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{{Citation longue|— Alors ça c’est des carabines ? demanda Serge dans le car, à propos de l’arme qu’il
{{Citation longue|Le petit lapin ne s’était pas sauvé. Serge le touchait, le caressait, l’amusait chaque jour.
avait utilisée. Eh !… eh machin ! eh des carabites ! hein des carabites ! eh dis donc, oh écoute
La bestiole était presque aussi joueuse qu’un jeune chat, mais on ne lui voyait pas de rire au
eh des carabites !
visage. Elle avait une figure compassée, mignonne par distraction, vieillarde à l’ordinaire.
L’inhabituel de sa race, c’était des oreilles très longues, très grandes et rondes, qui se
dressaient. Jonathan, accoutumé aux lapins de choux, gris lapin, mous, timides, restait surpris
devant ce lapin-là, plus sauvage et plus fort que les autres. À croire qu’il descendait d’une
aïeule hase, tuée au collet et dont on avait recueilli les petits.


Ce fut le premier calembour que Jonathan entendit du gamin. Mais Serge l’avait
Le lapereau n’avait pas découvert les déchirures du grillage. Il sautillait par le jardin,
peut-être reçu de Stéphane (qui n’avait pas loin de dix ans et dont la langue tournait vite)
grignotait les feuilles de chou, étudiait les herbes et les fleurs, dormait ou s’immobilisait
quand il avait raconté l’aventure du stand aux trois frères. L’insistance de Serge à répéter le
souvent, reconnaissait les personnes, acceptait la main de Serge, qui usait de lui comme d’un
jeu de mots montrait qu’il n’avait pas encore soupçonné qu’on pouvait ainsi manipuler cette
écureuil apprivoisé, le mettait à son cou, lui embrassait la bouche, mêlait sa vivacité à celle de
chose, aussi ténue et aussi inconsistante que des bulles de savon : le langage.
la bestiole. Il ne dédaignait pas de lui tenir des conversations, où généralement l’opinion du
lapin prévalait, non sans luttes.


— … Dans le jardin, suggéra Jonathan, on pourrait, euh… Hein, s’il y a du soleil ?
Et l’animal avait ses moments de folie : il tournait dans l’herbe, se roulait sur le dos,
agitant les pattes comme un mourant qui tremble, galopait, reniflait, semblait intelligent pour
son animation, mais égaré à cause de son œil vide. Il habitait dehors : on lui ouvrait la cuisine
par temps de pluie, mais il préférait l’abri de certains gros feuillages.


— Ouah salaud ! s’écria Serge. Ben moi j’te l’fais pas !
Les deux chats avaient cessé de venir. La belle saison leur offrait des ressources qui ne
dépendaient plus d’un seul lieu. Mais Jonathan continuait de leur mettre à manger dans le
jardin en se couchant, et il retrouvait habituellement les écuelles vides. Les chats, soûls de
parfums de vies, de bêtes, couraient la campagne comme des célibataires saisis d’amour : et,
bredouilles le soir, ils revenaient honteusement dévorer leur pâté.


— Je te l’ai pas demandé.
Le bassin qu’avait creusé Serge était devenu assez grand pour que, dans l’eau boueuse,
couleur café au lait, il s’assoie entier. D’abord, il avait seulement trempé les pieds dans cette
crème, qui moussait sur les bords pendant qu’il versait l’eau. En moins d’une heure, toute
cette eau était absorbée et il fallait en remettre ; une pâte lisse, douce, brillante, veloutait les
parois du trou.


— Menteur. Et moi ça m’fait comm’ça d’abord, ricana Serge : et il bâilla comme s’il
Ensuite l’enfant, sur la suggestion de Jonathan, y baigna ses fesses nues. C’était froid,
voulait gober une balle de tennis.
chatouillant, gluant au fond. Quand il se relevait, un liséré laiteux et terreux marquait ses
cuisses, ses reins, son ventre, comme les moustaches du petit déjeuner marquent la lèvre quand on retire la figure d’un grand bol.


— Des fois, quand même, tu l’embrasses, murmura Jonathan, que ces simulacres de
Ces bains étaient si agréables que Serge, irrité, détestait d’y être seul. Alors Jonathan
refus amusaient.
glissait son pied entre les cuisses de l’enfant ; ou bien il s’accroupissait et, plongeant la main
 
au fond de l’eau, il ramassait la boue onctueuse et il la poussait dans les intimités du petit.}}<br>
— Oui. Oui, mais c’était avant. Ou alors, hein, juste comme ça.
 
Serge en parlant chatouillait de ses lèvres l’oreille de Jonathan, qui y reçut un petit coup
de langue pointue et sentit un battement de cœur. L’enfant se mit à rire et se renfonça dans son
fauteuil.
 
— Vraiment je t’aime toi ! remarqua Jonathan à voix basse et sans raison.
 
— Ouais ouais, dit Serge avec une indifférence de roi fainéant, t’as qu’à pas l’dire.
 
Et, juste ensuite :
 
— … et toi comment i fait l’mec quand i les mange les lames hein les lam’d’rasoir ?
Hein à ton avis toi.
 
