Coupe Warren

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La coupe Warren (« Warren Cup » ) est un vase à boire en argent, de type skyphos sans anse. Le corps est orné de deux « scènes pédérastiques explicites[1] » traitées en bas-relief. Acquise par le British Museum (51° 31′ 10″ N 0° 07′ 37″ W) en 1999 pour la somme de 1,8 million de livres, elle date du tournant du XIXème et du XXème siècle et doit en partie sa célébrité au fait d'avoir longtemps été présentée comme une œuvre d'époque augustéenne[2]. Les doutes quant à la datation ne sont pas absents de son historiographie, mais ont été levés en 2008 par la publication de l'article de Maria Teresa Marabini Moevs et son appendice technique par Claudio Franchi. Après sa conclusion, cette historienne de l'art présente une nouvelle hypothèse, celle d'une commande de l'archéologue amateur et marchand d'œuvres d'art Fausto Benedetti (1874-1931) à un ciseleur imprégné du style liberty, dans la mouvance de la maison des bijoutiers-orfèvres Castellani, connue pour ses productions historicistes de haute qualité, qu'il s'agisse d'adaptations de techniques redécouvertes au fil des découvertes archéologiques et mises au goût du jour, ou de copies de haute qualité de bijoux et objets issus de chantiers de fouille. Benedetti l'aurait fait exécuter en vue de satisfaire les goûts qu'il savait être ceux de certains de ses clients, dont Edward Perry Warren (1860-1928) qui en fit l'acquisition à Rome en 1911.

Parcours, visibilité et répliques

  • Fausto Benedetti la vend à Edward Perry Warren, à Rome en 1911.
  • Première publication en 1921 dansDie Erotike der Antike in Kleinkunst und Keramik[3]
  • Prêt par Warren au Martin von Wagner-Museum dans les années 1920 (les archives de ce musée conservent une photo avant le nettoyage datée de 1929, et une autre réalisée après cette opération, datée de 1931.
  • Après la mort de Warren en 1928, elle serait passée par héritage à Asa Thomas, et de là à un marchand d'œuvres d'art[4].
  • Echec d'une tentative d'importation aux Etats-Unis d'Amérique en 1950 ou 1953 : des douaniers refusent l'entrée de la coupe sur le territoire des Etats-Unis.
  • Les musées approchés vers la fin des années 50 ne purent en faire l'acquisition, freinés par l'esprit du temps qui rendait tout exposition en public virtuellement impossible. Par exemple, le Fitzwilliam Museum de Cambridge n'en voulut pas, et le British Museum pensa qu'il ne serait pas capable de convaincre son conseil d'administration, alors présidé par l'archevêque de Canterbury.
  • Le collectioneur qui en fit l'acquisition la prêta un temps au musée de Bâle (suisse).
  • Mention en 1963 dans un bref article de C. Vermeule (alors conservateur au département d'art ancien du Museum of Fine Arts, Boston)[5].
  • Edward Perry Warren en fit réaliser une réplique pour un ami, sir John Beazley[6], qui en fit don en 1966 à l'Ashmolean Museum, Oxford. Cette réplique fut publiée en 1982[7] et 1985.
  • Prêt anonyme temporaire au Metropolitan Museum de New York de 1991 (ou 1992 selon Clarke) à 1998. Le grand public ( et aussi le 'grand public gay' ) fait connaissance avec la coupe Warren.
  • Le sujet reçoit enfin l'attention de la communauté scientifique, notamment à travers deux articles parus dans The Art Bulletin en 1993 et 1999 [8].
  • John Pollini, en préparation de son article de 1999, a pu examiner la coupe Warren faisant alors partie de la Stanford Place Collection à Oxford[9] appartenant alors selon Linda Sandler[10] à Claude Hankes-Drielsma[11]. Cette collection principalement constituée dans les années 1970, fut en partie vendue chez Christies en 2006[12].
  • Le British Museum en fit l'acquisition en 1999 pour la somme de 1,8 million £ (un multiple de la somme demandée dans les années 50), grâce aux généreuses contributions du Heritage Lottery Fund et du National Art Collections Fund. Il la considère depuis lors comme l'une de ses œuvres majeurs et communique régulièrement à ce sujet. Cette acquisition sensationelle fut relayée par la presse, et tous les journaux Britanniques en publièrent des photographies. Elle est exposée en permance au département des antiquités romaines (Wolfson Gallery). Nombreuses reproductions dans des ouvrages de vulgarisation et des livres à thème. Prêt pour des expositions temporaires sur des thèmes liés à la sexualité dans le monde romain.
  • Thomas Hurd a pu convaincre le précédent propriétaire de la coupe Warren d'en faire exécuter douze répliques en argent massif. La « Leslie Lohman Gay Art Foundation » en possède une depuis 2003[13].
  • En 2006, l'exposition à thème « Sexe et société dans la Grèce antique et à Rome » se tint dans une salle du musée et attira « une proportion record de visiteurs, qui restèrent en moyenne plus longtemps devant les œuvres exposées que lors des expositions précédentes[14]. »
  • Prêt à l'exposition « The Warren Cup », Yorkshire Museum, York, 1 déc. 2006-22 jan. 2007
  • Publication en 2008 d'un article rendant la Coupe Warren à son contexte de création de la fin du XIXème siècle.
  • Elle fait partie de l'exposition « Hadrian: Empire and Conflict », British Museum, London, 24 juil-26 Août 2008[15].
  • En mai 2010, la BBC Radio 4 inclut la coupe Warren dans la série « Histoire du monde en cent objets »[16].
  • Prêt en 2010 pour une exposition temporaire à l'université de Nottingham[17] : « Roman Sexuality: Images, Myths and Meanings ». Il s'agit du deuxième prêt de ce type depuis l'acquisition par le British Museum.
  • La boutique du British Museum en vend de mauvaises copies en étain massif[18] (vu en 2011).


