Les tendances homosexuelles dans l’enfance (Jean Cambray)

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Cet article de Jean Cambray, intitulé Les tendances homosexuelles dans l’enfance, a paru en juin 1954 dans la revue homophile Arcadie.

Texte intégral

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Les TENDANCES HOMOSEXUELLES

DANS L’ENFANCE



La puberté (de 15 à 17 ans environ), l’adolescence (de 18 à 21 ans environ) sont des périodes fort étudiées, facilement examinées ; soit que les sujets n’en soient pas (ou peu) sortis, soit que la mémoire ait conservé plus exactement les drames intérieurs qui bouleversaient à l’époque — c’est aussi, disons-le, deux périodes très riches.

L’apparition des fonctions normales des organes sexuels, l’instabilité du psychisme interne contribuent à déséquilibrer facilement un individu, déséquilibre (1) qui, en fait, demeurera dans la plupart des cas toute la vie.

L’enfance et la prépuberté sont deux périodes plus difficilement et plus rarement étudiées. En effet, soit qu’il faille examiner l’enfant ou le prépubère (et cela est peu aisé même pour un pédagogue), soit qu’il faille interroger des adultes. Dans ce dernier cas, on demande donc aux sujets examinés de plonger dans leur passé — mais, une fois les faits retrouvés, encore faudra-t-il essayer de discerner les faits réels des faits racontés postérieurement, par exemple, par un parent. Ces faits par assimilation se trouvent être acquis, au même titre que les faits réels — il faut aussi nous méfier, spécialement lorsque les faits sont écrits, du lyrisme de l’auteur.

Si nous consultons les auteurs, que trouvons-nous ?

Oswald Schwarz, dans the Psychology of sex (2) nous dit qu’entre deux et quatre ans, les enfants éprouvent une tendresse particulière pour les personnes de leur entourage… cet amour précoce se manifeste aussi bien pour les garçons que pour les filles. Cette indifférence au sujet du sexe du partenaire est d’autant plus remarquable que dans d’autres associations (dans le choix des compagnons de jeu par exemple) les différences sexuelles jouent un très grand rôle — et Schwarz affirme gratuitement : « ce fait à lui seul suffirait à prouver que les enfants manifestent dès leur cinquième année un goût pour l’obscène, la sensation et la cruauté, toutes choses bien rattachées à la sexualité. »

Acceptons cependant de ne considérer tous ces signes que comme un potentiel (y compris la bisexualité ou l’homosexualité) « période de latence » dit Freud et c’est Schwarz qui le cite, seulement il ne précise pas que Freud considérait cette période de latence uniquement pour la période s’étendant entre la sixième et la huitième année, période qu’il considérait comme « un temps d’arrêt ou de régression » (3). En fait Schwarz voudrait vider les actes sexuels de l’enfance de toute signification. Alors que Freud dit rencontrer les premières manifestations de la sexualité chez le nourrisson (4) ; la succion digitale est bien marquée par exemple de sexualité et elle gardera cette forme toute la vie. Les examens psychanalytiques nous le confirment, je cite Freud : « l’acte qui consiste à sucer le sein maternel devient le départ de toute la vie sexuelle ».

Ajoutons que l’élimination des déchets organiques sera aussi l’occasion d’un plaisir sexuel… dès trois ans quelquefois, nous assistons même à de véritables masturbations infantiles… (il faut relire à ce sujet ce qu’a dit Stekel dans le chapitre premier de Onanisme et Homosexualité (5), non seulement l’enfant a une sexualité mais celle-ci est double — l’enfant est bisexuel. La question se pose de savoir si l’une des tendances, hétérosexuelle ou homosexuelle, peut prendre le pas sur l’autre avant la puberté. Il note en passant que l’on pourrait penser que ce choix est plus libre que celui de la puberté et de l’adolescence, car en fait voyons toute la « propagande » hétérosexuelle : cinéma, théâtre, radio, littérature (il faut vraiment que la bisexualité soit essentielle pour que malgré ces réclames sociales, un homme puisse être homosexuel).

Mais reprenons la question posée : peut-il y avoir une fixation dès l’enfance ?

La sexualité de l’enfant est narcissique (auto-érotisme) ce qui n’exclut pas un prolongement de la libido vers un autre sujet. Souvent ce prolongement est masculin ; peut-on en tirer des conclusions ? Tout au plus une indication, car l’auto-érotisme cherchera de préférence quelque chose d’approchant — le père réalise cette donnée.


