Grossesse pédérastique

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Le fantasme d’une grossesse pédérastique, par laquelle un garçon deviendrait « enceint » à la suite d’actes sexuels avec un homme, apparaît surtout à partir du XVIIIe siècle.

Souvent traitée sur le mode humoristique, cette croyance peut néanmoins s’expliquer par une très ancienne conception du processus reproductif, selon laquelle l’enfant serait entièrement formé à partir de la « semence » virile, la femme n’étant que le terreau nourricier du fœtus. Avec une telle méconnaissance de la réalité biologique, il n’était pas absurde de penser que le sperme d’un homme pourrait se développer dans le corps d’un autre homme ou d’un garçon, même si le « vase » n’était pas celui prévu pour cet usage.

Cette vision erronée est également à l’origine de la condamnation de la masturbation par les religions monothéistes : car si l’enfant était déjà contenu tout entier dans le sperme, dilapider celui-ci serait l’équivalent moral d’un avortement.


Contes en vers de la fin du XVIIIe siècle

Il existe en français au moins trois poèmes montrant un écolier qui craint d’avoir été engrossé par ses professeurs. Publiés sur une courte période — de 1787 à 1800 — ils semblent se copier l’un l’autre, tout en développant des circonstances relativement variées.

L’épigramme XXI de Piron

Le premier texte sur ce thème est une épigramme d’à peine dix vers, par Alexis Piron, parue sous le numéro XXI dans ses Poésies diverses de 1787 :



XXI.

Le médecin d’un écolier malade

Recommanda qu’on gardât de son eau.

On en serra ; mais la garde maussade,[1]

L’ayant fait cheoir à son propre tonneau

Vîte en retire & remplit le vaisseau.

Le docteur vient, & dit : ce sont eaux claires

De femme grosse ; on ne m’y trompe gueres.

La garde rit, le docteur se défend.

Lors l’écolier : je l’ai bien dit aux peres,

Qu’ils me feroient tôt ou tard un enfant.[2]



Dans Notre amour, Peyrefitte reproduit de façon très approximative trois vers de ce poème :[3]

«

Une épigramme de Piron cite le mot d’un écolier qui a eu affaire à un maître aussi peu retenu. Ce garçon est malade et le médecin ordonne d’en conserver les urines, mais la servante l’oublie et y supplée par ses propres moyens.

Ce sont eaux de femme grosse !

s’écrie l’Esculape et l’écolier, du fond de son lit :

Je le disais bien au père
Qu’il me ferait un enfant.
»


Par cette citation défectueuse, Peyrefitte atténue fortement l’audace du texte de Piron, et en casse pour ainsi dire la pointe : mettre les « pères » au singulier, c’est vouloir ignorer que le garçon a été aimé par plusieurs prêtres ; et la suppression de « tôt ou tard » pourrait même laisser entendre qu’il n’y a eu qu’un seul acte.

Le médecin aux urines de l’abbé Bretin

L’abbé Claude Bretin (né vers 1728, mort le 15 juin 1807), fut aumônier de Monsieur, frère du roi Louis XVI et futur Louis XVIII. Outre Contes en vers et quelques pièces fugitives, publié en 1797, il est l’auteur de plusieurs poésies éparses dans divers recueils.[4]

Son récit, comparable à celui de Piron mais nettement plus étoffé (37 vers), est publié dix ans plus tard :



LE MÉDECIN AUX URINES.

   Un écolier, d’assez joli minois,

      Étoit au lit pour maladie.

      Pour sa garde on avoit fait choix

      De dame Alix, franche étourdie,

Veuve depuis deux ans, grosse depuis six mois.

   Chaque matin, au jeune prosélite,

   Son professeur alloit rendre visite.

   Le médecin auquel on eut recours,

Fut ce docteur fameux dans l’art où l’on devine.

      Sans s’amuser en vains discours :

Du malade, dit-il, que l’on garde l’urine,

Et demain nous verrons. Ainsi dit, ainsi fait.