Résumé historiographique, argumentaires

Trois articles furent publiés dans des revues scientifiques (1993, 1999 et 2008[19]) à la faveur d'une ouverture tardive[20] des archéologues et historiens de l'art aux questions de genre et aux relations sexuelles entre personnes de même sexe dans les années 1990. Avant ces articles, la coupe Warren n'avait fait l'objet que de brèves descriptions factuelles.

La coupe Warren ne figure dans aucun rapport de fouilles[21]. Cette absence de contexte archéologique réduit les chercheurs à construire un contexte par des analyses comparatives avec des œuvres ayant un contexte archéologique.

John R. Clarke

Coupe Warren
Scène A

John R. Clarke[22] en développe trois[23].

  • Il commence par discuter de parentés et différence iconographiques et stylistiques avec des coupes comparables de l'époque augustéenne[24], en particulier celles de la maison de Ménandre à Pompéi et de la villa de Boscoreale sur les pentes du Vésuve. Il ne fait pas l'impasse sur les céramiques sigillées arrétines[25],
  • puis passe à des peintures murales de l'Italie romaine conservées dans leur cadre architectural d'origine.
  • Enfin, il interroge les textes romains et classiques grecs sur les pratiques sexuelles et leur interprétations modernes. Or, « On chercherait en vain un témoignage des sentiments d'un partenaire réceptif de ces actes phalliques, qu'il s'agisse d'un mâle ou d'une femelle, qui soit de statut égal ou moindre. Les textes ne parlent que des désirs du mâle aristocratique et de leur accomplissement avec un objet sexuel. Mais une règle semblait universelle à l'aristocrate romain mâle : il ne devait pas avoir de rapport sexuel avec un autre mâle libre de naissance, qu'il s'agisse d'un homme ou d'un garçon[26].» En cela, il différait de l'aristocrate grec de l'époque classique, qui pouvait faire la cour et l'amour à des adolescents de la même classe sociale que lui.

La scène B (voir illustration) correspond à cette vision romaine pédérastique : « les longs cheveux du garçon sont une indication claire de son statut d'étranger, si pas de son statut servile[27] »; en revanche, pour la scène A, l'artiste a voulu présenter deux hommes de gabarit égal, l'un portant la barbe, l'autre glabre, tous deux portant les cheveux courts. Il n'y a pas entre eux de différence manifeste d'âge ou de statut.

Clarke choisit pourtant de ne pas interpréter cette scène selon lui sans équivalent contemporain comme un anachronisme. Au contraire il conclut : « Le fait que des scènes d'amour comme celle de la coupe Warren ne correspondent pas aux conceptions modernes de la probité morale augustéenne, est un très bon argument pour les étudier. C'est un cas où les arts visuels, et non la littérature, se rapproche le plus de la vie. »

John Pollini

Coupe Warren
Scène B

Malgré cette conclusion positive, le vers était dans le fruit. John Pollini[28], dès la première page de son article[29] paru dans la même revue en 1999 — l'année de l'acquisition par le British Museum —, pose un lien de causalité entre homophobie et doutes quant à l'authenticité de la coupe Warren[30], et affirme que « Ni sa forme ni son imagerie ne suggèrent que la coupe ne puisse être authentique ». L'appareil critique, très étoffé, est une mine, et l'auteur ne se dispense pas de réponses courageuses.

