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{{Citation longue|Les parents de Serge ne revinrent pas. Simon envoya simplement un télégramme qui
{{Citation longue|— Mais tu viendras à Paris. Hein, tu viendras ?
demandait à Jonathan de mettre immédiatement l’enfant dans le train de Paris.


C’est qu’on était début septembre, comme le calendrier le prouvait. Pourtant, Serge et
Jonathan haussa les épaules d’embarras :
Jonathan commençaient à peine leurs vacances : les deux mois si vite passés n’avaient servi
que d’esquisse, de préambule à une nouvelle vie — qui n’aurait pas lieu. Ils avaient agi l’un
envers l’autre comme si rien n’allait les séparer, ni les hommes, ni le temps, ni l’âge.


Ce n’était qu’une erreur de plus. Certains d’avoir écartés d’eux les malheurs usuels, ils
— Tes parents, s’ils me voient… Surtout ta mère.
avaient oublié le leur propre, que le télégramme, poli et gai, résumait comme une sentence.


J’espère que vous vous êtes bien amusés, nous aussi, mais maintenant ça suffit,
Ouais.
crevez si vous voulez, nous on reprend nos droits : tel était le seul sens de l’aimable dépêche.


Impossible de ne pas obéir. Serge et Jonathan prirent ensemble le train de Paris.}}<br>
Serge, depuis qu’il avait découvert les méfaits de Barbara, s’interrogeait. Il lui était
''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (80)|suivant]]}}''
difficile, surtout, de comprendre la tactique de sa mère. Du moment que Jonathan et Serge se
voyaient, les mensonges de la femme ne valaient rien : alors, pourquoi les avait-elle faits ?
Jonathan avait son idée là-dessus, mais elle n’était pas simple à expliquer à l’enfant. En
premier lieu, Barbara était futile : elle agissait, réagissait, avait des systèmes du monde, des
choses, des gens, au jour le jour. Elle était donc bonne menteuse et bonne dupe.
 
En second lieu, elle n’était pas méchante. Elle n’apercevait l’importance de rien ; ses
bontés ou ses cruautés partaient de la même incapacité d’apercevoir autre chose qu’elle-même
et à la seconde même. Elle était de ces hommes qui assassinent sans vouloir tuer et sauvent
sans le savoir. Myope, et au nombril immense.
 
Enfin, elle se sentait, sur son enfant, un droit définitif, dont elle usait selon ses fantaisies, et qui autorisait toutes les contradictions. Serge lui servait d’humanité de réserve
quand elle n’avait rien d’autre. Il était une poupée sur qui on essaie les gestes qu’on
accomplira plus tard sur des proies moins infimes. Partenaire de répétition, de mise en scène,
d’études. D’où l’incohérence du comportement de Barbara envers l’enfant : cela ne dépendait
que de la pièce à jouer.
 
Mais il était clair que, dans tous ces théâtres, Jonathan était, lui, l’ennemi, le danger.
Barbara ne pensait probablement rien de très défavorable envers lui : son défaut, sa qualité
évidente d’ennemi absolu, c’était simplement que Serge le préférait à elle.
 
Maintenant, le problème était là. Que l’homme et l’enfant se rencontrent, s’écrivent,
Barbara serait blessée ; et comme Simon, décidément, semblait trop chiffe pour être un allié
des deux garçons, tout leur avenir tenait dans la paume ou les griffes de cette femme. Il fallait
donc plutôt la tromper. Restait à imaginer comment.
 
— Tu viendras quand elle est pas là ! suggérait Serge.
 
— Comment je le saurai ?
 
— J’te l’dirai !
 
— Et si elle revient pendant que je suis chez toi ?
 
— Ben. On inventera un truc.
 
— Oui. Mais ça marchera pas deux fois. Elle m’en veut, et elle sait pourquoi je viendrai.
Elle le sait bien.
 
— Alors on peut rien faire ?
 
Ce n’était pas une conclusion. Cela signifiait seulement qu’ils ne pourraient rien prévoir.
Ce serait une guérilla, des expédients, des improvisations.
 
Misérablement, cette situation évoquait, pour Jonathan, un adultère, et ses pauvres
complots. Comment se voir et s’aimer à l’insu d’un mari jaloux. Sinon qu’ici le mari était une
mère, puisque l’épouse était un petit garçon.
 
— Faut quand même décider, insistait Serge.
 
Mais une épouse sur qui le mari avait des droits illimités, tels qu’il n’en existe plus dans
les vrais cocuages. Et que ce mariage sans nom, la maternité, pût jouir de tels pouvoirs,
expliquait la réponse de Jonathan à une autre question de Serge :
 
— Mais qu’est-ce qu’elle peut t’faire ?
 
— Appeler les flics, disait Jonathan. Elle est pas méchante, tu sais. Non, je t’assure.
Mais on a le droit de rien, simplement. Et c’est pas elle qui va nous le donner, le droit.
 
— Moi je peux la tuer. Y a qu’à la tuer.
 
Jonathan baissait les yeux. Il songeait plutôt à se tuer lui-même. Bien que l’enfant eût
raison. La mort de Jonathan, elle aussi, aurait été un assassinat : car le suicide n’existe pas. On
est toujours tué par quelqu’un.
 
Mais il fallait éloigner ces idées de mort. La pensée de Serge, trop énergique, trop
carrée, ne s’accordait pas à une situation aussi délicate que la leur. Jonathan s’efforçait de
l’accoutumer à l’incertitude. Il n’y parvenait guère. L’enfant imaginait les choses dans sa
propre clarté. Comment lui dire que leurs jeux amoureux, par exemple, n’étaient pas ce qu’il
croyait, ce qu’il vivait et exigeait frivolement, innocemment, dans la perfection intacte de sa
personnalité ? Comment lui dire que c’était un crime, que l’on constaterait en commettant des
médecins pour lui écarter les fesses ; et que leurs plaisirs vaudraient à Jonathan dix ans de
prison, et à lui, Serge, des avalanches de psychothérapie, de torture à main nue ?
 
