Benoît IX

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Le jeune Théophylacte III de Tusculum (Teofilatto III dei Conti di Tuscolo), né à Rome entre 1012 et 1022, mort à Grottaferrata vers 1055, fut le 145e pape de l’Église catholique sous le nom de Benoît IX. Ce serait le plus jeune pontife de l’histoire, l’un des plus dissolus, le premier pape homosexuel avéré, le seul à être monté trois fois sur le trône de saint Pierre, et le seul également à avoir vendu la papauté !

Les comtes de Tusculum

Benoît IX était issu de la puissante famille sénatoriale romaine des Tusculani (d’après leur titre de comtes de Tusculum), qui donna dix papes à l’Église au cours des xe et XIe siècles : il y avait eu avant lui Serge III (pape de 904 à 911), Jean XI (de 931 à 936), Jean XII (pape à seize ou dix-huit ans, de 955 à 964), Jean XIII (de 965 à 972), Benoît VII (de 974 à 983), Benoît VIII (de 1012 à 1024), Jean XIX (de 1024 à 1033) ; après lui, il y aura encore Benoît X (son neveu, pape de 1058 à 1060) et Grégoire VII (de 1073 à 1085).

Fils d’Albéric III de Tusculum et de son épouse Ermelina, Théophylacte était également le neveu des papes Benoît VIII et de Jean XIX, frères de son père.

Élection

À la mort de son frère Jean XIX, Albéric de Tusculum refusa de lui succéder, sans doute parce qu’il préférait conserver le titre de « consul et duc des Romains », qui lui donnait les pouvoirs très étendus d’un préfet de la Ville. Mais afin que la papauté restât dans sa famille, il corrompit les électeurs pour obtenir la nomination de son jeune fils.

Élu le 21 octobre 1032, Théophylacte prit alors le nom de Benoît IX, et fut intronisé le 1er janvier suivant. Il aurait eu alors entre dix et douze ans.

Un enfant ?…

Le moine chroniqueur bourguignon Raoul le Glabre[1] raconte dans ses Histoires[2] :

Presertim, cum tunc in seculari potestate, tum etiam in ecclesiastica religione, totius regiminis persone constiterant in puerili etate ; propter peccata enim populi contigit tunc illud Salomonicum, quod ait : « Ve tibi terre. » Nam et ipse universalis papa Romanus, nepos scilicet duorum Benedicti atque Johannis, qui ei precesserant, puer ferme decennis, intercedente thesaurorum peccunia, electus extitit a Romanis, a quibus exinde frequenter ejectus ac inhoneste receptus, nulla potestate viguit. Car les personnes qu’on voyait alors à la tête des églises, comme à la tête des affaires, étaient toutes encore dans l’enfance. « Malheur à toi, ô terre » disait Salomon, parole terrible, dont les péchés des hommes avaient hâté l’accomplissement. Le pape de l’Église universelle lui-même, neveu des deux papes Benoît et Jean, ses prédécesseurs, avait à peine dix ans, lorsqu’il fut élu par les Romains, grâces à l’usage libéral qu’il fit de ses trésors. Son expulsion répétée, ses retours plus ignominieux encore, prouvent assez combien il avait peu de pouvoir.[3]


Dans le tome suivant, le même chroniqueur évoque une seconde fois Benoît IX :


Ipso quoque in tempore, Romana sedes que universalis jure habetur in orbe terrarum prefati morbi pestifere per viginti quinque annorum spacia miserrime laboraverat. Fuerat enim eidem sedi ordinatus quidam puer, circiter annorum XII, contra jus fasque, quem scilicet sola pecunia auri et argenti plus commendavit quam etas aut sanctitas, et quoniam infelicem habuit introitum, infeliciorem persensit exitum. Horrori est quippe referre turpitudo illius conversationis et vite. Tunc vero cum consensu totius Romani populi atque ex precepto imperatoris ejectus est a sede et in loco ejus subrogatus est vir religiosissimus ac sanctitate perspicuus Gregorius natione Romanus. Cujus videlicet bona fama quicquid prior fedaverat in melius reformavit. Dans le même temps, le siège de Rome, que l’on honore justement du titre d’universel dans le monde entier, était lui-même en proie à cette maladie contagieuse qui l’avait infecté depuis vingt-cinq ans. Au mépris de tous les droits, un enfant de 12 ans avait été nommé pour remplir cette place : et certes, ce n’était ni son âge respectable, ni la sainteté de sa vie, mais ses trésors et sa fortune, qui seuls lui avaient valu cette dignité. Aussi il descendit du Saint-Siège plus tristement encore qu’il n’y était monté. Je rougirais de raconter ici la honte de sa conduite, et l’infamie de ses mœurs. Quoi qu’il en soit, il fut chassé du pontificat par l’accord général du peuple romain, et par l’ordre de l’empereur, qui le remplaça par un homme d’une religion profonde, et d’une vertu remarquable: c’était Grégoire ; il était romain de nation. La sainteté de son nom eut bientôt réparé la honte de son prédécesseur.[4]