Le soupçon d'anachronisme lié à la sexualité des protagonistes de la scène A appelait une discussion. Pollini revient longuement sur les normes et pratiques sexuelles à l'époque augustéenne. L'acculturation d'une société romaine philhellène au IIème siècle A-.C., qui se serait traduite notamment par l'adoption de l'idéal pédérastique de la Grèce classique (entre mâles nés libres), a rencontré des résistances, incarnées par une faction conservatrice (dite Catonienne) allergique à cette « corruption immorale étrangère » venue de l'Orient Grec et par la lex Scatinia (ou Scantinia). Cette loi républicaine de la fin du IIIème siècle ou du IIème siècle, objet de débats académiques modernes, régulait certaines relations de mâle à mâle et en particulier a placé les relations entre un homme et un garçon[31] né libre hors de l'équation.

Cependant, selon Pollini, aucune loi n'a pu empêcher les actes sexuels entre mâles, même entre citoyens Romains nés libres : d'une part d'autres tentatives de régulation morale par le passage de lois furent des échecs[32]. Le scandale des Bacchanales de 186 A.-C.[33] montre que les garçons nés libres pouvaient aisément être dévoyés et subir une pénétration anale[34]. D'autre part il décrit l'ambisexualité[35] comme l'orientation sexuelle prévalente.

Il réfute la similitude d'âge et de statuts entre les protagonistes de la scène A. Les deux adolescents pédiqués peuvent selon lui correspondre aux limites inférieure et supérieure des garçons « mûrs » pour la pédication de l'épigramme de l'anthologie Palatine ( de douze et dix-sept ans)[36]. Un détail de la coiffure de l'adolescent de la scène A pourrait faire la différence : ces cheveux mi-longs dans le cou sont coiffés vers le bas et ne seraient pas incompatibles avec les coiffures des garçons esclaves ( plus précisément des pueri delicati) de l'époque Julio-Claudienne[37] inspirées des coiffures de femmes de la famille impériale. Les hommes libres les brossaient vers l'avant, vers les oreilles[38]. Il différencie ces pueri delicati, porteurs de chlamys[39] dans le style grec, de prostitués sensés porter un badge de prostitué mâle sur la stola, robe longue de matrone Romaine.

Le garçon vêtu d'une tunique qui émerge d'une porte, plus jeune que les autres protagonistes, ne porte pas la bulla, amulette réservée aux garçons libres qui selon Plutarque[40] les protégeait des avances sexuelles non désirées, en particulier quand ils étaient dévêtus. Parmi les interprétations proposées par Pollini, celle qui revient à plusieurs reprises est celle d'un petit voyeur. Plus loin, il est présenté comme un jeune esclave qui observe la scène pour apprendre les ficelles du métier.

Maria Teresa Marabini Moevs et Claudio Franchi

Coupe Warren
Détail de la scène A : le garçon dans l'entrebaillement de la porte

L'article Maria Teresa Marabini Moevs[41] est suivi d'un appendice de Claudio Franchi sur la technique de réalisation de la coupe Warren. Elle remet en question le contexte augustéen et propose de la voir comme une création italienne historiciste de la fin du XIXème siècle par des artisans imprégnés du style Liberty commandée par un intermédiaire italien, Fausto Benedetti, en rapport avec la Lewes House Brotherhood d'E.P. Warren. Pour ce faire, elle part à la chasse aux anachronismes et fait des rapprochements avec les sources stylistiques, iconographiques et techniques à portée d'un artisan italien de la fin du XIXème siècle, et revient sur les circonstances de l'acquisition de la coupe par Warren.

La modénature du pied et de la lèvre est sans équivalent direct (pour un skyphos de type Dragendorff 11[42]), tant dans l'orfèvrerie augustéenne que dans les céramiques sigillées dites d'Arezzo. Des modèles Dragendorff 11 sans anse existent en terre sigillée d'Arezzo mais pas en argent.

La disparité sociale des amants de la scène B a des équivalents en céramique sigillée d'Arezzo, mais le couple « homosexuel » de la scène A est sans équivalent dans cet art à l'époque augustéenne, et n'est pas en phase avec les moeurs de cette époque.

Le garçon dans l'entrebaillement de la porte est un thème récurrent en céramique arrétine. Le musée archéologique national d'Arezzo conserve une version originale de ce thème[43] sur une matrice signée de Nicephorus (artisan actif dans l'atelier de Perennius, déja cité). L'amant endormi, sa maîtresse fait signe à un jeune serviteur, venu l'avertir qu'un autre client attend, de ne pas encore le faire entrer. Ce thème de l'exclusus amator présent dans l'anthologie Palatine[44] a connu des variantes[45]. Il est coiffé en jeune Horus ( avec les cheveux en queue de cheval ) et porte une tunique de lin aux manches si larges qu'elles tombe jusqu'à la ceinture, vêtement égyptien de l'époque des pharaons. L'auteur de la coupe Warren a copié ce motif sans en comprendre le contexte, et a réduit le rôle du petit garçon à celui d'un voyeur.

