« Quand mourut Jonathan (66) » : différence entre les versions

De BoyWiki
(Page créée avec « {{Bandeau citation|aligné=droite|d|b]}} ''précédent''<br><br> {{Citation longue|Si Serge avait, maintenant, des façons affectueuses, et... »)
 
Aucun résumé des modifications
 
Ligne 2 : Ligne 2 :


''[[Quand mourut Jonathan (65)|précédent]]''<br><br>
''[[Quand mourut Jonathan (65)|précédent]]''<br><br>
{{Citation longue|Si Serge avait, maintenant, des façons affectueuses, et souvent très caressantes, il était
{{Citation longue|Serge n’aimait pas tellement les illustrés humoristiques. Il préférait les petites brochures
cependant devenu moins sociable. Les enfants de son âge ne l’attiraient guère ; quant aux
aux images en noir et blanc, au dessin souvent hideux, qui racontent des aventures. Il lut
adultes, il en détournait les yeux. Il ne disait rien de ses parents ; un mot d’eux, une carte
''Satana'', ''Buffalo Bill'', ''Harry Sprint'', ''Colt'', ''Misterlady'', ''Atomos'', ''Coup dur'', ''Tom Berry'', ''Brik'',
postale, venait de temps à autre ; il en était assombri, ou absent, quelques minutes, puis il
''Jingo'', ''Fantastik'', ''Krimi'', ''Hallucination'', ''Zara la vampire'', ''Brûlant'', ''Clameurs'', ''Choc'',
semblait l’oublier.
''Il est minuit…'', ''Anticipation'', ''Eclipso'', ''Démon'', ''X 12'', ''Genius'', ''Vengeur'', ''La Louve'', ''Zorro'',
''Don Z'', et une quantité d’autres qu’il choisissait d’après l’image de la couverture, et qu’il feuilletait un
instant. Feuilleter lui était un art difficile : il fallait, expliquait-il, regarder dedans pour vérifier
qu’il ne le connaissait pas, mais ne pas trop regarder, pour ne pas le lire d’avance et ne pas
perdre la surprise. La solution était de loucher un rien. Les images en devenaient troubles : et
si, dans cette brume, il identifiait un détail, alors il réaccommodait la vue, examinait cela de
plus près avec l’anxiété d’en lire trop, puis, soulagé, il s’écriait :


Sa curiosité pour Jonathan augmentait : il exigeait des anecdotes, il voulait savoir toute
— Non, j’l’ai déjà !
sa vie. Jonathan, docilement, racontait ce qu’il pouvait. Cette obligation le gênait horriblement. Il n’aimait ni simplifier ni mentir ; il y était contraint.


La beauté du petit garçon restait, elle aussi, embarrassante, et Jonathan ne s’y
Car déflorer, le soir, au lit, une brochure bien intacte et bien prometteuse lui était un
accoutumait pas. Il l’espéra passagère ; il évoquait parfois, avec une certaine tristesse, le
plaisir incomparable. Il en oubliait même Jonathan, et il se serait couché à l’heure des poules.
Serge d’avant, qui n’offensait pas les yeux, ou qui n’était pas, comme celui-ci, beau à côté ou
en plus de lui-même.


Cette impression maintenait Jonathan dans sa timidité. Il n’osait jamais prendre
Cependant, n’avoir rien à lire ne le désœuvrait pas. Il savait occuper de mille façons ses
l’initiative de leurs accouplements. Il regrettait presque qu’ils aient lieu. Il en avait un besoin
après-dîners. Les illustrés, rituellement, couronnaient plutôt les journées où, retour de la ville,
infini. Sans la bonté, l’aisance, la gourmandise crapule de Serge, ces moments-là auraient été
épuisé d’avoir nagé, ramé, cabriolé, eu des bavardages et reçu du soleil, il se délectait, sitôt
lourds.
son repas pris, d’aller au lit et là, bien éclairé, bien calé, un paquet de biscuits et une limonade
glacée à portée de la main, d’entamer les brochures neuves qu’ils avaient rapportées. Ce
rituel, enfin, supposait qu’on ait soigneusement tout rangé, en bas, et que le petit lit soit fait
(le moindre pli du drap sous ses fesses, la moindre miette de biscuit auraient tout gâché), et
que Jonathan, sur l’autre lit, soit lui-même couché, sa personne et sa literie bien en ordre, et
qu’il lise sagement.


