez lui, nous commençons à classer une centaine de lettres et de billets de Montherlant, un trésor documentaire dont il n'avait pas grande conscience, où l'auteur des Jeunes filles se dénude.
  20. Selon GuyDugas, 2006, p.208, note 11
  21. Jeanne Sandelion : Montherlant et les femmes : Avec 45 lettres inédites de Henry de Montherlant. Couverture de Mariette Lydis, Paris, Plon, 1950.
  22. http://www.montherlant.be/article_28_sandelion.html