Ce détail de composition est apparenté à un fragment de matrice conservé lui aussi au musée archéologique d'Arezzo. Elle a servi, à la fin du XIXème siècle à la réalisation de fausses matrices et de faux poinçons, dont l'un représente le jeune garçon dont il est question[46]. Deux de ces fausses matrices furent offertes par Edward Perry Warren au Museum of Fine Arts de Boston[47] et quatre au Metropolitan Museum de New York.

La barbe du pédicateur de la scène A est atypique pour un romain de l'époque Julio-Claudienne mais aurait été à la mode dans l'Athènes des Pisistratides. De même, la couronne à longues feuilles n'apparaît pas sur les céramiques arrétines mais renvoie encore à la céramique attique à figures rouges. La pose des amants de la scène A semble être un condensé de deux compositions prises sur deux fragments de kylix attiques à figures rouges[48], tous deux provenant de la collection Castellani. Les problèmes pratiques causés par l'effort de dissimulation de ces emprunts expliquent plusieurs inconsistances et défauts de composition. D'autres emprunts ont des effets comparables sur la la composition de la scène B, notamment la réapparition du pied de la jambe droite du pédicateur. Marabini Moevs pointe pointe plusieurs détails, dont les instruments de musique, qui sont empruntés parfois à la céramique sigillée arrétine, parfois à des décors de vases attiques à figures rouges.

L'artiste, auteur de la coupe Warren, doué pour le rendu des traits de physionomie, semble indifférent aux préoccupations de naturalisme anatomique et de consistance plastique des artistes classiques augustéens qu'il essaie d'imiter. Son goût pour les lignes fluides en revanche, est une sensibilité stylistique qui le rapproche de médailleurs travaillant dans le style Liberty au début du XXème siècle.

Dès lors se pose d'une part la question renouvelée du contexte de création, et d'autre part les questions liées à ce qu'est un faux (destiné à tromper sur le contexte de création).

Warren et John Marshall s'intéressaient à la céramique sigillée et en particulier aux sujets érotiques, ont visité le musée d'Arezzo entre 1899 et 1901, et ont acquis assidument d'authentiques et de faux vases et matrices arrétines tant pour leur collection privée que pour le musée de Boston. Leur connaissance des céramiques grecques et arrétines ne leur a pas permis d'évaluer correctement la coupe. Le prix élevé[49] payé à l'intermédiaire, Fausto Benedetti, en 1911, plaide pour leur bonne foi.

Fausto Benedetti, fouilleur peu scrupuleux ( impliqué notamment dans le scandale de la villa Giulia avec Wolfgang Helbig ), archéologue autodidacte et marchand d'œuvres d'art, entretenait avec Warren des rapports d'affaires et des rapports amicaux. Il fut à plusieurs reprises son hôte à Lewes House, base de la Lewes House Brotherhood[50], à l'époque où la découverte du trésor d'orfèvrerie augustéenne de Boscoreale (1895) suscitait de l'enthousiasme, ce qui a pu lui donner des idées.

La piste s'arrête-là pour le moment. Marabini Moevs cite encore trois noms, sans établir de lien entre eux ni avec Benedetti. Celui d'Angelo Pasqui, dont la production de faux vases et matrices arrétines a été étudiée[51]. Pasqui en parle comme d'une erreur de jeunesse. Ceux des frères Alessandro Castellani, antiquaire de réputation internationale basé à Naples, et Augusto Castellani, basé à Rome, héritier d'un prestigieux atelier d'orfèvrerie ( qui a notamment produit des œuvres historicistes et rassemblé les professions capables de les créer ) et propriétaire de la fameuse collection citée plus haut, dont faisaient partie les vases attiques à figure rouge qui ont inspiré directement les compositions des scènes A et B.

Coupe Warren
Modénature

Le commentaire de l'orfèvre Claudio Franchi porte sur les enjeux, stratégies et moyen techniques déployés au cours de la réalisation de la coupe. Un travail d'embossage au petit ciseau permet un usage réduit du ciseau de profil sur la face externe. Ca permet un gain de temps par rapport aux techniques rencontrées sur les œuvres augustéennes auxquelles la coupe Warren fut comparée, mais c'est un travail plus contraignant, et qui suppose plus de virtuosité. Il y a comparativement moins de relief et plus de jeu sur la lumière. Cette stratégie d'optimisation du temps de travail et ses effets esthétiques sont des préoccupations modernes.