Observation n° 1. — Un garçon de sept ans, alors que son père l’emportait à vélo, se rapprochait de la selle et aimait à se tenir à celle-ci, sentant le sexe de son père… à la maison il recherchait cet endroit pour poser sa tête, ou alors, sous prétexte de jeu, manœuvrait les genoux de son père pour voir bouger la masse sexuelle… Le problème de l’attirance sexuelle pour le père ou pour la mère se pose. Hirschfeld pense que l’identification avec la mère explique le cas, et Stekel dit que la mère absorbe parfois tout le sexe féminin et qu’il ne reste plus à l’enfant qu’à aimer les hommes.

Pourquoi rechercher une représentation inversée ? L’amour pour le père semble aussi naturel à l’enfant que l’amour pour la mère et si, psychiquement, sa bisexualité essentielle s’est déjà sensibilisée sur l’homosexualité, aucun problème pour lui ne se pose, il aime sexuellement son père — ce sera plus tard que la société viendra le marquer et le névroser. Si le père ne semble pas répondre aux besoins psychiques de l’enfant, il pourra faire son choix parmi l’entourage de son père — nous sommes bien en présence d’un acte homosexuel.


Observation n° 2. — G. D., 27 ans, se souvient très bien dès l’âge de 6-7 ans, avoir été attiré par les hommes d’une soixantaine d’années (et plus) mais encore fallait-il que ces hommes fussent d’allure distinguée — qu’ils possédassent de grosses situations…

Peut-on penser à une disposition pour la gérontophilie ? Ne trouve-t-on pas d’autres fixations dès cet âge ?


Observation n° 3. — J. B., 27 ans, apparence très virile. D’un milieu bourgeois, sa famille vivait à la campagne, aux environs de sa septième année, il se souvient qu’il recherchait la compagnie des hommes de 40 à 50 ans — spécialement les ouvriers. Il se rappelle très nettement que jouant aux billes, en se baissant, il regardait à travers ses jambes, la braguette des hommes assis et s’efforçait de lancer sa bille entre les pieds d’un homme assis pour pouvoir, en la recherchant, voir de plus près, le pantalon gonflé par le sexe. Il se souvient aussi qu’allant à la pêche avec un homme du peuple très négligé, au pantalon troué, il entrait en transes en apercevant la chair de cet homme, son système pileux — il lui fallait grand effort pour ne pas toucher. Sa sexualité est restée de type homosexuel gérontophile — bien qu’il soit marqué d’une admiration pour le système pileux, il aime les hommes efféminés.


Nous pouvons expliquer cette attirance comme une réaction contre le milieu bourgeois et étriqué de l’enfant ; mais que nous connaissions la cause du comportement ne lui enlève pas pour autant sa signification. Je pense également à un garçon de grande noblesse qui, alors qu’il vit à la campagne, n’a qu’un désir, celui de fréquenter des garçons pauvres et sales et qui, dès l’âge de 9 ans, recherchait les caresses des garçons plus âgés, mal vêtus et sales — depuis, il a 28 ans, il n’aime que les hommes mal vêtus et sales (Observation n° 4).


On peut s’étonner d’une fixation si jeune, alors qu’il n’y a pas intervention d’adulte (sans perversion). Il y a malheureusement perversion dans certains cas — et il est à noter que l’homosexualité qui doit son origine à une perversion d’un enfant par un adulte est, de beaucoup, moins équilibrée, d’autant que si ce n’est pas l’enfant qui recherche, comme dans les observations précédentes, cette découverte s’accompagne toujours de traumatismes.


Nous pourrions citer l’exemple de cet enfant — 9 ans — qui, à la suite d’un entretien avec un prêtre (ce dernier non content d’exposer l’impureté, en donne un exemple sur lui-même) se bloqua, et garda toute sa vie un complexe religieux et homosexuel, d’autant que sa famille ne soupçonnant pas pourquoi il cessait de vouloir communier, le forçait à rester enfant de chœur. (Observation n° 5).


Mais dans le cas où un adulte pratique avec un enfant une forme larvée d’homosexualité, souvent nous observons que lorsque c’était l’enfant qui recherchait l’homme, il n’y avait pas de choc psychologique, l’enfant pressentait, recherchait sa sexualité homosexuelle. J’ai en mémoire ce garçon de 28 ans qui dès l’âge de 8 ans, alors que ses parents tenaient un salon de coiffure, allait mettre sa main dans la braguette des garçons coiffeurs amusés.

