Abécédaire malveillant : C

De BoyWiki
Il est possible que ce document ne soit pas libre de droits …Si vous possédez des droits sur ce document
et si vous pensez qu’ils ne sont pas respectés,
veuillez le faire savoir à la direction de BoyWiki,
qui mettra fin dès que possible à tout abus avéré.

chapitre précédent : B


C

CALOMNIE


La calomnie vainc toujours : elle est un mot piquant, qui flatte nos malveillances. Tandis que son démenti sera un discours empêtré, filandreux, laborieux, qui nous assommera de vérités sans charme. L’innocence déplaît.


CATHARSIS


Il y a catharsis en littérature si la réalité pénible que peint l’écrivain est transfigurée par le bonheur de l’expression. Virus atténué égale vaccin. La beauté formelle saisit et extirpe la cause même de la souffrance que le thème de l’œuvre avait ranimée.

Mais la beauté est perçue seulement à l’issue d’une éducation personnelle, et l’effet de catharsis n’est sensible qu’à celui qui a appris à lire. Tâche infinie.

Les autres gardent en eux leurs microbes, et se contentent d’un emplâtre sur l’abcès, ce cataplasme de litière pour chat qu’ils appellent un beau livre.


CÉCITÉ


« Ce monsieur est devenu aveugle : on ne le voit plus. »

Car aveugle veut dire aussi : invisible. La cécité vous jette dans certains souterrains où personne ne vous suit.


CENTRISME


Qu’y a-t-il entre la fesse gauche et la fesse droite ? Un trou du cul, très à l’étroit. Et que fait-il ? Il grimace d’un bord à l’autre, il perd ses billes ou se fait enfiler. Voilà un centriste.


CHARLATANS


Il y a des faiseurs de pluie parce qu’il pleut.


CHASSÉ-CROISÉ


Il n’y a qu’agresseurs et victimes : et, comme dans les jeux d’enfants, on échange ces rôles. On ne se révolte que si ce sont toujours les mêmes qui sont battus : salaud, à moi d’être le salaud !


CHIFFES


Selon les sondages, si nos compatriotes font très peu l’amour, en revanche ils apprécient l’érotisme télévisé. À leur goût, le sexe est un peu comme le football : ils aiment regarder le match, mais ils ne veulent pas taper dans le ballon.


CHRISTIANISME


— Comment croire en ce gros dieu à barbe blanche, si je n’aime pas les poils ?

— Et le petit Jésus ?

— Ils ne l’ont pas crucifié enfant. Ça me gâche tout.

*

Le dieu chrétien est un usurier. Il ne vous prête vie que pour en avoir l’intérêt (il faut lui rendre un culte), recouvrer le principal et vous punir si le Jugement dernier n’est pas à son profit. Écrire Capitalisme et théocratie, 10 vol. très chers.


CLOWNS


Parlent, crient et gaffent comme des enfants de trente mois. Mais ils se giflent entre eux, ça fait moins mal : aucune mère sur la piste.


CŒUR


Sac malade de graisse qui digère sous les mamelles flapies des mégères mal lavées.


COMÉDIE


Comédie des gens de métier. Pas le temps de vous recevoir, trop de rendez-vous. Pas le temps de parler, trop d’interlocuteurs. Pas le temps de travailler, trop de travail. Pas le temps d’être ici, je suis partout.


COMMISSIONS


Un comité de sages est un paravent de barbons que l’on dresse pour cacher le viol d’une liberté par l’État.


COMMUNISME


Moins l’U.R.S.S. effraie, plus le communisme s’efface du champ politique français. Chose paradoxale : car il devrait enfin séduire, humaniste, égalitaire, civilisé comme on le voit soudain – embourgeoisé, presque réconcilié là-bas avec la pire droite, la chrétienne.

Mais non : mieux on respire à l’est, plus nos poujado-marxistes se recroquevillent dans leurs nippes surannées, collets montés, pantoufles de vair, caleçons à jours, coiffes de dentelle, rubans, festons, guipures, et suffoquent à faire pitié, cette rouge langue de bois renfoncée dans le bec.

