Barnens ö (Per Christian Jersild)

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Barnens ö est un roman de l’écrivain suédois Per Christian Jersild (né à Katrineholm en 1935). Il raconte le parcours d’un jeune garçon de dix ans, qui cherche à échapper à sa famille et à un été en colonie de vacances, pour se donner le temps de résoudre des questions philosophiques et religieuses. Les circonstances et les rencontres l’amènent également à aborder d’autres problèmes importants.

Une traduction française a paru en 1979. Quant à l’adaptation cinématographique du roman, elle est particulièrement appréciée par ceux qui aiment les garçons.

L’auteur

Per Christian Jersild est un écrivain et médecin suédois, né à Katrineholm dans une famille de la classe moyenne. Il est titulaire d’un diplôme honoraire en médecine de l’université d’Uppsala, et d’un autre en ingénierie de l’Institut royal de technologie (1999). Il a publié son premier livre, Räknelära, en 1960, à l’âge de vingt-cinq ans, alors qu’il écrivait déjà depuis une dizaine d’années.

À ce jour Jersild a publié trente-cinq ouvrages, habituellement centrés sur la critique sociale. Le plus connu est Barnens ö. On peut mentionner aussi Babels hus (La maison de Babel), qui rend compte du traitement inhumain des patients dans un grand hôpital moderne, dont le modèle serait l’hôpital Karolinska à Huddinge, près de Stockholm.

En plus de sa production littéraire, Jersild est également chroniqueur pour le Dagens Nyheter depuis le milieu des années 80.

En 1999, il fut élu membre de l’Académie royale suédoise des sciences.[1]

La traduction française

Dans la version française de Barnens ö, le personnage principal s’appelle Gunnar au lieu de Reine, le traducteur[2] ayant jugé ce nom mal adapté en français pour un personnage masculin.[3] On peut cependant remarquer que ren, en suédois, signifie « pur », comme rein en allemand (le néerlandais reinig signifie « propre ») : or la pureté est une valeur importante pour le jeune héros, qui a peur d’atteindre la maturité sexuelle et redoute l’apparition de ses premiers poils pubiens.

Plusieurs scènes du film (la roulotte, la salle de bains) ne se trouvent pas dans la traduction française du roman. Peut-on supposer que cette version a été censurée, « moralisée » ? Ou ces scènes ont-elles été imaginées par le cinéaste ?

Résumé

Gunnar, âgé de dix ans, bientôt onze, vit à Sollentuna, une municipalité de Stockholm. Il voudrait échapper à un été à Barnens ö (L’île des enfants), un camp de vacances pour les petits citadins ; et aussi à sa mère, certes aimante, mais qui entretient une relation avec Stig, un ambulancier alcoolique qui le dégoûte et qui a peu d’égards pour lui.

Le garçon vérifie avec anxiété l’apparition de poils pubiens et note ses observations dans un carnet secret, dont le code chiffré est caché dans un vieux pot de confiture de framboises, lui-même dissimulé dans le réservoir de la chasse d’eau.

Tout le monde ment. La mère, Harriet, censée être partie en vacances, est restée à Stockholm chez Stig. Ce dernier ment à Harriet en omettant de lui dire que Gunnar passe des « vacances buissonières ».

L’idée de Gunnar est de profiter de ce temps pour réfléchir à diverses questions philosophiques et religieuses. Mais il en est constamment distrait par des sursauts d’imagination intempestifs, par une facilité regrettable pour l’allitération, et par de nouvelles questions engendrées par les circonstances. Comment trouver de l’argent pour manger au MacDonald ? Où dormir ? Comment se déplacer ? Il découvre qu’il n’aime pas être seul, que le linge ne reste pas toujours propre. Il fait des remarques eugénistes après avoir « travaillé » dans un atelier protégé ; il fait la connaissance d’une troupe théâtrale qui l’exploite, et de petits délinquants qui profitent de lui, puis de la chauve et glabre Nora (vingt-deux ans) et de son voisin artiste Théo.

