L’herbe à brûler (Conrad Detrez)
L'herbe à brûler est un roman de l'écrivain belge (naturalisé français en 1982) Conrad Detrez (1937-1985). Publié chez Calmann-Lévy en 1978, il lui valut le prix Renaudot. Il fait partie, avec Ludo et Les plumes du coq, partie d'une trilogie à caractère autobiographique.
Résumé
Ce roman s'ouvre sur deux amitiés que l'on peut qualifier de particulières. Après des humanités dans un collège catholique, le narrateur entre au séminaire à l'époque du Walen Buiten. La rencontre de séminariste originaires d'Amérique du Sud le pousse à quitter le séminaire. Il traverse l'Atlantique, et son cheminement spirituel, politique et littéraire verra le collégien catholique pro-léopoldiste des Plumes du coq devenir progressivement un agitateur pro-castriste et anticlérical en Amérique du Sud. En chemin, il découvrira l'amour avec un homme, et le sexe avec quelques maîtresses. Torturé, emprisonné puis expulsé vers la France, il reviendra à sa glèbe natale ; en effet qu'il étudie, qu'il milite ou qu'il vive de travail manuel, le rapport à une terre cultivée est omniprésent dans la trilogie.
Extraits
(...) Après ces quatre années d'infernal et pathétique mariage l'âme rivée en moi a connu à nouveau la tentation de sortir du trou. Mais elle n'y est pas arrivée. J'avais déja sept ans, j'étais fort, je bandais. Insectes et papillons et le soleil lui-même avaient perdu leur pouvoir de m'ouvrir le corps de l'amener à eux.[1]
Le lendemain de mon entrée dans le choeur, l'acolyte qui tenait la navette m'a entraîné derrière l'autel, pendant que l'homme habillé de mauve prếchait. On avait posé sur les dalles des pots d'hortensias flétris, des vases remplis d'eau verdâtre et crémeuse où plongeait des tiges de lis fanés, pourrissant, et des roses à pétales tout bruns. L'acolyte m'a fait m'accroupir devant lui, a soulevé sa jupe. Il a pissé dans un des vases. Le lis inondé tremblait, des gouttes d'or coulaient sur la tige, une odeur fétide montait de l'eau troublée par le jet. L'urine évacuée, l'enfant de choeur a maintenu les pans de sa robe levés. J'ai vu que sous sa jupe il s'était mis nu. L'acolyte ne portait pas de culotte.
— A ton tour, a-t-il ordonné.
— J'ai pas besoin, ai-je protesté.
— Essaie.
— Mais j'ai pas besoin, je te dis !
— Fais semblant, rien que pour voir.
J'ai donc fait semblant, il a vu. Un petit bout seulement car moi, en revêtant dans la sacristie mon costume de servant, j'avais conservé ma culotte. Le prêche s'est terminé, nous sommes revenus devant l'autel. Le vieillard a versé une cuillerée de grains dans mon encensoir, je l'ai salué de trois coups devant lui, trois coups sur la gauche, trois sur sa droite puis, tandis que les fidèles chantaient, je me suis placé au milieu du choeur sur le tapis central et j'ai balancé ma cassolette, me noyant dans une large colonne de fumée. Mon âme cependant n'a pas connu le transport de la veille et mon bras a vite éprouvé de la lassitude. L'acolyte frottait la navette contre sa jupe. L'encens sur les braises grésillait. Ma narines conservaient des relents de lis en putréfaction. Je revoyais mon camarade pisser dans le long vase blanc à col bordé de bleu, les doigts serrés sur sa verge qu'il pinçait afin d'émettre un jet saccadé. Je le revoyais s'essuyer le sexe avec la dentelle de son surplis. La présence de ce garçon à mes côtés dans le choeur dégoûtait mon âme. Le culte se poursuivait au son de l'orgue. La lumière du soleil coulait à travers les vitres, éclairait les cierges, blanchissait les volutes de fumée autour de moi. Consciencieux, j'agitais l'ostensoir mais j'avais perdu la paix.[2]
Lien externes
- Entretien avec Conrad Detrez après l'attribution du prix Renaudot. Conrad Detrez résume L'herbe à brûler.