Chaque goulag qui s’ouvre les isole un peu plus. La crédibilité électorale du P.C.F. aurait-elle reposé sur la menace lointaine qu’il niait et dont il était la prometteuse avant-garde ? Ces pauvres diables n’ont plus d’enfer à vendre : et ils dépériront accrochés jusqu’au bout à leurs vieux souvenirs – comme notre bourreau mis à la retraite continue, je suppose, à soigner sa guillotine, à tout hasard et parce que l’acier du couperet n’est pas inoxydable. La « dictature du prolétariat » non plus : frotter ses taches de rouille et de sang ne lui rendra, espérons-le, aucun usage.


CONFORMISME


Un homme est conformiste pour dissimuler qu’il n’est même pas homme.


CONNAISSANCE


Connais-toi toi-même : pourquoi le succès d’un précepte aussi menaçant ?

C’est qu’en réalité il promet un délice : devenir supérieur aux autres.

Se connaître juste assez pour les deviner, les neutraliser, les asservir peut-être. Supprimer ainsi toute contrainte d’avoir à me connaître davantage.

Connais-toi signifie seulement : inflige-toi une douleur qui, demain, t’évitera toute peine. Ta lâcheté éternelle est au prix d’une heure d’honnêteté envers toi.


CONSEIL


Tout conseilleur vous dit, sous l’air de vouloir votre bien :

— Soyez comme moi, ça me plairait.


COPIES


« Je m’esbays d’une chose qu’ils se suivent comme les grues, car l’un ne dit que ce que l’autre dit. »

Guillaume Salicetti. Traité de chirurgie, année 1275.

Les politiciens subalternes s’expriment en copiant l’argumentaire, l’argot, la diction, les mimiques, les tics, le timbre de voix, l’humeur habituelle de leurs chefs. On identifie leur parti dès les premiers sons. Mitterrandiste, rocardien, communiste, giscardien, chiraquien ou fasciste aboie, hache, déclame, éclate, persifle, bégaie, chuinte, pérore, susurre, ânonne, ronronne chacun comme son oncle.

Ce mimétisme prouve la supériorité du système nerveux humain – car aucune bête n’imiterait si bien nos têtes politiques – et l’inexistence de l’âme chez les valets.


COQUETTES


Certaines femmes aiment la compagnie des efféminés parce qu’elles oublient avec eux ce qui les abaisse devant un mâle : laideurs visibles, anatomie rafistolée, vulve difforme, cervelle d’épingle. On baigne alors dans les futilités que partagent ces vilaines coquettes des deux sexes : cheveux, chiffons, potins, bouquins, parfums, parures.


COURONNES


Au succès de quelqu’un, il faudrait envoyer des couronnes de deuil : sa réussite me raconte longuement, lugubrement, les échecs qui l’ont conduit là.


COURT


Rien ne circule mieux qu’une « petite phrase » : les perroquets parlent bref.


CRIME


Combien doit-on tuer d’êtres humains pour vivre ? On ne vous nomme meurtrier que si l’on vous attribue un cadavre précis. Mais on vous répute innocent si vous éparpillez vos violences sur des victimes suffisamment nombreuses. Vous coupez deux cents mains, deux cents jambes, vous déchirez cinquante sexes et cinquante figures – sans laisser un seul mort ou jugé tel. Le crime parfait existe bien : c’est votre vie.


CRUAUTÉ


Nous n’appelons cruauté que celle dont nous sommes victimes. Celle que nous exerçons, nous la baptisons devoir, amour ou droit.


CULTURE


À lire les éloges des livres, il semble qu’un roman doive faire « rêver » ou faire rire. Le reste est damné.

Étrange pharmacie. Romancier, tu ponds des pilules d’oubli, et ta plume ne doit servir qu’à chatouiller les gens sous les bras. À quand des romans spécialement formulés contre les hémorroïdes, la carie dentaire, les grèves tournantes, les maux intimes des filles, les nouilles sauvages qui hantent nos cuisines ?

Flatter la veulerie, lécher les mous : voilà désormais tout ce qu’on attend de la culture écrite – qui était la rencontre de deux hommes libres. Non : vous entrerez ici, monsieur, si vous savez m’endormir. D’ailleurs je ne lis qu’au lit : la joie de lire a remplacé chez moi le suçage de pouce dès l’âge de huit ans.


Retour au sommaire