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{{Citation longue|Jonathan commit un mensonge, peut-être le premier mensonge tactique de sa vie. Il
{{Citation longue|« Quand j’vais être grand, j’vais faire de la pêche sous-marine. Non, eh, j’vais pas les
affirma à Simon qu’il avait parlé de lui à son patron de galerie : le marchand était très
tuer ! Moi j’sais bien qu’tu veux pas. Eh, n’empêche, on en mange. Non mais je l’f’rai pas.
intéressé, il avait toute confiance dans l’opinion de Jonathan — qui n’abusait certes pas de
T’inquiète pas !
son influence —, bref, si Simon avait quelque chose à montrer…


C’était bien joué, car Simon, enchanté, jura modestement qu’il n’avait rien, puis ajouta
Tu sais, d’abord, on a qu’à plus en manger. Moi j’aime mieux la viande hachée,
que peut-être, bientôt… Mais ce fut catastrophique, aussi : car Jonathan n’avait jamais rien
r’marque.
proposé de tel à Barbara, qui ne se prenait pas pour une demi-peintresse. La femme ne fut pas
seulement vexée : elle comprit que Jonathan flattait Simon, et elle devina pourquoi. Elle
persifla négligemment ; Simon n’y vit que du feu, mais Jonathan découvrit quelle maladresse
il avait commise. Son coup d’essai dans l’art diplomatique était une belle gaffe.


Il se consola en pensant que, de toute façon, il était impossible d’apprivoiser Barbara :
Non, c’est pour aller sous l’eau ! On a un masque à gaz, tu sais pour l’oxygène. C’est
l’aurait-il flattée avec génie qu’il n’aurait pas fait avancer la situation d’un millimètre. Par
lourd avec les bouteilles ! Et tu sais pas ? Ils en mettent aussi quand ils vont dans l’Himalaya.
contre, il pouvait rallier Simon à sa cause, du moment qu’il ne s’adressait pas à son
T’as vu des photos ?… C’est bien si ça sert pour les deux. Moi je l’f’rais bien, les deux !
intelligence. Mais, quand on perd une guerre, s’allier à un autre vaincu ne change pas le
rapport de forces.


Et ce que les fameuses vacances que Simon et Barbara avaient passées sans leur lardon
Tu sais mais c’est dur, faut apprendre vachement longtemps. Y a Cyril, on a dix ans
avaient produit et instauré — ça en puait plein l’appartement — c’était bien le règne de
pareil, son père il l’a am’né. Il a tout avec les palmes, un masque comme ça. Là où tu respires,
Barbara. Domination qui semblait convenir à Simon, mari béat : mais qui rendait dérisoire
c’est un machin tu le suces, quoi, t’aspires ! J’ai essayé ! Ça fait d’l’air qui t’rentre ! Ça fait
toute alliance avec lui.
un peu fort ! Son père il est gentil. Ils s’appellent tous des ploucs, eh, son frangin c’est
Célestin, oh c’est un p’tit, et y a un bébé, enfin leur p’tite sœur, elle c’est Julie ! Comme not’
chat, tu t’rappelles ? Ben on l’a toujours. Mais il vadrouille.


Durant cette soirée, Jonathan eut des nausées et, parfois, des accès proches de la
Alors c’est re-dans la mer. Avec une grosse pieuvre.
syncope, en écoutant, en regardant, en voyant Serge là. Il ressentit, à son tour, un désir de
meurtre. Le couple idéal sous lequel l’enfant devait vivre était sans reproche ; un patron l’eût
aimé ; des gauchistes l’eussent béni ; des psychiatres (sauf quelques ironies acides pour
suggérer qu’ils en devinent long) en eussent réchauffé leur cœur de chien. Jonathan but verre
sur verre, et disparut : Serge l’épiait, souvent debout, toujours loin d’eux trois, et il avait
presque le regard des enfants que Jonathan, l’année d’avant, avait scandalisés dans la
campagne.


Jonathan perdit toute conscience de ce gâchis, jusqu’au moment où il se vit assis dans
Tu sais, on en mange, des pieuvres. Y a des boîtes, t’en as des toutes petites, grandes
un train qui le ramenait chez lui. Mais pourquoi ? Il ne voulait pas y aller. Pourtant, si.
comme ça. Ça pique, à cause de la sauce. On les tue dans l’œil ! Tchaf.
Évidemment. Irrémédiablement.


Il se rappela que, au voyage d’aller, Serge et lui avaient combiné de maigres plans pour
Ça, tu les connais pas. C’est au microscope, mais c’est agrandi. C’est dans l’eau aussi,
rester en contact. L’enfant écrirait à Jonathan — qui ne lui répondrait pas, puisque
c’est c’qu’i mangent, toutes les bêtes. Sauf les requins, eh ! J’vais en d’mander un microscope
inévitablement Barbara détournerait le courrier, et, chose pire, le lirait et y trouverait de quoi
à mon père. Tu verras tous les microbes dans la mer. I sont jolis. »}}<br>
se confirmer dans ses sentiments. Serge allait faire l’espion : relever les heures de présence et
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d’absence de ses parents, et tous les autres détails pratiques ; indiquer ses heures de classe (il
allait entrer en sixième, dans un lycée fort éloigné de chez lui) ; signaler à Jonathan chaque opportunité de se voir. De son côté, Jonathan déménagerait pour Paris, et tâcherait d’avoir le
téléphone. Et d’habiter, par exemple, entre le lycée et la maison de Serge.
 