Jonathan trouva Serge bien pompeux. Mais il répondit, improvisant une explication qui
lui coûta de terribles efforts.
 
— C’est… ce ne sont pas des vraies lames. Il y en a une vraie, il coupe son papier avec,
et les autres elles sont fausses. Après, quand il sort les lames de sa bouche, c’est encore une
autre chose, ça doit être une lame spéciale, qui est très grosse, mais on ne voit pas, ça va trop
vite : et c’est comme un accordéon, c’est des tas de petites fausses lames en petit paquet qui
est bien serré, elles sont attachées d’avance en guirlande avec, avec du fil de pêche, et elles se
décollent quand il tire, et il montre tout ça, et les autres fausses elles restent dans sa bouche. Je crois bien que c’est ça, c’est peut-être ça. Je ne sais pas !
 
— Alors c’est des fausses ? dit Serge d’un ton de défi.
 
— Oui, sûrement. Il cache la vraie et ensuite il mange les fausses.
 
— … Non c’est pas des fausses ! affirma Serge en se redressant. Elles sont pas fausses !
Mais j’vais t’expliquer. Tu sais pas c’qu’i fait ? Alors c’est pas difficile ! Il a une fausse
figure !
 
— Quoi, dit Jonathan, comme un masque tu crois ?
 
— Oui, ben oui : une fausse figure forcément.
 
— Peut-être… En tout cas, c’est bien imité.
 
— Ouais tu parles c’est des vraies ! dit Serge, comme d’une évidence renommée. Ils les
font drôlement bien tu comprends. Alors ils mettent leur fausse figure d’abord, et y a un trou
dans la figure, dans la bouche, et ils cachent les lames dedans. C’est ça qu’i font.
 
— Je n’oserais pas, moi, dit Jonathan. Tu imagines, si on se trompe de trou. Derrière la
fausse figure y a la vraie, la tienne. Si c’est pas le bon trou tu te coupes partout, t’as plus de
langue, plus rien. C’est dangereux !
 
— Ouais, c’est dangereux, admit Serge. Mais c’est pas mal.}}<br>
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Le petit lapin ne s’était pas sauvé. Serge le touchait, le caressait, l’amusait chaque jour. La bestiole était presque aussi joueuse qu’un jeune chat, mais on ne lui voyait pas de rire au visage. Elle avait une figure compassée, mignonne par distraction, vieillarde à l’ordinaire. L’inhabituel de sa race, c’était des oreilles très longues, très grandes et rondes, qui se dressaient. Jonathan, accoutumé aux lapins de choux, gris lapin, mous, timides, restait surpris devant ce lapin-là, plus sauvage et plus fort que les autres. À croire qu’il descendait d’une aïeule hase, tuée au collet et dont on avait recueilli les petits.

Le lapereau n’avait pas découvert les déchirures du grillage. Il sautillait par le jardin, grignotait les feuilles de chou, étudiait les herbes et les fleurs, dormait ou s’immobilisait souvent, reconnaissait les personnes, acceptait la main de Serge, qui usait de lui comme d’un écureuil apprivoisé, le mettait à son cou, lui embrassait la bouche, mêlait sa vivacité à celle de la bestiole. Il ne dédaignait pas de lui tenir des conversations, où généralement l’opinion du lapin prévalait, non sans luttes.

Et l’animal avait ses moments de folie : il tournait dans l’herbe, se roulait sur le dos, agitant les pattes comme un mourant qui tremble, galopait, reniflait, semblait intelligent pour son animation, mais égaré à cause de son œil vide. Il habitait dehors : on lui ouvrait la cuisine par temps de pluie, mais il préférait l’abri de certains gros feuillages.

Les deux chats avaient cessé de venir. La belle saison leur offrait des ressources qui ne dépendaient plus d’un seul lieu. Mais Jonathan continuait de leur mettre à manger dans le jardin en se couchant, et il retrouvait habituellement les écuelles vides. Les chats, soûls de parfums de vies, de bêtes, couraient la campagne comme des célibataires saisis d’amour : et, bredouilles le soir, ils revenaient honteusement dévorer leur pâté.

Le bassin qu’avait creusé Serge était devenu assez grand pour que, dans l’eau boueuse, couleur café au lait, il s’assoie entier. D’abord, il avait seulement trempé les pieds dans cette crème, qui moussait sur les bords pendant qu’il versait l’eau. En moins d’une heure, toute cette eau était absorbée et il fallait en remettre ; une pâte lisse, douce, brillante, veloutait les parois du trou.

Ensuite l’enfant, sur la suggestion de Jonathan, y baigna ses fesses nues. C’était froid, chatouillant, gluant au fond. Quand il se relevait, un liséré laiteux et terreux marquait ses cuisses, ses reins, son ventre, comme les moustaches du petit déjeuner marquent la lèvre quand on retire la figure d’un grand bol.

Ces bains étaient si agréables que Serge, irrité, détestait d’y être seul. Alors Jonathan glissait son pied entre les cuisses de l’enfant ; ou bien il s’accroupissait et, plongeant la main au fond de l’eau, il ramassait la boue onctueuse et il la poussait dans les intimités du petit.


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