Abécédaire malveillant : S

De BoyWiki
Il est possible que ce document ne soit pas libre de droits …Si vous possédez des droits sur ce document
et si vous pensez qu’ils ne sont pas respectés,
veuillez le faire savoir à la direction de BoyWiki,
qui mettra fin dès que possible à tout abus avéré.

chapitre précédent : R


S

SALIR


Auteur de livres, métier rampant. Il souille en quelques jours une ramette de papier : puis, l’année entière, il court les routes pour vendre ce torchage – le nez fourré avidement dans tous les micros qu’il trouve, comme un chien son museau sous la queue des autres.


SANS-GÊNE


Mères entre elles : confidences indiscrètes sur un enfant qui est là. On le décortique comme s’il n’entendait rien. Un père ne parle pas ainsi de ses fils, même absents.

Mais ces femmes ont un besoin mortel de se valoriser l’une face à l’autre : aucune impudeur, aucune goujaterie, aucune trahison ne leur coûte. Il faut écraser la rivale. Et leurs bijoux, leurs armes étincelantes, ce sont vos secrets.

Même vanité cynique dans le caquetage des névrosés, des efféminés, des cabots de théâtre.


SAUVETAGE


Tel un poulpe, le philosophe se sauve derrière ses jets d’encre noire. Écrire par lâcheté. Penser pour fuir.

*

La charité chrétienne sort un noyé de l’eau avec une corde qu’elle lui passe au cou. Elle le pend ensuite à une branche d’arbre, histoire qu’il sèche bien. Il en crève mais elle se pavane en gloussant : Je l’ai sauvé du fleuve.


SCANDALEUX


Un moyen de montrer l’imposture des « littéraires », critiques, écrivains, professeurs, glosateurs, découvreurs, cultureux de tout panier, de tout salon, de tout commerce, c’est de les prendre à la lettre et d’agir selon ce qu’ils prêchent à la Littérature d’être et disent qu’elle a été. Apprendre leurs décalogues épineux, mener une carrière aux règles arides, une vie exigeante, méditer les grands modèles, produire un art à leur exemple, être résolument seul, imprudent, neuf, s’égarer, déranger, être vrai : bref, se plier aux valeurs les plus rudes que ces gens aient enseignées aux jeunes, préconisées à longueur de thèses, de manuels scolaires, d’articles et de congrès, jetées à la figure des gribouilleurs, des infatués, des mercantis.

Ce choix devrait-il vous marginaliser ? Évidemment non : il vous situe au centre même de la tradition. Et tel fut mon effort depuis vingt ans et plus : or j’en fais un étrange bilan. Je crains bien d’être l’un des rares auteurs que ces cultureux conchient de rage, omettent avec obstination, diffament avec joie, pillent d’un air absent, traitent en débutant bizarre, enfant terrible, talent fourvoyé, censurent, éloignent, affament, plagient en l’insultant et enterrent comme on écrase un mégot. Scandale à la messe : un croyant est venu. Sortez-le !


SCIE


Pourquoi le peuple occidental (le plus rance, le plus flasque, le plus servile de la terre) s’est-il reconnu dans cet enragé de Beethoven et en a-t-il fait la scie des concerts classiques ?

Mais Napoléon est l’idole des égrotants, des pissotants et des ventripotents qui ne tyrannisent qu’un corniaud.


SCOLARITÉ


On répète que les filles sont meilleures en classe que les garçons.

Un compliment empoisonné. L’école est fondée sur la routine, la platitude, l’obéissance, la comédie, la jaserie, le chacun pour soi, la servilité envers les maîtresses, l’art de trahir les camarades.

Voilà ce qui rend les garçons mauvais élèves : voilà ce qui avantage les filles.


SENSIBILITÉ


Cette dame poétesse et peintre : « Une femme elle peut sentir. Elle peut sentir très fort. Elle peut sentir très fort des choses qu’un homme ne sent pas. C’est très réel au fond. Moi je crois qu’il faut faire les choses qu’on sent. Oui, et je dirai, oui, et sentir les choses qu’on fait. Moi je sens, je sens beaucoup, très féminin ça, et puis je fais ce que j’ai senti. Je fais, je fais, je fais. C’est la sincérité qui compte, c’est le cœur, très féminin ça vous ne pouvez pas comprendre, le cœur, c’est très réel, c’est l’intuition qui compte, l’intelligence est inférieure. Je fais, je crois, comme ça, je crois. Je sens ça comme ça. Ce que je fais je le sens comme ça », etc.


SILENCE


Des écrivains cheminent vers le silence, renoncent à s’exprimer, à communiquer. Jugent-ils trop mensonger de dire, de croire, de faire croire ? Tout progrès intellectuel vous rend plus apte à créer, mais plus réticent à le faire. On rejoint l’abstention des bons esprits qui n’ont rien mis au monde.


SIMILI


Le pauvre plastique façon chêne, façon carrare, façon velours, ne cherche à tromper personne : il essaie d’être moins blessant que ses frères nus, et il imite de son mieux les beautés qu’il n’a pas, avec l’espérance de se rendre supportable.

Bien des simulateurs sont pareils : ils ne trichent que pour cacher le rien dont ils sont faits, tels ces pauvres honteux qui, le soir, ventre vide, un sac propre à la main, ont mis veste et cravate pour visiter les poubelles.

À la boulangerie, un vieux petit porte-monnaie, façon croco, qu’un garçonnet entrouvre, a chantonné une chanson à pleurer – comme s’il contenait, pliés, serrés en lui, des millénaires secrets d’humiliation et de malheur.


SOCIÉTÉS


Le seul modèle des sociétés, c’est l’hitlérisme. Toute nation l’a pratiqué, le copie sous mille masques. Tyrannie d’un chef sacralisé, d’une oligarchie cynique, ordre politique que maintiennent par la force et la peur une police, une armée, une propagande gigantesques. La raison d’État est criminelle. On sacrifie l’individu, le citoyen, aux puissances financières et aux institutions qu’on a pétrifiées. On persécute des minorités prétendues, on dénonce des ennemis dehors et dedans, on attise des guerres civiles obscures. Culte hystérique du travail, surveillance de tous par tous, délation enseignée dès l’enfance, perquisitions à l’aube, emprisonnés innombrables aux délits innocents, apologie des valeurs médiocres et des grandeurs bornées, mariage maussade, sexe lugubre, famille cellule et mère flic, soutien aux religions, aux sectes, information falsifiée, censurée, apologies nationalistes, inflation du visuel, tripotage des esprits par les médias, spectacles géants, pluies d’inculture, créativité rabougrie, affairisme général, ploutocratie d’imbéciles, parfaits représentants du petit homme qu’ils ont avili et qui vote pour eux : tous les pays en sont là et piétineront toujours là en se bêlant qu’ils n’y sont pas. Les meilleurs mondes ne savent que mieux donner le change. Le médecin, l’éducateur et l’informaticien y remplacent la matraque et le pied des milices. Les chambres à gaz s’y appellent écoles et ne tuent que lentement, doucettement, dans les fleurs. On nous barbouille cette horreur en rose, en bleu, en blanc layette. La société, c’est le crime même.


SOUFFRIR


Celui qui souffre vaut-il mieux que celui qui torture ? Ou sont-ils interchangeables ?

Une victime est-elle autre chose qu’un bourreau qui a perdu ?


SUICIDE


Me suicider en avalant chaque jour un morceau de mon corps.

*

Le suicide, parce qu’il est plus facile de renoncer à la vie qu’aux illusions qu’on a sur elle.


Retour au sommaire