Le mieux, peut-être, serait de couper tout lien avec les parents du garçonnet (tant pis
pour ce que la galerie de Jonathan allait y perdre…). Serge justifierait ses absences en disant
qu’il allait chez des copains : il était libre, très libre, ça ne troublerait personne, surtout si la
disparition de Jonathan éteignait tout soupçon. Serge, d’ailleurs, saurait montrer qu’il avait
totalement oublié le jeune peintre, ce mec chiant.
 
Ces projets avaient un lourd inconvénient : si Jonathan brisait avec les parents de Serge,
plus question de vacances ensemble, de vie commune, plus question d’habiter cet autre
monde, immense, qu’ils avaient découvert.
 
En vérité, une rupture avec Simon et Barbara était prématurée ; il fallait apprécier de
plus près l’intensité des soupçons, des jalousies, des haines de la femme, et la valeur du mari
comme complice éventuel. Leur profonde indifférence à Serge — qui ne commençait à les
intéresser que lorsqu’il s’éloignait d’eux — était un autre atout précieux.
 
Non : il faudrait les caresser, les endormir, être là, plutôt que le contraire. En tout cas,
jusqu’au moment où on serait fixé sur ce qu’on pouvait attendre d’eux, obtenir d’eux — à leur
insu.
 
Quant au déménagement de Jonathan, il était impensable dans l’immédiat, faute
d’argent. Et il fut obligé d’en parler, dans le train, à Serge, dont les propositions s’appuyaient
trop sur la liberté et la richesse supposées du jeune peintre. En comptant au plus serré, et
même pour n’occuper à Paris qu’une chambre décente, Jonathan devrait attendre le début de
l’année suivante avant de pouvoir abandonner la petite maison. Et il négligeait, dans ses
calculs, les impôts qu’il aurait à payer sur sa dernière année de revenus fastes, à présent qu’il
n’avait presque plus rien.
 
Serge n’eut pas l’air de trouver trop longs ces trois mois de patience. Il fit la liste des
congés scolaires de cette période : il dit qu’il demanderait à son père pour aller chez Jonathan
chaque fois. Il était sûr d’y arriver — puisque, après tout, c’est ce qu’il avait réussi à obtenir
déjà, cet été.
 
Jonathan n’y croyait pas trop, lui : l’enfant sous-estimait les circonstances et surestimait,
à la fois, son pouvoir propre et celui de son père. Jonathan fut persuadé que Serge
déchanterait bientôt ; il se garda, cependant, de le dire.
 
En tout cas, leur conspiration en était là. Maintenant, ils étaient séparés. La vraie guerre
commençait — cette guerre que Jonathan savait, obscurément, perdue, mais que l’enfant était
sûr de gagner. Jonathan se rappela que, lui aussi, il avait eu, vingt ans plus tôt, une énergie
aussi ardente et aveugle : et, lui aussi, en pure perte. On peut lutter contre des hommes, de
simples hommes : on ne lutte pas contre des personnages, contre des rôles, car il y a une
société entière derrière eux. Et on n’apprend cela ni rapidement, ni de bon cœur. Jonathan le
savait, Serge l’ignorait ; Jonathan voulait bien, à cause de cet enfant entier, oublier son
savoir ; mais il sentait trop, en même temps, que cela ne changeait rien aux choses.}}<br>
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Version du 8 juin 2016 à 16:46

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« Quand j’vais être grand, j’vais faire de la pêche sous-marine. Non, eh, j’vais pas les tuer ! Moi j’sais bien qu’tu veux pas. Eh, n’empêche, on en mange. Non mais je l’f’rai pas. T’inquiète pas !

Tu sais, d’abord, on a qu’à plus en manger. Moi j’aime mieux la viande hachée, r’marque.

Non, c’est pour aller sous l’eau ! On a un masque à gaz, tu sais pour l’oxygène. C’est lourd avec les bouteilles ! Et tu sais pas ? Ils en mettent aussi quand ils vont dans l’Himalaya. T’as vu des photos ?… C’est bien si ça sert pour les deux. Moi je l’f’rais bien, les deux !

Tu sais mais c’est dur, faut apprendre vachement longtemps. Y a Cyril, on a dix ans pareil, son père il l’a am’né. Il a tout avec les palmes, un masque comme ça. Là où tu respires, c’est un machin tu le suces, quoi, t’aspires ! J’ai essayé ! Ça fait d’l’air qui t’rentre ! Ça fait un peu fort ! Son père il est gentil. Ils s’appellent tous des ploucs, eh, son frangin c’est Célestin, oh c’est un p’tit, et y a un bébé, enfin leur p’tite sœur, elle c’est Julie ! Comme not’ chat, tu t’rappelles ? Ben on l’a toujours. Mais il vadrouille.

Alors c’est re-dans la mer. Avec une grosse pieuvre.

Tu sais, on en mange, des pieuvres. Y a des boîtes, t’en as des toutes petites, grandes comme ça. Ça pique, à cause de la sauce. On les tue dans l’œil ! Tchaf.

Ça, tu les connais pas. C’est au microscope, mais c’est agrandi. C’est dans l’eau aussi, c’est c’qu’i mangent, toutes les bêtes. Sauf les requins, eh ! J’vais en d’mander un microscope à mon père. Tu verras tous les microbes dans la mer. I sont jolis. »


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