« Quand mourut Jonathan (75) » : différence entre les versions

De BoyWiki
(Page créée avec « {{Bandeau citation|aligné=droite|d|b]}} ''précédent''<br><br> {{Citation longue|— Mais tu viendras à Paris. Hein, tu viendras ? Jona... »)
 
Aucun résumé des modifications
 
Ligne 2 : Ligne 2 :


''[[Quand mourut Jonathan (74)|précédent]]''<br><br>
''[[Quand mourut Jonathan (74)|précédent]]''<br><br>
{{Citation longue|— Mais tu viendras à Paris. Hein, tu viendras ?
{{Citation longue|L’activité de Serge était étonnante. Ses artisanats proliféraient partout ; Jonathan
comprenait qu’on ait pu, un siècle plus tôt, faire travailler douze ou treize heures les gamins à
l’usine. Impossible d’imaginer une source d’énergie plus généreuse. Sinon que, de même que
l’enfant se dépensait avec cette folle prodigalité, de même il se remplissait d’aliments comme
on charge de charbon une locomotive : et s’il avait toujours deux mains pour œuvrer à
quelque chose, il semblait en avoir une troisième pour manger en même temps.


Jonathan haussa les épaules d’embarras :
Le petit jardin devint un paysage digne des dessins du papyrus. Même les couleurs
 
imitaient l’aquarelle. Pour aller de la porte de la cuisine à celle de la clôture, il fallait
— Tes parents, s’ils me voient… Surtout ta mère.
maintenant traverser tout un pays aux accidents nombreux. Mais c’était dommage de le
 
regarder d’avion, depuis la hauteur d’une tête d’adulte : il avait été créé à quatre pattes, c’est à
— Ouais.
quatre pattes qu’on y devait voyager. Et les routes, quoique excellentes toutes lissées à la
 
main — étaient fort étroites pour les genoux de Jonathan.}}<br>
Serge, depuis qu’il avait découvert les méfaits de Barbara, s’interrogeait. Il lui était
difficile, surtout, de comprendre la tactique de sa mère. Du moment que Jonathan et Serge se
voyaient, les mensonges de la femme ne valaient rien : alors, pourquoi les avait-elle faits ?
Jonathan avait son idée là-dessus, mais elle n’était pas simple à expliquer à l’enfant. En
premier lieu, Barbara était futile : elle agissait, réagissait, avait des systèmes du monde, des
choses, des gens, au jour le jour. Elle était donc bonne menteuse et bonne dupe.
 
En second lieu, elle n’était pas méchante. Elle n’apercevait l’importance de rien ; ses
bontés ou ses cruautés partaient de la même incapacité d’apercevoir autre chose qu’elle-même
et à la seconde même. Elle était de ces hommes qui assassinent sans vouloir tuer et sauvent
sans le savoir. Myope, et au nombril immense.
 
Enfin, elle se sentait, sur son enfant, un droit définitif, dont elle usait selon ses fantaisies, et qui autorisait toutes les contradictions. Serge lui servait d’humanité de réserve
quand elle n’avait rien d’autre. Il était une poupée sur qui on essaie les gestes qu’on
accomplira plus tard sur des proies moins infimes. Partenaire de répétition, de mise en scène,
d’études. D’où l’incohérence du comportement de Barbara envers l’enfant : cela ne dépendait
que de la pièce à jouer.
 
Mais il était clair que, dans tous ces théâtres, Jonathan était, lui, l’ennemi, le danger.
Barbara ne pensait probablement rien de très défavorable envers lui : son défaut, sa qualité
évidente d’ennemi absolu, c’était simplement que Serge le préférait à elle.
 
Maintenant, le problème était là. Que l’homme et l’enfant se rencontrent, s’écrivent,
Barbara serait blessée ; et comme Simon, décidément, semblait trop chiffe pour être un allié
des deux garçons, tout leur avenir tenait dans la paume ou les griffes de cette femme. Il fallait
donc plutôt la tromper. Restait à imaginer comment.
 
— Tu viendras quand elle est pas là ! suggérait Serge.
 
— Comment je le saurai ?
 
— J’te l’dirai !
 
— Et si elle revient pendant que je suis chez toi ?
 
— Ben. On inventera un truc.
 
— Oui. Mais ça marchera pas deux fois. Elle m’en veut, et elle sait pourquoi je viendrai.
Elle le sait bien.
 