Deux légers gonflements de la surface sont visibles entre les scènes, là où les anses devaient être fixées. L'examen du métal à l'avant et à l'arrière ( la feuille de métal interne a été retirée le temps d'un examen) de la feuille externe montre que les anses n'ont pas été enlevées, donc qu'elles n'ont jamais été soudées, peut-être parce qu'elles ne s'accordaient pas stylistiquement avec une œuvre augustéenne. Franchi voit dans ces gonflements l'usage d'un petit chalumeau moderne.

Selon Franchi, le pied pourrait être un élément récupéré sur une œuvre d'époque augustéenne. Quand Warren en a fait l'acquisition, la coupe avait une patine qui ressemblait à celle d'objets ayant passé des siècles sous terre — un traité publié au XIXème siècle explique comment obtenir artificiellement une telle patine.

Or selon l'analyse réalisée au British Museum en 2004[52], la soudure du pied est moderne. La patine fut « nettoyée » entre 1929 et 1931[53], la soudure pourrait dater de cette époque, mais elle pouvait aussi se trouver sous la patine à l'ancienne[54].

La ligne sinueuse du tombé du drapé tenu par l'amant pédiqué de la scène A est inédite dans l'art augustéen. Franchi la voit comme une signature d'un artiste italien travaillant dans un contexte Liberty au début du XXème siècle, qui aurait ajouté une touche personelle à une composition dans le goût archéologique.

L'unité Italienne et la fin des Etats pontificaux ont privé les artisans de beaucoup de leurs clients ecclésiastiques. Ils se sont mis au service d'orfèvres et de joailliers qui avaient une nouvelle clientèle profane. Il y eut un temps d'adaptation où la frontière entre le goût « archéologique » et la légalité était peu définie.


Edward Perry Warren en tant que collectionneur

La publication la plus récente à ce sujet est celle de Michael Matthew Kaylor et al.[55]. L'activité de collectioneur de Warren et de John Marshall, l'homme de sa vie, s'étend sur une dizaine d'années.Son premier achat, en 1892, fut le kylix attique à figure rouge avec les inscriptions Panaitios Kalos ( Panaitios est beau ) et Kalos Ho Pais ( le garçon est beau ) d'Euphronios, peint par Onesimos, aujourd'hui au Museum of Fine Arts de Boston. Warren devint le principal agent de ce musée ( dont son frère Sam était l'un des administrateurs ), chargé des achats d'antiquités gréco-romaines. Il achetait aussi pour le Metropolitan Museum de New York, et pour lui-même.

Kaylor écrit[56] : (...)vue dans un contexte plus large, cette activité de collectionneur était motivée par cette même impulsion qui est à l'origine de son apologie « Défense de l'amour uranien[57] » puisque toutes deux dérivent, selon Warren, de sa

rébellion contre [mon frère] Sam et contre tout ce à quoi j'ai objecté depuis ma jeunesse, la « sagesse mondaine » (trad. de wordly wisdom) qui ne s'accordait pas avec l'amour et avec l'enthousiasme... j'ai toujours dit et pensé que c'était la haine de Boston qui me faisait travailler pour Boston... La collection fut mon plaidoyer contre ce qui à Boston contredisait mon amour (païen[58]).

Bien que ses activités de collectionneur s'inscrivent certainement dans le contexte de l'amour, c'est l'amour pédérastique qui les a inspiré — et non son amour pausanien pour Marshall, comme David Sox le suggère. Warren le dit très clairement après la mort de Marshall et juste avant la sienne[59] :

Je me pose des questions quant à l'amour. Il est la cause de tant de soucis; les gens en souffrent; pourtant les bonnes choses de la vie viennent principalement de là. Devrais-je me contenter de ne me rappeler que de ce qui fut fait pour les musées, me satisfaire avec les résultats moins personnels de l'amour? Parce que le musée était véritablement un évangile pédérastique. Il doit être compté comme un résultat de l'amour. C'est un tout, l'amour, la souffrance, le musée, et peut-être mes erreurs envers mes gens et envers Johnny.

Jamais cet accord entre collection et amour pédérastique n'est plus évident que lors de son achat de la coupe Warren en 1911.


Bibliographie

  • Vorberg, G. :"Die Erotike der Antike in Kleinkunst und Keramik", Munich, 1921, pls.1-3.
  • Vermeule, C. : « Augustean and Julio-Claudian Court Silver », Antike Kunst, VI, 1963, pp.33-46.
  • Sgubini Moretti, Anna Maria; Boitani, Francesca : « I Castellani e l'oreficeria archeologica italiana », 2004-5. Google Books en donne des extraits.

A propos de la coupe Warren

  • Williams, Dyfri. 1999. 'The Warren silver cup', British Museum Magazine: th-12, 35 (Autumn / Winter 1999), pp. 25–28
  • Williams, Dyfri « The Warren Cup, British Museum objects in focus », The British Museum Press, 2006.