Le silence que Jonathan gardait sur ce sujet empêchait que leurs discussions à propos
d’avenir aient quelque sens. Mais jamais, au moins jamais il n’expliquerait au plus libre des
hommes, au plus pur des enfants, qu’il était criminel.}}<br>
''{{droite|[[Quand mourut Jonathan (76)|suivant]]}}''
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— Mais tu viendras à Paris. Hein, tu viendras ?

Jonathan haussa les épaules d’embarras :

— Tes parents, s’ils me voient… Surtout ta mère.

— Ouais.

Serge, depuis qu’il avait découvert les méfaits de Barbara, s’interrogeait. Il lui était difficile, surtout, de comprendre la tactique de sa mère. Du moment que Jonathan et Serge se voyaient, les mensonges de la femme ne valaient rien : alors, pourquoi les avait-elle faits ? Jonathan avait son idée là-dessus, mais elle n’était pas simple à expliquer à l’enfant. En premier lieu, Barbara était futile : elle agissait, réagissait, avait des systèmes du monde, des choses, des gens, au jour le jour. Elle était donc bonne menteuse et bonne dupe.

En second lieu, elle n’était pas méchante. Elle n’apercevait l’importance de rien ; ses bontés ou ses cruautés partaient de la même incapacité d’apercevoir autre chose qu’elle-même et à la seconde même. Elle était de ces hommes qui assassinent sans vouloir tuer et sauvent sans le savoir. Myope, et au nombril immense.

Enfin, elle se sentait, sur son enfant, un droit définitif, dont elle usait selon ses fantaisies, et qui autorisait toutes les contradictions. Serge lui servait d’humanité de réserve quand elle n’avait rien d’autre. Il était une poupée sur qui on essaie les gestes qu’on accomplira plus tard sur des proies moins infimes. Partenaire de répétition, de mise en scène, d’études. D’où l’incohérence du comportement de Barbara envers l’enfant : cela ne dépendait que de la pièce à jouer.

Mais il était clair que, dans tous ces théâtres, Jonathan était, lui, l’ennemi, le danger. Barbara ne pensait probablement rien de très défavorable envers lui : son défaut, sa qualité évidente d’ennemi absolu, c’était simplement que Serge le préférait à elle.

Maintenant, le problème était là. Que l’homme et l’enfant se rencontrent, s’écrivent, Barbara serait blessée ; et comme Simon, décidément, semblait trop chiffe pour être un allié des deux garçons, tout leur avenir tenait dans la paume ou les griffes de cette femme. Il fallait donc plutôt la tromper. Restait à imaginer comment.

— Tu viendras quand elle est pas là ! suggérait Serge.

— Comment je le saurai ?

— J’te l’dirai !

— Et si elle revient pendant que je suis chez toi ?

— Ben. On inventera un truc.

— Oui. Mais ça marchera pas deux fois. Elle m’en veut, et elle sait pourquoi je viendrai. Elle le sait bien.

— Alors on peut rien faire ?

Ce n’était pas une conclusion. Cela signifiait seulement qu’ils ne pourraient rien prévoir. Ce serait une guérilla, des expédients, des improvisations.

Misérablement, cette situation évoquait, pour Jonathan, un adultère, et ses pauvres complots. Comment se voir et s’aimer à l’insu d’un mari jaloux. Sinon qu’ici le mari était une mère, puisque l’épouse était un petit garçon.

— Faut quand même décider, insistait Serge.

Mais une épouse sur qui le mari avait des droits illimités, tels qu’il n’en existe plus dans les vrais cocuages. Et que ce mariage sans nom, la maternité, pût jouir de tels pouvoirs, expliquait la réponse de Jonathan à une autre question de Serge :

— Mais qu’est-ce qu’elle peut t’faire ?

— Appeler les flics, disait Jonathan. Elle est pas méchante, tu sais. Non, je t’assure. Mais on a le droit de rien, simplement. Et c’est pas elle qui va nous le donner, le droit.

— Moi je peux la tuer. Y a qu’à la tuer.

Jonathan baissait les yeux. Il songeait plutôt à se tuer lui-même. Bien que l’enfant eût raison. La mort de Jonathan, elle aussi, aurait été un assassinat : car le suicide n’existe pas. On est toujours tué par quelqu’un.

Mais il fallait éloigner ces idées de mort. La pensée de Serge, trop énergique, trop carrée, ne s’accordait pas à une situation aussi délicate que la leur. Jonathan s’efforçait de l’accoutumer à l’incertitude. Il n’y parvenait guère. L’enfant imaginait les choses dans sa propre clarté. Comment lui dire que leurs jeux amoureux, par exemple, n’étaient pas ce qu’il croyait, ce qu’il vivait et exigeait frivolement, innocemment, dans la perfection intacte de sa personnalité ? Comment lui dire que c’était un crime, que l’on constaterait en commettant des médecins pour lui écarter les fesses ; et que leurs plaisirs vaudraient à Jonathan dix ans de prison, et à lui, Serge, des avalanches de psychothérapie, de torture à main nue ?

Le silence que Jonathan gardait sur ce sujet empêchait que leurs discussions à propos d’avenir aient quelque sens. Mais jamais, au moins jamais il n’expliquerait au plus libre des hommes, au plus pur des enfants, qu’il était criminel.


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