Depuis toujours, ils s’étaient un peu enculés. Ç’avait été l’étonnement de Jonathan
Jonathan simulait donc de lire. En réalité, il ne parvenait pas à détacher ses yeux de
lorsque, à Paris, il dormait contre cet enfant — d’à peine sept ans alors — qui, lui tournant le
l’enfant ; il le contemplait là plus volontiers qu’à la piscine ; il l’admirait ; une chaleur
dos, s’assoupissait habituellement en logeant les fesses dans le creux des cuisses du jeune
profonde et tendre l’envahissait ; c’était son plus grand bonheur.
homme, eux deux couchés en chien de fusil. Serge reprenait cette posture au matin : et, une
fois, sans mot dire, il glissa la main derrière lui, prit le membre qui était allongé contre sa raie,
et, réajustant les hanches, il se le plaça juste au trou. Jonathan n’osa pas bouger, il fit semblant
d’être encore endormi. Mais, le même soir, il se rappela le geste du petit et, lorsqu’ils furent
au lit et eurent joué à diverses caresses, la position du matin se reprit ; et Jonathan, comme le
trou du gosse était encore tout mouillé de salive, y poussa le membre. Il n’avait pas supposé
l’endroit si élastique. Quand il y eut enfoncé environ la longueur d’un doigt, il entendit
simplement Serge murmurer, d’une voix calme :


— Ça fait un peu mal.
Leurs lits étaient à angle droit l’un de l’autre et formaient un T, dont les deux barres
étaient séparées par un espace d’environ un mètre. Jonathan habitait la barre verticale ; sa tête
touchait le mur du fond, ses pieds regardaient Serge installé sur l’autre barre du T, laquelle
occupait de tout son long le mur d’en face et un angle à gauche. C’est dans cet angle que
s’adossait, à une couple d’oreillers blancs, l’indigène papivore que Jonathan, du haut de son
île, aimait à examiner.


Il se retira aussitôt, et s’interdit de recommencer. La disproportion l’effrayait, bien que
Il en exécutait de rapides et nombreux croquis, sans rien dire. Il ne montrait pas ces
Serge, quant à lui, en parût tout à fait inconscient.
portraits à l’enfant, et il cachait les feuilles dans un gros livre qui lui tenait lieu de sous-main.
Là-bas, sur l’île aux brochures, il se passait des choses. Serge croquait des petits-beurre ; le
silence était tel qu’on percevait le bruit, comme d’un événement géologique lent, massif,
régulier et souterrain, de la pâte friable écrasée sous les meules des dents. Ce commentaire discret de l’illustré était, pour Jonathan, un chant magique qui captivait son oreille et lui
faisait tomber son crayon des doigts. Sans le calme et la résonance particulière du soir, cette
rumeur granuleuse, sablée, de biscuit broyé sans salive, aurait été inaudible ; elle était attachée
au crépuscule ; son émission mystérieuse en une heure furtive l’apparentait aux phénomènes
zoologiques les plus rares, que seuls des naturalistes d’une patience et d’une finesse
d’attention extrêmes parviennent à capter, au terme de longs périples tropicaux, entre l’instant
où les singes ne crient plus et celui où les prédateurs nocturnes commencent à rôder.


Plus tard, l’enfant répéta son geste. Jonathan comprenait mieux, désormais, les plaisirs
Serge passait beaucoup plus de temps à décoller de ses dents, avec le petit doigt, les
du petit corps : il ne le pénétra pas, ou à peine, mais il lui masturba longuement l’anus par ce
restes de pâte devenus gluants, qu’à croquer les biscuits mêmes. Il était difficile de savoir
moyen, le laissa inondé, l’essuya — sinon que, quelques fois ensuite, Serge, avec sa tyrannie
laquelle de ces deux actions il préférait. Les bruits de bouche, de langue, de gosier, qui
placide, demanda :
accompagnaient ce ménage de la denture et des gencives, n’avaient rien d’exotique, eux : ils
étaient douillettement organiques, jolis, humains, et donnaient une irrésistible envie de
partager le goûter de cette bouche-là.


Non, faut continuer quand c’est mouillé.
Quand les provisions étaient consommées, la limonade avalée, la lecture très en route,
l’indigène du T relâchait ses protocoles. D’abord, il renonçait à sa posture canonique d’enfant
mis au lit. Il repoussait les draps, s’installait sur le flanc, ou à plat ventre, les pieds vers
l’oreiller. Le pyjama qu’il tenait à porter lui pesait — la saison était chaude —, il murmurait :


Et la chose fit partie de leurs attouchements habituels, sans être privilégiée parmi eux.
— Fait chaud, hein ? Moi, j’ai chaud !… Je l’mettrai après. et, s’étant déboutonné et
Quant à Serge, après diverses provocations hésitantes et canailles, il sut volontiers se distraire
déculotté (mais il préservait plus ou moins sa pudeur en ramenant au bon endroit une manche
aux fesses du jeune homme, bien qu’il ne s’occupât d’orgasmes qu’avec les doigts.
ou un coin du vêtement abandonné sur le lit), il reprenait sa lecture. Aussitôt Jonathan, qui,
lui, continuait de coucher nu, se sentait autorisé à rejeter ses draps — son gros livre lui tenant
lieu de pagne.