Certes, Raoul le Glabre n’est pas toujours fiable. Mais sa chronique fut écrite pendant le pontificat de Benoît IX, puisqu’il la fait aller jusqu’en 1044, année où le jeune pape abandonna la tiare pour la première fois, et qu’il mourut lui-même vers 1047, date de début du troisième pontificat. Il serait donc étonnant qu’il ait fait une erreur d’une dizaine d’années sur l’âge du pontife régnant.

On peut s’étonner qu’à quelques pages de distance, Raoul le Glabre donne au jeune pape, au moment de son accession, l’âge de dix ans (puer ferme decennis, « enfant d’à peu près dix ans »), puis de douze (puer circiter annorum XII, « enfant d’environ 12 ans »). Est-ce une correction de l’auteur lui-même, ou d’un copiste ultérieur ? (Grégoire VI, évoqué dans les dernières lignes, fut élu en 1045, donc au-delà de la date de 1044 que Raoul s’est donnée comme limite : il pourrait donc s’agir d’un ajout.) Mais dans un cas comme dans l’autre, c’est bien un enfant, et non un jeune homme.

Un biographe de Benoît IX l’appelle parvulum, c’est-à-dire « petit enfant ».[5] Luc de Grottaferrata dit simplement qu’il était jeune, νέος ὦν.[6] [7]

Dans Les premiers temps de l’état pontifical (1898, rééd. 1904), le chanoine Louis Duchesne donne plus de détails sur l’entourage de Benoît IX :

« Des trois fils du comte Grégoire, il ne restait plus que l’aîné, le comte Albéric. Celui-ci ne jugea pas à propos de ceindre lui-même la tiare. Il avait quatre fils[8] : à l’un d’eux, Grégoire, il fit prendre le gouvernement temporel, sous le titre de consul Romanorum ; un autre, appelé Théophylacte, comme l’ancêtre lointain, et aussi comme Benoît VIII, fut désigné pour succéder à ses deux oncles sur le siège pontifical ; il prit le nom de Benoît IX. C’était un enfant de douze ans. Les princes allemands, qui, par les comtes de Tusculum, présidaient en fait aux destinées du Saint-Siège et de l’état romain, n’eurent aucune répugnance à cette transmission héréditaire de la chaire apostolique. Ils avaient admis Jean XIX, un laïque, mais enfin un homme fait ; ils souffrirent Benoît IX, un gamin, qui ne demeura pas longtemps inoffensif.
En effet, l’âge venu, et il vint vite, Benoît IX fit refleurir au Latran le régime de cocagne auquel son parent Jean XII avait présidé quatre-vingts ans auparavant, Conrad II, qui savait jouer de cette marionnette pontificale, le supporta, le combla même de prévenances.[9]
»

… ou un jeune homme ?

D’autres pensent au contraire que Benoît IX avait aux environs de vingt ans au moment de son accession au trône de saint Pierre. Par exemple, l’article Benoît IX de la Wikipédia française, consulté le 1er mars 2012, propose le raisonnement suivant contre l’âge de douze ans :

« L’affirmation est acceptée par Mgr Duchesne mais est mise en doute par la plupart des historiens contemporains : les mœurs dont l’accusent les chroniqueurs ultérieurs supposent qu’il a au moins atteint la puberté.[10] »

C’est supposer, d’une part, qu’on ne peut pas être pubère à douze ans – ce qui est faux ; et d’autre part, qu’il est nécessaire d’être pubère pour être sexuellement très actif ! En outre, si Benoît IX mena une vie débridée, rien ne dit que ce fut dès son accession au pontificat.