Clarke, John R (1998), Looking at lovemaking : constructions of sexuality in Roman art, 100 B.C.-A.D. 250, University of California Press, ISBN 9780585327136. Clarke consacre un chapitre entier à la coupe Warren.

Articles

  • Clarke, John R. : « The Warren Cup and the Contexts for Representations of Male-to-Male Lovemaking in Augustan and Early Julio-Claudian Art », The Art Bulletin, Vol. 75, No. 2. (Jun., 1993), pp. 275-294.
  • Pollini, John : « The Warren Cup: Homoerotic Love and Symposial Rhetoric in Silver », The Art Bulletin, Vol. 81, No. 1. (Mar., 1999), pp. 21-52.
  • Pollini, John : « Two Bronze Portrait Busts of Slave-Boys from a Shrine of Cobannus in Roman Gaul », in Studia Varia II: Occasional Papers on Antiquities of The J. Paul Getty Museum 10 (2001) 115-52.
  • Pollini, John : « Slave-Boys for Sexual and Religious Service: Images of Pleasure and Devotion », in: « Flavian Rome. Culture, Image, Text », Brill, Leiden-Boston, 2003, pp.149-166. Il s'agit d'un prolongement de l'article de 1999 en particulier sur la question des coupes de cheveux féminisées, et sur la formation et les rôles sociaux des pueri delicati aux périodes julio-claudienne et flavienne.
  • Marabini Moeus, Maria Teresa : « Per una storia del gusto: Riconsiderazioni sul calice Warren », con Appendice di Claudio Franchi: « Sulla tecnica di realizzazione del Calice Warren», Bolletino d'arte, serie VI, 2008, 146, pp.1-16.
  • Hochey, M. : « Report on the conservation and examination of the Warren Cup », British Museum, Department of Conservation. Documentation and Science, 2004, pp.2-3. Cité par Franchi dans Marabini Moevs, 2008, note 3.
  • Clarke, John R. : « The Warren Cup: Greek or Roman Lovemaking » (Review du livre de Williams, Dyfri 2006 op.cit.), in : Journal of Roman Archeology, 2006, vo.19, pp.509-510. Clarke y réfute l'interprétation de Williams, qui, se basant sur les coiffures, lit les scènes de la Warren Cup comme des interprétations romaines classicisantes de scènes grecques : Williams ne s'est pas laissé convaincre par l'article de Pollini (2003, op.cit.)
  • Szesnat, Holger : « Pretty boys in the De Vita Contemplativa », in : The Studia Philonica Annual 10, 1998:87-107. A propos des préjugés de Philon quant aux préférences sexuelles Romaines et Grecques.

A propos d'Edward Perry Warren

  • Warren, Edward Perry (using the pseudonym of Arthur Lyon Raile): « A Defence of Uranian Love », with introduction and notes by Michael Matthew Kaylor and translations from the Greek and Latin by Mark Robert Miner, and foreword by William Percy III, vol. I-II-III, First Valancourt Books Edition, Kansas City, Missouri, 2009.

Edition d'origine : Volumes I and III privately printed, 1928; Volume II, 1930.

Autres

  • Porten Palange, Francesca : « Fälschungen in der arretinischen ReliefKeramik », Archeologisches Korrespondanzblatt, XIX, 1989, pp. 197-216.
  • Fless, Friederike : « Opferdiener und Kultmusiker auf städtrömischen historischen Reliefs: Untersuchungen zur Ikonographie, Funktion und Benennung », Mainz, Philipp on Zabern, 1995.