Ainsi, depuis longtemps, la sodomie était mélangée à leurs autres plaisirs ; elle n’y était
Ces décences de l’enfant lui semblaient, finalement, d’étranges malices, des hypocrisies
rien de spécial ; elle y passait inaperçue. Seule la croissance de l’enfant, ou la durée de leur
à l’intention obscène. Et Serge manquait rarement de lui donner raison. Du moins, une fois
intimité, avait modifié peu à peu la nature des pénétrations — beaucoup plus profondes, mais
ses brochures finies. Alors, les deux insulaires se rendaient visite.}}<br>
toujours presque immobiles, de la part de Jonathan ; plus adroites, moins farceuses, plus
longues et plus solidement logées, de la part de Serge.
 
Évolution qui se poursuivit, cet été-là. Un événement étranger, toutefois, était intervenu.
En effet, Serge confia à Jonathan que, un peu avant les vacances, il avait sucé un garçon de
quinze ans — qui l’avait aussi enculé, et sans égards. C’était dans la bande de types et de
filles, d’un peu tous les âges, qui allaient chez Barbara. La proposition, abrupte, était venue de
l’adolescent : Serge avait accepté sans faire d’histoires. Il n’y avait pas eu de suite : le grand,
son truc expédié, avait eu la frousse et n’avait plus remis les pieds à la maison.
 
La confidence laissa Jonathan perplexe. Il n’avait pas imaginé que Serge eût pu vivre de
telles choses ; l’enfant en parla à la rigolade et avec dédain — tous les gens qui fréquentaient
sa mère étaient des cons. Il était cependant un rien fier que ce fût arrivé, Jonathan le vit bien.
Mais les idées fausses que, malgré lui, le jeune peintre cultivait encore à propos des enfants
l’empêchèrent d’interpréter, de comprendre cet épisode.
 
Il n’en conclut pas non plus que Serge aurait des complaisances désormais plus
étendues, ou des passions plus dirigées, ou des initiatives plus vaillantes. En quoi il se
trompait.
 
Mais il ne s’agissait pas de plaisirs que Serge aimait prendre par amour de Jonathan : il
les recherchait pour eux-mêmes. Quand c’est à Jonathan qu’il pensait, il l’embrassait ; quand
c’est à la bite et au cul qu’il pensait, il s’en servait. Et c’est ce sans-gêne qui rendait
supportables à Jonathan ces étreintes qui, sinon, l’eussent intimidé jusqu’à le faire renoncer à
elles. Comme Serge passait, sans transition, sans signal, à son caprice, de ce qui est « sexuel »
à ce qui ne l’est pas, et inversement, et aimait à disposer du jeune homme comme si celui-ci,
de son côté, n’eût eu aucuns désirs préalables et personnels, Jonathan était alternativement
accablé et soulagé, malheureux d’être seul à désirer, heureux de ne plus l’être, sexué ou
asexué selon les mouvements imprévisibles de l’enfant, dont il n’était lui-même que lieu,
chair et miroir.}}<br>
''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (67)|suivant]]}}''
''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (67)|suivant]]}}''
<center>[[Quand mourut Jonathan|Retour au sommaire]]</center>
<center>[[Quand mourut Jonathan|Retour au sommaire]]</center>
[[Catégorie:Quand mourut Jonathan]]
[[Catégorie:Quand mourut Jonathan]]

Dernière version du 8 juin 2016 à 17:04

Il est possible que ce document ne soit pas libre de droits …Si vous possédez des droits sur ce document
et si vous pensez qu’ils ne sont pas respectés,
veuillez le faire savoir à la direction de BoyWiki,
qui mettra fin dès que possible à tout abus avéré.

précédent

Serge n’aimait pas tellement les illustrés humoristiques. Il préférait les petites brochures aux images en noir et blanc, au dessin souvent hideux, qui racontent des aventures. Il lut Satana, Buffalo Bill, Harry Sprint, Colt, Misterlady, Atomos, Coup dur, Tom Berry, Brik, Jingo, Fantastik, Krimi, Hallucination, Zara la vampire, Brûlant, Clameurs, Choc, Il est minuit…, Anticipation, Eclipso, Démon, X 12, Genius, Vengeur, La Louve, Zorro, Don Z, et une quantité d’autres qu’il choisissait d’après l’image de la couverture, et qu’il feuilletait un instant. Feuilleter lui était un art difficile : il fallait, expliquait-il, regarder dedans pour vérifier qu’il ne le connaissait pas, mais ne pas trop regarder, pour ne pas le lire d’avance et ne pas perdre la surprise. La solution était de loucher un rien. Les images en devenaient troubles : et si, dans cette brume, il identifiait un détail, alors il réaccommodait la vue, examinait cela de plus près avec l’anxiété d’en lire trop, puis, soulagé, il s’écriait :

— Non, j’l’ai déjà !