— Alors on peut rien faire ?
 
Ce n’était pas une conclusion. Cela signifiait seulement qu’ils ne pourraient rien prévoir.
Ce serait une guérilla, des expédients, des improvisations.
 
Misérablement, cette situation évoquait, pour Jonathan, un adultère, et ses pauvres
complots. Comment se voir et s’aimer à l’insu d’un mari jaloux. Sinon qu’ici le mari était une
mère, puisque l’épouse était un petit garçon.
 
— Faut quand même décider, insistait Serge.
 
Mais une épouse sur qui le mari avait des droits illimités, tels qu’il n’en existe plus dans
les vrais cocuages. Et que ce mariage sans nom, la maternité, pût jouir de tels pouvoirs,
expliquait la réponse de Jonathan à une autre question de Serge :
 
— Mais qu’est-ce qu’elle peut t’faire ?
 
— Appeler les flics, disait Jonathan. Elle est pas méchante, tu sais. Non, je t’assure.
Mais on a le droit de rien, simplement. Et c’est pas elle qui va nous le donner, le droit.
 
Moi je peux la tuer. Y a qu’à la tuer.
 
Jonathan baissait les yeux. Il songeait plutôt à se tuer lui-même. Bien que l’enfant eût
raison. La mort de Jonathan, elle aussi, aurait été un assassinat : car le suicide n’existe pas. On
est toujours tué par quelqu’un.
 
Mais il fallait éloigner ces idées de mort. La pensée de Serge, trop énergique, trop
carrée, ne s’accordait pas à une situation aussi délicate que la leur. Jonathan s’efforçait de
l’accoutumer à l’incertitude. Il n’y parvenait guère. L’enfant imaginait les choses dans sa
propre clarté. Comment lui dire que leurs jeux amoureux, par exemple, n’étaient pas ce qu’il
croyait, ce qu’il vivait et exigeait frivolement, innocemment, dans la perfection intacte de sa
personnalité ? Comment lui dire que c’était un crime, que l’on constaterait en commettant des
médecins pour lui écarter les fesses ; et que leurs plaisirs vaudraient à Jonathan dix ans de
prison, et à lui, Serge, des avalanches de psychothérapie, de torture à main nue ?
 
Le silence que Jonathan gardait sur ce sujet empêchait que leurs discussions à propos
d’avenir aient quelque sens. Mais jamais, au moins jamais il n’expliquerait au plus libre des
hommes, au plus pur des enfants, qu’il était criminel.}}<br>
''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (76)|suivant]]}}''
''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (76)|suivant]]}}''
<center>[[Quand mourut Jonathan|Retour au sommaire]]</center>
<center>[[Quand mourut Jonathan|Retour au sommaire]]</center>
[[Catégorie:Quand mourut Jonathan]]
[[Catégorie:Quand mourut Jonathan]]

Dernière version du 8 juin 2016 à 16:58

Il est possible que ce document ne soit pas libre de droits …Si vous possédez des droits sur ce document
et si vous pensez qu’ils ne sont pas respectés,
veuillez le faire savoir à la direction de BoyWiki,
qui mettra fin dès que possible à tout abus avéré.

précédent

L’activité de Serge était étonnante. Ses artisanats proliféraient partout ; Jonathan comprenait qu’on ait pu, un siècle plus tôt, faire travailler douze ou treize heures les gamins à l’usine. Impossible d’imaginer une source d’énergie plus généreuse. Sinon que, de même que l’enfant se dépensait avec cette folle prodigalité, de même il se remplissait d’aliments comme on charge de charbon une locomotive : et s’il avait toujours deux mains pour œuvrer à quelque chose, il semblait en avoir une troisième pour manger en même temps.

Le petit jardin devint un paysage digne des dessins du papyrus. Même les couleurs imitaient l’aquarelle. Pour aller de la porte de la cuisine à celle de la clôture, il fallait maintenant traverser tout un pays aux accidents nombreux. Mais c’était dommage de le regarder d’avion, depuis la hauteur d’une tête d’adulte : il avait été créé à quatre pattes, c’est à quatre pattes qu’on y devait voyager. Et les routes, quoique excellentes — toutes lissées à la main — étaient fort étroites pour les genoux de Jonathan.


Retour au sommaire