Notes et références

  1. Warren, republié par Kaylor, 2009, p.LXI.
  2. Octave reçut le titre d'Auguste en 27 av. J-C. et régna jusqu' à sa mort en 14 A.D.
  3. Vorberg, pls 1-3.
  4. Clarke, op.cit, p.276.
  5. Vermeule, 39, pl.14, 2 et 4.
  6. John Davidson Beazley (1885–1970). Il fut professeur d'archéologie classique à Oxford. Il adapta la méthode morellienne à l'étude des peintres de vase Attiques à figures rouges, dont le peintre de Berlin. Il aurait rencontré Berenson via Warren. Encouragé par ce dernier, il a voyagé aux Etats-Unis d'Amérique à partir de 1914, et a notamment publié « Attic Red-figured Vases in American Museums » en 1918. Dédié à Warren et à Marshall, cet ouvrage s'attarde en particulier sur les dons faits par ces derniers à l'université de Harvard, au Museum of Fine Arts de Boston, et au Metropolitan Museum de New York. Il s'agit de brefs essais à propos de peintres avec des listes de vases attribués à chacun d'eux. Il est aussi l'auteur de « The Lewes House Collection of Ancient Gems » (Oxford: Clarendon Press, 1920) republié en 2002. Lewes House, résidence de Warren, fut le lieu de la Lewes House Brotherhood.
  7. Johns, Catherine : « Sex or symbol: Erotic Images of Greece and Rome », Austin, University of Texas Press, 1982.
  8. Clarke, 1993; Pollini, 1999).
  9. Pollini, 1999, p.21.
  10. Sandler, Linda : « Ancient Clash: Christie's Says It's Greek, Dealers Say Roman  », Bloomberg.com News, May 18, 2006.
  11. Sandler, 2006, op.cit. : « Christie's won't name the seller, though dealers and scholars said the pieces belonged to Claude Hankes-Drielsma, adviser to Iraq, critic of the Oil for Food program, British Museum patron and longtime collector. »
  12. Christies, London, King Street, Sale 7336, The Stanford Place Collection of Antiquities. Les 48 lots de cette vente ont coûté 2,186,880 (GBP)aux acheteurs.
  13. « L'importance de la coupe Warren en tant que document historique et sa beauté en tant qu'œuvre d'art lui permettent de surmonter les habituelles barrières sociales. »([1]).
  14. Selon un rapport de la société de consultance Morris Hargreaves McIntyre : « Pleasure you can measure Visitor responses to the Warren Cup exhibition », August 2006. Il en existe une version en ligne.
  15. Opper, T, Hadrian: Empire and Conflict, London, BMP, 2008.
  16. Une retranscription et un podcast sont en ligne. Le commentaire fait usage d'anachronismes, dont le concept moderne d'homosexualité.
  17. University’s Weston Gallery at the Lakeside Arts Centre, du 14 janvier au 10 avril 2011.
  18. http://www.britishmuseumshoponline.org/figurines/warren-cup-replica/invt/cmcr34220/?stylecat=luxury_gift_shop répliques.
  19. Clarke, 1993; Pollini, 1999; Marabini Moeus, 2008.
  20. Lire par exemple le numéro à thème de World Archaeology, Vol. 32, No. 2, Queer Archaeologies (Oct., 2000).
  21. Difry Williams, conservateur au département des antiquités grecques et romaines du British Museum, ne fait que reprendre une tradition orale qui donne comme provenance Bittir (l'ancienne Bethther) près de Jérusalem (cf. Williams, 2006). Selon Neil McGregor, directeur du British Museum (BBC Radio 4, 2010, op.cit.) « Nous n'en sommes pas sûr, mais certains pensent que la coupe Warren fut trouvée enterrée à Bittir, une villes à quelques miles au Sud-Ouest de Jérusalem. Comment elle y est arrivée est un mystère, mais nous pouvons essayer de le deviner. » (We don't know for certain, but it's thought that the Warren Cup was found buried at Bittir, a town a few miles south-west of Jerusalem. How it got to this location is a mystery, but we can make a guess.) Vermeule et Clarke penchent respectivement pour l'Orient Grec et Pompéi; Pollini « est enclin à penser » à l'Occident Romain et à Pompéi.
  22. Prof. Histoire de l'art, Université du Texas, Austin.
  23. Clarke, 1993.
  24. Clarke caractérise le style augustéen par un passage du réalisme à l'idéalisme, qui est un retour au goût attique du 5ème siècle av. J.-C. Par exemple, l'empereur prit le parti de se faire représenter en jeune homme, quel que fut son âge réel.
  25. Inspirées des formes de l'orfèvrerie mais à destination d'un public plus modeste, elles eurent une grande diffusion; on en a trouvé lors de chantiers de fouilles à Londres et dans le Nord de l'Inde. Edward Perry Warren en possédait. L'authenticité de quelques céramiques d'Arezzo figurant des scènes d'amour entre mâles conservées à New York et Oxford fut contestée (cf. Porten-Palange, 1989, op.cit. article sur de fausses céramiques d'Arezzo).
  26. Clarke, 1993, p.290.
  27. Clarke, 1993, p.292.
  28. Professeur d'Histoire et d'Histoire de l'art à l'université de Californie du Sud.
  29. Pollini, 1999, op.cit.