Extraits


La bière l’avait rempli et il alla faire pipi à la salle de bains. C’était tellement agréable qu’il eut envie de chanter. Il essaya quelques notes mais ça sonnait faux. S’il gueulait à pleine voix les voisins du dessous étaient capables d’entendre et d’appeler la police en croyant que c’était un cambriolage. Il tira sur la peau de son pénis pour la tendre puis relâcha, la peau se fripa à nouveau immédiatement. Pénis, verge, bite — ou biquette comme maman disait. Aucun des mots ne sonnait bien. Pénis : on aurait dit le nom d’une épice. Verge, inutile d’en parler, ça faisait idiot. Et bite ça faisait cassant comme un tuyau de terre cuite. Le vrai mot c’était membre viril. Il inspecta son membre viril qui avait l’air d’un cornet de peau. Il baissa son pantalon pour vérifier la racine de son membre et la petite boule fripée des testicules. Bien, pas de poils, seulement un peu de duvet blanc pâle. Combien de temps avait-il encore devant lui : un an, deux ans ? Le jour où commencerait la puberté, tout serait perdu. Alors il serait embarqué dans le monde des adultes et il n’y aurait pas de marche arrière possible. Il serait pris dans l’amour et autres cochonneries, et ses pensées ne seraient plus jamais propres. Toute son énergie passerait dans la recherche d’une fille avec qui coucher et il n’en aurait plus un gramme pour résoudre la question de l’existence de Dieu ou de la manière dont il avait créé Adam. Peut-être en était-il à son dernier été, les enfants mûrissaient vite à son époque, dans sa classe deux ou trois avaient déjà des poils. Chaque jour, Gunnar examinait soigneusement son sexe, terrorisé comme s’il avait été menacé par le cancer.[4]




Gunnar frappa sur le miroir et ouvrit la porte de la chambre de Nora. Elle était toujours allongée sur son immense lit carré et bas. Quatre hauts-parleurs dans les coins de la pièce déversaient une musique de flûte. Nora portait toujours sa robe rose mais elle avait retiré sa perruque qui était maintenant suspendue à un porte-perruque qui sortait du mur au-dessus du lit. Il y en avait six comme ça, tous pourvus d’une perruque de forme et de couleur différente : longs cheveux clairs, frisée rousse, frisée brune, longue brune, afro et dorée avec des nattes. Nora avait quant à elle le crâne entièrement lisse et blanc. Elle faisait penser à une habitante de Mars.

— Tu veux être gentil, tu ouvres la fenêtre.

Gunnar marcha sur l’épaisse moquette qui ne couvrait pas tout le plancher mais laissait découverte une bande du vieux linoléum le long du plus grand mur. La fenêtre était difficile à ouvrir mais il y arriva. Devant s’étendait un toit de zinc couvert de taches d’huile et de crottes de pigeons. La chaleur du métal le frappa au visage, et ça sentait mauvais.

— Il ne va pas faire plus frais.

— Alors referme.

Il referma la fenêtre aux bordures pleines de poussière. Nora s’était assise sur le lit et essayait de retirer sa robe légère. Elle fit une grimace :

— Tiens, aide-moi, j’ai le torticolis.

— Il ne fait pas chaud quand on a une perruque ?

— Si, quelquefois c’est comme si on se baladait avec une toque de fourrure. Mais je suis habituée. J’en porte depuis l’âge de huit ans.

— Huit ans ?

— J’ai attrapé une espèce de virus, juste avant d’entrer à l’école. Tous mes poils sont tombés jusqu’au dernier, et ils n’ont jamais repoussé.

Gunnar frissonna : la vache ! perdre tous ses poils juste avant de commencer l’école. Qu’est-ce qu’on dégusterait ! Le Chauve ! Yul Brinner ! Peau de fesse ! Poupon plastique ! Il regarda Nora. Elle était belle, il n’avait certainement jamais vu quelqu’un d’aussi beau. Des membres souples, une peau douce et sans un poil. Elle était une sorte de déesse. Peut-être n’avait-elle pas de boyaux. Il enfonça sa tête dans le coussin pour essayer de voir ses omoplates. Un être humain sans poils — serait-elle un ange sans plume ? Un ange avec des ailes roses de chauve-souris ?

— À quoi veux-tu qu’on joue ? demanda Nora en se retournant et en s’allongeant avec la main sous sa joue.

— Je ne sais pas… tu n’as pas des illustrés ?

