Abécédaire malveillant : Q

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Q

QUADRUMANE


Les chimpanzés nous sont supérieurs, puisqu’ils ont quatre mains. Or chacun sait que la main c’est l’homme même, comme l’a prouvé le salut hitlérien.


QUEUE


Le Diable suit le Bon Dieu comme la queue suit le chien.


Q.I.


Des experts en intelligence qui seraient intelligents eux-mêmes : pari stupide. Ils sont contre.

*

L’intelligence implique une résistance à la douleur morale, à l’intimidation, à l’angoisse, au désespoir. C’est l’homme le moins douillet qui sera audacieux dans sa pensée, acharné dans sa recherche, intègre dans son expression. Les autres diront, dès les premières atteintes du savoir :

— Ça me fait mal, donc c’est faux.


QUI EST QUI ?


Écrit-on pour les autres ou pour soi ? La vieille question est drôle. Quand j’écris, j’ai l’impression que cent mille personnes – qui me veulent tout le bien et tout le mal du monde – épient par-dessus mon épaule, dictent, évaluent, commentent, insinuent, tirent mes cheveux, se chamaillent, hurlent et se taisent d’un coup, braillent à nouveau, piétinent, soupirent, menacent, m’embrassent, me piquent, m’arrachent de ma chaise, me rassoient, me cajolent, avancent leurs museaux et me mordent au sang : et ces odieux petits vampires chahuteurs, ces démons, cette foule tyrannique pour laquelle je travaille, terrifié, adulé, saccagé, c’est moi seul.


QUO VADIS ?


Aucun bonheur ne m’a rendu heureux. On m’a libéré d’un souci, d’une faim, d’une pauvreté, d’un isolement, d’une maladie, d’une erreur : c’est la joie de l’innocent qu’on acquitte, cela dure le temps de respirer trois fois puis une nouvelle vague vous renverse. J’aime infiniment me souvenir : mais les nostalgies me rongent le corps. Belles œuvres et bonne musique, un succès, un travail, un projet accompli, la possession d’un bien, la jouissance d’un être, d’une amitié, d’un paysage : qu’y ai-je connu, adulte ? Une fièvre de prédateur, une angoisse, un malaise, un ennui, une attente, un soulagement, une récréation, mille chatouilles, un attendrissement, une routine, une paresse, un oubli, une torpeur, une agonie, et de mortelles déceptions qui se taisent.

Ces sentiments sont, je crois, justes et ordinaires. Ils inspirent aux hyènes religieuses de nous clamer leur mépris du monde et des plaisirs matériels, l’attente d’autres félicités, puis la soumission à leurs mâchoires bénites. Elles nous croquent mortifiés.

Mais cet idéalisme charognard ne m’a pas convaincu : je me moque du bonheur, à la fin. Ce qui me plaît – contre mon aveu – c’est vivre mal. Être déçu, dégoûté, tourmenté, affamé, anxieux, atterré, crétinisé, révolté, traqué, désespéré. Seul le malheur est plein de vérités surexcitantes : tant pis si chacune blesse et si la dernière tue – comme les heures, lisait-on sur les cadrans solaires. L’important est qu’elles nous donnent, ces fileuses féroces, la volupté de savoir.

*

Dans quel désert le dernier homme s’est-il réfugié ? Je sais seulement qu’il est sourd, qu’il est muet, qu’il n’écrit rien et ne lit rien. Il n’est que douleur immobile, pétrifié dans le sel de ses larmes.

Certains jours de vérité, tu deviens cet homme-là.



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