Les motifs d’un pontificat si précoce

Le choix de Théophylacte pour la papauté s’est sans doute imposé à Albéric, malgré le très jeune âge de son fils, simplement parce qu’il n’y avait aucun autre candidat possible dans la famille. En effet, Albéric était le seul survivant de sa génération (la précédente ayant complètement disparu), et seuls ses cinq fils représentaient la génération suivante. Si Théophylacte était le cadet, ses frères Grégoire, Pierre, Octave et Guy étaient peut-être déjà mariés, ou peu enclins à devenir pape ; ou peut-être certains, au contraire, étaient-ils encore en bas âge : il faut se limiter à des suppositions, les dates de naissance et l’ordre exact de la fratrie étant inconnus.

Enfin, comme le laisse entendre Louis Duchesne, l’immaturité de Benoît IX arrangeait probablement ceux qui souhaitaient contrôler la politique du Saint Siège – qu’il s’agisse de son père Albéric ou de l’empereur romain germanique Conrad II.[11]

Sexualité

Benoît IX est le premier pape dont on sait qu’il fut fondamentalement homosexuel. Il mena une vie extrêmement dissolue, et semble avoir été l’un des papes les plus débauchés. Saint Pierre Damien (vers 1007 – 1072), qui l’avait connu, le décrivit ensuite comme « festoyant dans l’immoralité ».[12] Il aurait organisé des orgies au palais du Latran, où il pratiqua même la zoophilie.

Il fut également accusé par Benno, évêque de Plaisance, de s’être rendu coupable de « nombreux vils adultères et meurtres ».[13] Le pape Victor III (régnant de 1086 à 1087), dans son troisième livre de Dialogues, fait allusion à « ses viols, meurtres et autres actes indicibles », ajoutant : « Sa vie en tant que pape fut si vile, si répugnante, si exécrable, que je frémis rien que d’y penser ».[14]

L’historien anticlérical Ferdinand Gregorovius (1821 – 1891) est d’avis qu’avec lui « un démon de l’enfer sous les apparences d’un prêtre […] occupa le siège de Pierre et profana les saints mystères de la religion par l’insolence de son comportement ».[15] La Catholic Encyclopedia le traite de « disgrâce pour le Siège de Pierre ».[16]

Dans son essai L’enfant Amour, Roger Peyrefitte l’évoque brièvement : « Plus tard, nous trouvons un pape enfant, Benoît IX, qui ceignit la tiare à douze ans et renouvela les mœurs des jeunes Césars ».[17]

Curieusement, John Boswell ne le mentionne même pas dans son traité Christianisme, tolérance sociale et homosexualité (Christianity, social tolerance, and homosexuality, 1980), alors qu’il traite abondamment de Pierre Damien et du Liber Gomorrhianus.

En 2002, l’écrivain italien Renzo Rosso publia Il trono della Bestia. Ce roman relate la vie de Benoît IX, montrant qu’il incarnait les problèmes et les contradictions de l’Église catholique à l’une des époques les plus difficiles de son histoire.

Il est probable que Benoît IX ne fut pas exclusivement homosexuel, puisqu’il tenta de se marier. [à compléter]

Triple pontificat

On dit souvent que Benoît IX fut l’un des papes les plus incompétents. Le bilan de son pontificat est pourtant loin d’être négatif : [à compléter]

Voir aussi

Bibliographie

  • Amann, Émile, Dumas, Auguste. Histoire de l’Église : depuis les origines jusqu’à nos jours. 7, L’Église au pouvoir des laïques (888-1057). – Bloud et Gay, 1942. (p. 89-98)
  • Fletcher, Lynne Yamaguchi, ed. The first gay pope ; and Other records. – Boston : Alyson Publications, 1992. ISBN 1555832067
  • Mathis, Agostino. « Il pontefice Benedetto IX : appunti critici di storia medievale », in La Civiltà cattolica, n° 66, p. 549-571. – 1915.
  • Messina, Salvatore. Benedetto IX, pontefice romano, 1032–1048 : studio critico. – Catania : La Stampa, 1922.

