21 mars 1626 (Juan Garcia)

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Cet article intitulé 21 mars 1626, par Juan Garcia, a paru en décembre 1968 dans la revue homophile Arcadie.

Texte intégral

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21 MARS 1626

par Juan GARCIA.




21 mars 1626.

Qu’est-il arrivé ce jour-là ? Est-ce l’anniversaire d’une bataille ? la découverte d’une terre inconnue ? doit-on l’inscrire sur le calendrier au nombre des dates importantes dans l’histoire de l’humanité ?

Non. Le 21 mars 1626 fut un jour banal, un jour comme les autres. Sans doute faisait-il beau, puisque c’était le début du printemps. Un de ces matins de Madrid où l’air est doux et caressant.

Seulement, de cette matinée sans histoire et sans importance, une chronique de l’époque nous a transmis le fait-divers suivant : « On a brûlé deux jeunes garçons pour cause de péché abominable. L’un d’eux a hurlé tout au long du trajet jusqu’au bûcher. Toute la Cour en a été bouleversée » (1).

Comment ne pas frémir à cette lecture ? Comment ne pas sentir le cœur s’accélérer ? « Deux jeunes garçons ». Quel âge pouvaient-ils avoir ? De douze à quinze ans sans doute, puisqu’au-delà on aurait plutôt dit « des jeunes gens ». Alors, treize ans ? quatorze ? On les imagine avec des corps harmonieux, des visages gracieux, et de grands yeux verts assombris par la terreur et l’épouvante. Oui, comment ne pas éprouver un sentiment de rage et de douleur impuissante, comment ne pas sentir les larmes nous monter aux yeux à la pensée de cette cruauté inutile, qui, pour comble d’infamie, revêtait le masque de la religion ?

Aujourd’hui, en 1968, les pires ennemis de l’homosexualité voient en une telle exécution un crime, une folie, un fanatisme, un assassinat. Crime commis par des hommes graves et sérieux qui appliquaient, avec une foi rigide en son caractère éternel et immuable, ce qu’on appelait alors la « loi », ignorant que la loi doit être, comme toutes choses en ce monde, soumise à la raison, à l’intelligence, aux conditions de temps et de lieu. Aucun de ces hommes, à coup sûr, ne s’arrêtait à réfléchir sur la justice ou l’injustice de la loi. Aucun ne songeait que ces malheureux garçons s’étaient bornés à suivre les impulsions de leur nature et les élans de leur cœur. Aucun n’était frappé du fait que leur prétendu crime ne laissait ni sang ni victimes. Crime de caresses et de baisers ; crime, non de mort, mais de vie, car l’amour, quel qu’il soit, est foi et espérance.

Non, ces hommes sévères et graves ne savaient pas que ce qu’ils condamnaient est un acte qui fait partie de la nature créée par Dieu, et qui existe chez tous les peuples, dans toutes les races, à toutes les époques, sous toutes les religions.

Certes, ces pauvres garçons de treize ou quatorze ans ignoraient — eux qui, selon toute probabilité, ne savaient ni lire ni écrire — que, bien des siècles plus tôt, une loi religieuse avait parlé d’une ville nommée Sodome, où des anges en visite avaient failli être violés, et que, pour cette raison, Dieu l’avait condamnée à périr brûlée. S’ils avaient su lire la Bible, ils y auraient aussi appris que Dieu avait puni du même châtiment bien d’autres villes pour d’autres crimes, y compris celui d’avoir voulu faire le recensement des habitants ! Toutes ces condamnations avaient été oubliées au cours des siècles, — sauf celle de Sodome.

Puis vint Jésus-Christ, prêchant l’amour et la miséricorde. Mais beaucoup de ses disciples, eux, ne rêvaient que feu et vengeance, et c’était à cause d’eux qu’en cette matinée de mars, deux garçons mouraient dans les flammes sur une place de Madrid, les yeux pleins d’horreur et de mépris pour ces hommes qui parlaient de loi et de dogme et qui ignoraient le secret des cœurs et de la nature.

Quant à nous, nous ne pleurerons pas sur ces enfants — ce qui serait trop facile — mais sur les juges qui les assassinèrent en croyant faire œuvre agréable à Dieu. Nous pleurerons sur ces hommes qui furent contraints d’appliquer une loi injuste, et qui ne surent pas trouver en eux le secret de l’adoucir par la charité et la miséricorde. Ils étaient aveugles et ils ne virent point. Où qu’ils soient maintenant — au ciel, en enfer ou en purgatoire — ils savent que leur crime déguisé en justice fut inutile, car l’amour homosexuel continue et continuera toujours à exister parmi tous les autres amours. Les peuples les plus civilisés (ce qui ne signifie pas les plus forts militairement, ni les plus puissants économiquement) acceptent maintenant l’homosexualité, car ils se sont rendu compte que les questions sexuelles doivent être pensées et résolues par l’intelligence, et non par une loi datant de milliers d’années et issue d’un tout petit groupe humain.

Après tout, le 21 mars 1626 ne fut peut-être pas un jour si banal qu’il y paraît. Ce jour-là, l’amour homophile a compté deux martyrs de plus.


Juan GARCIA.



  1. José Deleito y Piñuela, La Mala vida en la España de Felipe IV.


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