L’initiation se fait bien souvent par un ou plusieurs camarades et même s’il n’y a pas recherche, le choc psychique est minime. Témoin cet enfant de neuf ans, qui alors qu’il se trouvait en colonie de vacances, construisit avec ses camarades une cabane ; celle-ci construite, les garçons plus âgés qui lui (13-14 ans) l’obligent à se mettre nu, à écarter les cuisses et à remonter son sexe dans sa main (afin de donner l’impression d’un corps féminin), les garçons se contentant de passer leurs doigts entre les cuisses. Par la suite, cet enfant cherchera à retrouver l’impression ressentie comme agréable. (Observation n° 6).

En fait, ces sortes de jeux sexuels sont très courants ; cependant notons à l’appui de notre thèse que si de nombreux enfants pratiquent ces jeux ou même la masturbation en commun, quelques-uns seulement rechercheront cette pratique plus tard ; il y a donc bien eu fixation.


Nous pourrions d’ailleurs bien souvent penser que l’érotisme est découvert par curiosité — le tabou sexuel servant d’excitant — les enfants veulent se montrer ce que l’on ne doit pas montrer, et de la vision passent au toucher.

Quelquefois la curiosité se pose sur les hommes : ce garçon de 7 ans qui, étranger, comparait les braguettes des Français et de ses compatriotes se demandant avec angoisse : les Français sont-ils faits comme les hommes de mon pays ? » Ce n’est que plus tard, mais toujours sous cette impulsion qu’il vérifiera. (Observation N° 7).


Curiosité également pour cet enfant de 10 ans qui au café, aperçoit par une braguette mal boutonnée un peu de chair rayée de noir… ces raies noires (les poils) l’intrigueront, l’inquiéteront, et l’enfant regarde si fixement que l’homme réalisera et boutonnera son pantalon… mais l’enfant reste très inquiet, sans savoir pourquoi. Le soir même, il dit avoir peur, seul dans sa chambre, pleure et obtient de coucher entre son père et sa mère, il résiste au sommeil et pensant son père endormi essaie d’approcher la main du sexe de son père… Le père éveillé lui retire la main, l’enfant s’endort. Le lendemain, éveillé, il feint de dormir pour voir le lever mais il se rendort. Il reste tourmenté de nombreux jours puis songe à la salle de bain dont il retirera la clef. À l’occasion d’un bain du père il regarde par le trou de la serrure et voit le sexe de son père — à partir de ce jour, l’homme sera pour lui une véritable obsession jusqu’au moment (17 ans) où il rencontrera un garçon. (Observation n° 8.)


Pour en revenir à des formes plus nettes, citons un cas curieux :


Observation n° 9. — Pendant les vacances un enfant de 11 ans joue habituellement avec une fillette de son âge, il l’embrasse, la caresse, la prend sur ses genoux, mais la questionne sur son frère — 20 ans. Il désire savoir comme il est nu, ce qu’il fait dans son lit, s’il fréquente des filles…

Il lui montre son sexe et il lui demande s’il est semblable à celui de son frère, s’il est aussi gros, et comme honnêtement, la fille répond négativement, le garçon contraint la fillette à dire : « Non, la tienne est plus grosse, plus grande, plus belle ». Cette scène se reproduit souvent. Un autre garçon se mêle quelques semaines plus tard à leurs jeux ; il est prié de faire voir son sexe et là encore la fille doit donner son avis et dire que le sexe du premier est plus gros, etc… Cependant le garçon essaie un coït avec cette fille sur les yeux de laquelle il a jeté une serviette, par contre l’autre garçon doit regarder, sexe en main. Ce sera seulement après la puberté qu’il aura des relations avec un garçon.


Ce cas est d’une grande richesse. Nous pourrions y trouver entre autres : l’agressivité sexuelle, l’homosexualité larvée et dissimulée sous des formes hétérosexuelles… mais dans le cadre de cet article arrêtons-nous là.


Il semble clair que nous pouvons, sinon affirmer que dès l’enfance nous avons des formes homosexuelles de sexualité, dire qu’il importe de continuer les recherches en ce sens.


Jean CAMBRAY.


  1. L’équilibre en soi ne peut exister, bien sûr.
  2. Traduit en français. Presses Universitaires de France. 1952.
  3. Dr Sig. Freud : Introduction à la Psychanalyse (Payot), p. 351.
  4. p. 338 du même ouvrage.
  5. Chez Gallimard.


Voir aussi

Bibliographie

  • « Les tendances homosexuelles dans l’enfance » / Jean Cambray, in Arcadie : revue littéraire et scientifique, 1e année, n° 6, juin 1954, p. 28-33. – Paris : Arcadie, 1954 (Illiers : Impr. Launay). – 52 p. ; 23 × 14 cm.

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