  30. (...) Cette attitude négative concernant sa nature homoérotique peut avoir mené des gens - consciemment ou inconsciemment - à rejeter la coupe en tant qu'oeuvre ancienne authentique. (Pollini, 1999, op.cit., p.21.
  31. Selon Paulus, juriste Latin du IIIème siècle A.D., le terme puer (garçon) a trois acceptions en latin : :« Unam, cum omnes servos pueros appeleramus; alteram, cum puerum contrario nomine puellae diceremus; tertiam, cum aetatem puerilem demonstraremus. » (D'abord, tous ceux que nous appelons esclaves ; deuxièmement un mâle pour le distinguer d'une fille ; et troisièmement celui que nous caractérisons comme ayant l'âge de l'enfance ). Au contraire d'un puer né libre, dont la fourchette d'âge était fixée par la loi romaine entre sept et quatorze ans, la fourchette d'âge d'un puer esclave n'était pas limitée chronologiquement. En ce sens, le terme latin puer semble être un parallèle précis au terme boy tel qu'il était utilisé avant-guerre dans le Sud des Etats-Unis d'Amérique pour désigner un esclave mâle( Pollini, 1999, op.cit. p.27). Cette acception est passé dans la langue française (Trésor de la langue française, Boy, sens B).
  32. Pollini, 1999, p.28 et notes 71-72.
  33. * Pollini, 1999, p.28.
  34. Traduction de Ab Urbe Condita 39.13.14 bien différente de celle de 1864, cf. note ci-dessus.
  35. L'étymologie du mot moderne bisexualité lui posant question.
  36. Anth. Pal. XII, 4. Il cite aussi, p.36, un passage de De Vita Contemplativa de Philon, discuté par Holger Szesnat (cf. Bibliographie) où sont décrits trois âges types de puer delicatus et leurs fonctions respectives lors d'un banquet.
  37. Sur base d'une comparaison de la coiffure de l'adolescent pédiqué de la scène B avec une bouteille de la collection Ortiz ornée d'un décor pédérastique en camée, elle-aussi privée de contexte archéologique, il date la coupe Warren de la période Julio-Claudienne.
  38. Pollini a consacré deux autres articles et plusieurs conférences à cette question des coiffures des pueri delicati et à leur formation dans les paedagogia impériales. Formés pour servir un maître, ils pouvaient aussi avoir une fonction cultuelle - des reliefs de sarcophage en sont un témoignage, et aussi l'anecdote rapportée par Suétone, Vita Tiberii 44, où l'empereur, après avoir assisté à un rite sacrificiel, débauche deux frères pueri delicati. Cf. bibliographie.
  39. Le garçon de dix-huit ans qui fait l'amour avec le narrateur de l'épigramme 125 de l'anthologie Palatine « porte encore la chlamys. Lire aussi les épigrammes 12, 78 et 161. »
  40. Plutarque : Moralia, Quaestiones Romanae, 288A.
  41. Marabini Moevs, 2008.
  42. Dragendorff 11 : voir [2] la reproduction de la coupe de l'atelier de Perennius, trouvée en contexte archéologique à Neuss, conservée au Clemens-Sels-Museum, Neuss, et [3] un profil type simplifié.
  43. Reproduite dans Marabini Moevs, 2008, p.4, fig.6.
  44. Anthologie Palatine, épigramme 164 (Asclépiade): O nuit, je te prends à témoin, toi seule ! Vois quel outrage me fait Pythias, fille de Nico, qui aime les perfidies. Invité par elle, bien invité, j'arrive... Ah ! puisse-t-elle se plaindre un jour du même affront, en restant plantée devant ma porte ! (trad. Maurice Rat, Anthologie Grecque, épigrammes amoureuses et épigrammes votives suivies de l'appendice planudéen, Garnier frères, 1938).
  45. Lire :
    • Copley, Frank O. : « Exclusus amator, A Study in Latin Love Poetry », Philological Monographs, XVII, New York: American Philological Association, 1956, pp X+176.
    • Canter, H.V. : « The Paraclausithyron as a Literary Theme », The American Journal of Philology, vol.41, n°4 (1920), pp. 355-368.
  46. Collection privée, reproduit dans Marabini Moevs, 2008, fig.7.
  47. Porten Palange, Fälschungen, 1989, p.564 (et note 155). Il s'agit des fragments repris dans G.H. Chase, Museum of Fine Arts, Boston. Catalogue of Arretine Pottery, Boston, 1916, n°34-35.
  48. cf. Marabini Moevs, 2008, fig.9-10, l'un est conservé à Rome au Museo nazionale Etrusco di villa Giulia, l'autre à Florence au Museo Archeologico nazionale.
  49. Deux mille livres Sterling en 1911.
  50. Lire Kaylor dans Warren, 2009, pp.LI et suivantes.
  51. Porten Palange, Fälschungen, pp.622-632.
  52. Hochey, 2004.
  53. Les archives du Martin von Wagner-Museum conservent une photo avant le nettoyage datée de 1929, et une autre réalisée après cette opération, datée de 1931.
  54. Ce paragraphe se base sur des éléments de l'article de Claudio Franchi, mais n'en est pas issu.
  55. Kaylor in Warren, 2009, pp.LV sqq.
  56. Kaylor in Warren, 2009, p.LX.
  57. A Defense of Uranian Love.
  58. Trad. de « pagan ».
  59. Kaylor dans Warren, 2009, p.LXI.