— On pourrait peindre.

— Peindre ?

— Oui, nous peindre nous.

Nora jeta ses longues jambes fines par-dessus bord et se leva. À côté de son lit il y avait une table de nuit avec un tiroir. Elle l’ouvrit et sortit des petites boîtes de fond de teint, des bâtons de rouge, des pinceaux, du fard à paupières et une bombe de bronzage artificiel.

Formidable. S’ils ouvraient la porte de la chambre de Gunnar et s’asseyaient côte à côte dans le lit, ils pourraient voir dans le miroir. Il ne fallait seulement pas oublier que les lettres seraient à l’envers. Sur la poitrine de son T-shirt il faudrait par exemple écrire : EGDIRROP UD ZEGNAM.

— Déshabille-toi, dit Nora.

Il commença timidement à remonter son T-shirt. Son nombril était plein de crasse ; jusqu’à présent il avait cru que c’était sa ceinture qui le gênait.

— Voilà, c’est bien !

Elle lui retira son T-shirt et dégrafa sa ceinture.

— Je peux le faire tout seul, dit-il fâché en se débarrassant vite du reste de ses vêtements.

Nora retira sa culotte. Elle n’avait pas un poil là non plus. Rien qu’un petit coussin de peau tendre. Ça devait être doux comme une joue.

— Commence à me peindre. Ensuite ça sera à moi.

Il choisit un rouge à lèvre rouge vif et regarda le corps de Nora. Allait-il lui barrer le crâne d’une énorme blessure ? Ou bien en ferait-il une Peau-Rouge avec de larges bandes sur le nez et sur les joues ? Après quelques hésitations il reposa le rouge, prit un crayon gras bleu et lui fit un solide cercle bleu autour de l’œil droit. Nora ouvrit la porte pour se regarder dans le miroir.

— Serais-tu un mari brutal ? dit-elle. Aie un peu plus d’imagination quand même.

Il lui demanda de s’asseoir sur le bord du lit en lui tournant le dos et il lui dessina des ailes d’ange rachitique sur les omoplates. Ça faisait marrant, comme un dessin comique. Jamais elle n’arriverait à décoller avec ces moignons. Si, peut-être si elle les battait au rythme des colibris.

Plus téméraire, il transforma les pointes de ses seins en yeux, deux gros yeux de poupée avec des cils tordus, puis il plaqua une moustache noire à la Hitler sur sa petite lèvre supérieure. Même dans le nez elle n’avait pas un poil, à moins qu’il n’ait pas regardé assez profond ? Tiens ! Et s’il essayait de la transformer en moto ? Au fond c’était le domaine où il était le plus doué. Mis à part l’art de dessiner des lettres. C’est vrai, il pouvait écrire UN DERNIER ADIEU, GUNNAR sur ses fesses, mais ce serait dommage ; avec un peu de chance les deux fesses pouvaient se transformer en deux cylindres. Il dessina toute une série d’ailettes de refroidissement argentées sur ses fesses. Non, pas très réussi. Ça faisait plutôt comme si elle s’était assise sur un gril brûlant. Il la retourna une nouvelle fois, si au moins il n’avait pas été assez idiot pour déjà utiliser ses seins, il aurait pu en faire deux cylindres idéals[5] avec les bougies sur les aréoles.

— Qu’est-ce que je représente ? demanda Nora.

— Un ange avec moteur à deux temps.

Maintenant c’était au tour de Nora Gunnar s’allongea sur le ventre sur le lit. Nora s’assit à califourchon au-dessus de lui et lui couvrit le dos de lettres.

— Qu’est-ce que j’écris en ce moment ?

— S…A… Salut ? arriva-t-il à sentir sur sa peau.

— Oui, mais encore ?

Il se concentra sur les mouvements de la main. C… non, G. GO, GU… Bon Dieu, que c’était difficile. Écrivait-elle à l’envers ? Il essaya de regarder par-dessus son épaule. Elle lui enfonça immédiatement le visage dans le dessus-de-lit.

— Tu triches ! Tu as écrit GUNNAR EST FOU.