Car déflorer, le soir, au lit, une brochure bien intacte et bien prometteuse lui était un plaisir incomparable. Il en oubliait même Jonathan, et il se serait couché à l’heure des poules.

Cependant, n’avoir rien à lire ne le désœuvrait pas. Il savait occuper de mille façons ses après-dîners. Les illustrés, rituellement, couronnaient plutôt les journées où, retour de la ville, épuisé d’avoir nagé, ramé, cabriolé, eu des bavardages et reçu du soleil, il se délectait, sitôt son repas pris, d’aller au lit et là, bien éclairé, bien calé, un paquet de biscuits et une limonade glacée à portée de la main, d’entamer les brochures neuves qu’ils avaient rapportées. Ce rituel, enfin, supposait qu’on ait soigneusement tout rangé, en bas, et que le petit lit soit fait (le moindre pli du drap sous ses fesses, la moindre miette de biscuit auraient tout gâché), et que Jonathan, sur l’autre lit, soit lui-même couché, sa personne et sa literie bien en ordre, et qu’il lise sagement.

Jonathan simulait donc de lire. En réalité, il ne parvenait pas à détacher ses yeux de l’enfant ; il le contemplait là plus volontiers qu’à la piscine ; il l’admirait ; une chaleur profonde et tendre l’envahissait ; c’était son plus grand bonheur.

Leurs lits étaient à angle droit l’un de l’autre et formaient un T, dont les deux barres étaient séparées par un espace d’environ un mètre. Jonathan habitait la barre verticale ; sa tête touchait le mur du fond, ses pieds regardaient Serge installé sur l’autre barre du T, laquelle occupait de tout son long le mur d’en face et un angle à gauche. C’est dans cet angle que s’adossait, à une couple d’oreillers blancs, l’indigène papivore que Jonathan, du haut de son île, aimait à examiner.

Il en exécutait de rapides et nombreux croquis, sans rien dire. Il ne montrait pas ces portraits à l’enfant, et il cachait les feuilles dans un gros livre qui lui tenait lieu de sous-main. Là-bas, sur l’île aux brochures, il se passait des choses. Serge croquait des petits-beurre ; le silence était tel qu’on percevait le bruit, comme d’un événement géologique lent, massif, régulier et souterrain, de la pâte friable écrasée sous les meules des dents. Ce commentaire discret de l’illustré était, pour Jonathan, un chant magique qui captivait son oreille et lui faisait tomber son crayon des doigts. Sans le calme et la résonance particulière du soir, cette rumeur granuleuse, sablée, de biscuit broyé sans salive, aurait été inaudible ; elle était attachée au crépuscule ; son émission mystérieuse en une heure furtive l’apparentait aux phénomènes zoologiques les plus rares, que seuls des naturalistes d’une patience et d’une finesse d’attention extrêmes parviennent à capter, au terme de longs périples tropicaux, entre l’instant où les singes ne crient plus et celui où les prédateurs nocturnes commencent à rôder.

Serge passait beaucoup plus de temps à décoller de ses dents, avec le petit doigt, les restes de pâte devenus gluants, qu’à croquer les biscuits mêmes. Il était difficile de savoir laquelle de ces deux actions il préférait. Les bruits de bouche, de langue, de gosier, qui accompagnaient ce ménage de la denture et des gencives, n’avaient rien d’exotique, eux : ils étaient douillettement organiques, jolis, humains, et donnaient une irrésistible envie de partager le goûter de cette bouche-là.

Quand les provisions étaient consommées, la limonade avalée, la lecture très en route, l’indigène du T relâchait ses protocoles. D’abord, il renonçait à sa posture canonique d’enfant mis au lit. Il repoussait les draps, s’installait sur le flanc, ou à plat ventre, les pieds vers l’oreiller. Le pyjama qu’il tenait à porter lui pesait — la saison était chaude —, il murmurait :

— Fait chaud, hein ? Moi, j’ai chaud !… Je l’mettrai après. et, s’étant déboutonné et déculotté (mais il préservait plus ou moins sa pudeur en ramenant au bon endroit une manche ou un coin du vêtement abandonné sur le lit), il reprenait sa lecture. Aussitôt Jonathan, qui, lui, continuait de coucher nu, se sentait autorisé à rejeter ses draps — son gros livre lui tenant lieu de pagne.

Ces décences de l’enfant lui semblaient, finalement, d’étranges malices, des hypocrisies à l’intention obscène. Et Serge manquait rarement de lui donner raison. Du moins, une fois ses brochures finies. Alors, les deux insulaires se rendaient visite.


Retour au sommaire