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Rodulfus Glaber ou Raoul le Glabre (985 – après 1047), dont on ne sait s’il devait ce surnom au fait d’être chauve ou sans barbe, entra lui-même très jeune au monastère :
    « Il avait à peine douze ans quand son oncle, un moine, désireux de l’enlever aux vains plaisirs du monde, qu’il recherchait avec une ardeur non commune, le fit entrer au monastère de Saint-Léger-de-Champeaux. Il conserva dans le cloître les goûts du siècle qu’il avait quitté malgré lui. L’irrégularité de sa conduite devint pour les religieux un sujet de scandale. Les remontrances des vieillards ne pouvaient vaincre son humeur indisciplinée. »
    Raoul Glaber : les cinq livres de ses histoires (900-1044), publiés par Maurice Prou, Paris, Alphonse Picard, 1886 (Collection de textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’histoire), p. V.
  2. Historiarum libri quinque ab anno incarnationis DCCCC usque ad annum MXLIV (Cinq livres d’histoires depuis l’an 900 après l’Incarnation jusqu’en l’an 1044).
  3. Histoires, IV, 5, in Raoul Glaber : les cinq livres de ses histoires (900-1044), publiés par Maurice Prou, op. cit., p. 105-106. Autre édition, dont le texte latin est quasiment identique à celui de Prou, mais dans une orthographe plus classique : Guizot, Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France : depuis la fondation de la monarchie française jusqu’au 13e siècle avec une introduction des supplémens, des notices et des notes, Paris, J.-L.-J. Brière, 1824. Texte latin et traduction sur le site de Philippe Remacle.
  4. Raoul Glaber : les cinq livres de ses histoires (900-1044), publiés par Maurice Prou, op. cit., p. 134-135. Texte latin et traduction sur le site de Philippe Remacle.
  5. Annalecta Bollandiana, t. XXV, 1906, p. 275.
  6. P. G., CXXVII, 484.
  7. Histoire de l’Église : depuis les origines jusqu’à nos jours. 7, L’Église au pouvoir des laïques (888-1057) / Émile Amann et Auguste Dumas, Bloud et Gay, 1942, p. 90, note 1 (contient des erreurs).
  8. Albéric engendra en réalité cinq fils : outre Théophylacte, il y eut l’aîné Grégoire II (mort en 1058), Pierre (consul, dux et senator Romanorum), Octave, et Guy (père du futur pape ou anti-pape Benoît X, et grand-père de Grégoire VII).
  9. L. Duchesne, Les premiers temps de l’état pontifical, 2e éd., Paris, Albert Fontemoing, 1904, p. 376-377.
  10. On notera que cette considération a été ajoutée sur Wikipédia le 13 décembre 2011 par la collaboratrice Jastrow, historienne qu’on ne peut soupçonner d’ignorer la sexualité juvénile, puisqu’elle a contribué à plusieurs articles traitant de pédérastie. Mais peut-être sa féminité l’a-t-elle conduite à mal apprécier le développement physique et psychologique possible chez un garçon de douze ans.
  11. Conrad II le Salique, né vers 990 et mort le 4 juin 1039, élu roi de Germanie et roi des Romains en 1024, couronné empereur romain germanique le 26 mars 1027 à Rome.
  12. Dans le Liber Gomorrhianus, écrit vers 1051 et adressé au pape Léon IX (régnant de 1049 à 1054). Pierre Damien y traitait avec sévérité des vices du clergé, et en particulier de l’homosexualité et de la pédérastie.
  13. « Hac occasione Theophylatus, neque Deum timens neque hominem reveritus, qui cata antifrasin vocabatur Benedictus, post multa turpia adulteria et homicidia manibus suis perpetrata postremo […] » (Bonizonis episcopi Sutriensis, Liber ad amicum, in Ernst Ludwig Dümmler (éd.), Monumenta Germaniae Historica, Libelli de lite, I, Hannover, Deutsches Institut für Erforschung des Mittelalters, 1891, p. 584.
  14. « Cuius quidem post adeptum sacerdotium vita quam turpis, quam foeda, quamque execranda extiterit, horresco referre » (Victor III , Dialogi de miraculis Sancti Benedicti Liber Tertius, auctore Desiderio abbate Casinensis, in Monumenta Germaniae Historica, Libelli de lite, Hannover, Deutsches Institut für Erforschung des Mittelalters, 1934, p. 1141).
  15. Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter, 1859-1872, livre VII, chapitre II, 1.
  16. « He was a disgrace to the Chair of Peter. » (« Pope Benedict IX », in Catholic Encyclopedia, New York, Robert Appleton Company, 1913).
  17. Roger Peyrefitte, L’enfant Amour, [Paris], Flammarion, 1969, p. 39.