Il se dégagea et fonça vers le miroir pour vérifier son dos. Qu’est-ce qu’elle avait pu écrire encore ? JE SUIS UN MERDEUX ? QUI PARLE DANS MON DOS ? Non, ça ressemblait plutôt à ces lettres égyptiennes, des oiseaux, des ovales, des serpents dressés. Des hiéroglyphes ?

— Bonjour, monsieur Tout Ankh Amon !

Elle s’assit au milieu de son grand lit et se trémoussa de rire. Il bondit sur elle, brandissant un bâton de rouge vif.

— Attention, je vais te scalper !

Ils était chacun de part et d’autre du lit, haletants et se regardant avec de grands yeux. Gunnar tenait son bâton de rouge comme un poignard. Nora plaqua ses deux mains sur le lit, se pencha en avant d’un air provoquant et dit :

— Tu n’as pas faim ?

En une seconde il fut désarmé. Son estomac se mit à geindre et à se tordre. N’était-ce pas une odeur de steak haché qui planait dans la pièce ? Cela faisait bien sept heures qu’il ne s’était rien mis sous la dent. Tout l’après-midi il avait traîné et s’était senti constipé jusqu’à la gorge. Maintenant tout était tombé d’un coup jusqu’aux intestins, laissant un vide énorme.

— On va prendre une douche pour commencer, dit Nora.

La douche était de l’autre côté du couloir. Nora enfila sa robe de N.K. et prêta sa robe de chambre à Gunnar. Il se sentit un véritable empereur dans son manteau d’hermine et parcourut le couloir d’un pas très lent. La douche avait été aménagée dans un ancien cabinet de consultation d’un médecin et dans un coin était resté un curieux fauteuil en tubulure d’acier. Un instrument de torture ? Il fallait probablement mettre les pieds sur les plaques métalliques et on était tordu en arrière. Par une lucarne au plafond on apercevait le ciel.

Ils restèrent longtemps sous la douche à se savonner mutuellement. C’était vraiment formidable de se laver ; pourquoi ne l’avait-il pas fait avant ? Soudain il sentit qu’il s’était fait avoir : était-ce pour ça qu’elle avait proposé de se peindre ?

— Tu l’as fait exprès pour que je me lave ? demanda-t-il en sortant du bout d’un doigt la crasse qui emplissait son nombril.

— Évidemment. Mais on ne dit pas à un gentleman qu’il sent le putois !

Elle le saisit par le bras et le serra contre elle.

— Mais non, je rigole. C’est parce que je t’aime bien.

Après s’être séchés ils retournèrent au lit. Gunnar se glissa entre les draps frais tandis que Nora se maquillait les paupières et y fixait des faux cils. Puis elle se dessina les lèvres en brun sombre. C’était fascinant de la voir se créer un visage. Exactement, elle avait l’air d’une Égyptienne. Comme une sculpture dans la série télé « Le trésor de Tout Ankh Amon ». Pour terminer elle fixa une petite perle contre une de ses narines.

— Théo a promis de nous inviter à dîner, dit-elle en tirant un léger foulard blanc sur sa tête.[6]



Film

Le metteur en scène suédois Kay Pollak a réalisé en 1980 une adaptation cinématographique de Barnens ö, avec Tomas Fryk dans le rôle de Reine.

Cette adaptation est souvent citée parmi les films préférés des posteurs de forums de discussion comme La Garçonnière ou BoyChat.

Voir aussi

Bibliographie

  • Per Christian Jersild, Barnens ö, Stockholm, Albert Bonniers Förlag, 1976. ISBN 91-0-041567-7
  • P. C. Jersild, L’île des enfants, roman traduit du suédois par Marc de Gouvenain, avec un avant-propos du traducteur, Stock (coll. Bel Oranger), 1979. ISBN 2-234-01032-2

Articles connexes

Notes

  1. Source : adapté de la Wikipedia anglaise.
  2. Marc de Gouvenain est aussi, avec Lena Grumbach, l’un des traducteurs du roman Le goût du baiser d’un garçon, par Mikael Niemi (Actes Sud, 2004, ISBN 2742746420).
  3. C’est pour une raison du même type que la Pippi Långstrump d’Astrid Lindgren a été transformée en Fifi Brindacier.
  4. P. 35-36.
  5. Sic.
  6. P. 290-295.