Quand mourut Jonathan (21)

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— Alors ça c’est des carabines ? demanda Serge dans le car, à propos de l’arme qu’il avait utilisée. Eh !… eh machin ! eh des carabites ! hein des carabites ! eh dis donc, oh écoute eh des carabites !

Ce fut le premier calembour que Jonathan entendit du gamin. Mais Serge l’avait peut-être reçu de Stéphane (qui n’avait pas loin de dix ans et dont la langue tournait vite) quand il avait raconté l’aventure du stand aux trois frères. L’insistance de Serge à répéter le jeu de mots montrait qu’il n’avait pas encore soupçonné qu’on pouvait ainsi manipuler cette chose, aussi ténue et aussi inconsistante que des bulles de savon : le langage.

— … Dans le jardin, suggéra Jonathan, on pourrait, euh… Hein, s’il y a du soleil ?

— Ouah salaud ! s’écria Serge. Ben moi j’te l’fais pas !

— Je te l’ai pas demandé.

— Menteur. Et moi ça m’fait comm’ça d’abord, ricana Serge : et il bâilla comme s’il voulait gober une balle de tennis.

— Des fois, quand même, tu l’embrasses, murmura Jonathan, que ces simulacres de refus amusaient.

— Oui. Oui, mais c’était avant. Ou alors, hein, juste comme ça.

Serge en parlant chatouillait de ses lèvres l’oreille de Jonathan, qui y reçut un petit coup de langue pointue et sentit un battement de cœur. L’enfant se mit à rire et se renfonça dans son fauteuil.

— Vraiment je t’aime toi ! remarqua Jonathan à voix basse et sans raison.

— Ouais ouais, dit Serge avec une indifférence de roi fainéant, t’as qu’à pas l’dire.

Et, juste ensuite :

— … et toi comment i fait l’mec quand i les mange les lames hein les lam’d’rasoir ? Hein à ton avis toi.

Jonathan trouva Serge bien pompeux. Mais il répondit, improvisant une explication qui lui coûta de terribles efforts.

— C’est… ce ne sont pas des vraies lames. Il y en a une vraie, il coupe son papier avec, et les autres elles sont fausses. Après, quand il sort les lames de sa bouche, c’est encore une autre chose, ça doit être une lame spéciale, qui est très grosse, mais on ne voit pas, ça va trop vite : et c’est comme un accordéon, c’est des tas de petites fausses lames en petit paquet qui est bien serré, elles sont attachées d’avance en guirlande avec, avec du fil de pêche, et elles se décollent quand il tire, et il montre tout ça, et les autres fausses elles restent dans sa bouche. Je crois bien que c’est ça, c’est peut-être ça. Je ne sais pas !

— Alors c’est des fausses ? dit Serge d’un ton de défi.

— Oui, sûrement. Il cache la vraie et ensuite il mange les fausses.

— … Non c’est pas des fausses ! affirma Serge en se redressant. Elles sont pas fausses ! Mais j’vais t’expliquer. Tu sais pas c’qu’i fait ? Alors c’est pas difficile ! Il a une fausse figure !

— Quoi, dit Jonathan, comme un masque tu crois ?

— Oui, ben oui : une fausse figure forcément.

— Peut-être… En tout cas, c’est bien imité.

— Ouais tu parles c’est des vraies ! dit Serge, comme d’une évidence renommée. Ils les font drôlement bien tu comprends. Alors ils mettent leur fausse figure d’abord, et y a un trou dans la figure, dans la bouche, et ils cachent les lames dedans. C’est ça qu’i font.

— Je n’oserais pas, moi, dit Jonathan. Tu imagines, si on se trompe de trou. Derrière la fausse figure y a la vraie, la tienne. Si c’est pas le bon trou tu te coupes partout, t’as plus de langue, plus rien. C’est dangereux !

— Ouais, c’est dangereux, admit Serge. Mais c’est pas mal.


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