Le lendemain, Alix, d’un naturel distrait,

   Met en oubli les ordres de la veille,

      Et par esprit de propreté,

   Son premier soin, sitôt qu’elle s’éveille,

Fut de jetter cette eau, de rincer la bouteille.

Enchaînant sur ses pas la vie et la santé,

Arrive le docteur ; d’un air de gravité,

Il demande l’urine. Alix est bien surprise,

   Et reconnoît, mais trop tard, sa sottise.

      Que faire hélas ! pour la cacher !

— Voyons l’urine, Alix, allez donc la chercher.

Elle y court en tremblant. Enfin, payant d’audace,

   Elle apporta de la sienne à la place.

Le docteur l’examine, y regarde à deux fois,

Et d’un ton d’assurance, il prononce et s’étonne.[5]

   Mon art, dit-il, m’apprend que la personne

      Doit accoucher dans quelques mois.

A ces mots, l’écolier, pour qui tout est mystère,

      Tourne les yeux vers son régent :[6]

      Je vous le disois bien, mon père,

      Que vous me feriez un enfant.

   Dans tous les points, cette histoire est étrange.

Je plains fort l’écolier, je hais le professeur ;

Mais c’est en vain qu’on cherche à tromper un docteur.

Ces messieurs, comme on voit, ne prennent pas le change.[7]



Ce poème sera réédité à Paris en 1894, dans le sixième volume de l’anthologie libertine Les conteurs galants des xviie et xviiie siècles.[8]

L’abbé Bretin est le seul auteur à mentionner explicitement la beauté du jeune garçon. En outre, il modifie de manière importante le récit de Piron, puisque l’écolier n’est plus sodomisé que par un seul de ses professeurs.

C’est également la seule des trois versions qui comporte une conclusion moralisatrice. Mais cette réprobation finale, comme souvent, pourrait être une forme de tartufferie. En effet, parmi les œuvrettes de l’abbé Bretin, on en trouve plusieurs qui évoquent le charme et l’ignorance d’adolescents des deux sexes, par exemple « Les jeux d’enfants »[9]. « Le coucher de la mariée »[10] va plus loin : il met en scène un jeune marié qui se trompe de personne, et tente de déflorer, le soir des noces, non son épouse mais le frère de celle-ci :

Toinette étoit charmante, et cette belle
Avoit un frère aussi beau qu'elle,
Ce jouvenceau, sous l'habit de sa sœur,
Eût trompé des plus fins et les yeux et le cœur.


Deux autres contes de l’abbé Bretin rappellent des thèmes du « Médecin aux urines » : « Grossière vengeance d’un cocu »,[11] où le voisin du curé lui donne à boire l’urine de sa femme, pour le punir d’avoir couché avec elle ; et « La métamorphose »,[12] qui montre une fille de quinze ans persuadée de devenir un garçon, parce que du poil lui pousse quelque part…

Le conte « Le capucin »[13] est le seul où l’abbé Bretin aborde à nouveau le thème pédérastique, et même homosexuel : il y met en scène, sous le nom de Jean Vério, l’abbé Jean Verjus (1630-1663), qui selon lui aimait autant les garçons que les femmes, et viola même un père capucin.

Opinion de Roger Peyrefitte

À un jeune correspondant qui lui parlait de ce poème début 1967, avant la parution de Notre amour, Roger Peyrefitte répondit en confondant avec celui de Piron :

« Tu me parles d’une épigramme : “Le médecin aux urines”. Si c’est bien celle à laquelle je pense, j’y fais allusion dans “Notre amour”. »[14]

Quelques mois plus tard, ayant reçu le texte intégral de l’abbé Bretin, il se montrait bien sévère à l’égard de cette version :

« Les vers de ton abbé Bertin [sic] diluent fadement l’épigramme de Piron. »[15]

Les découvertes de Vasselier

Le troisième poème traitant de ce sujet, publié trois ans plus tard, a pour auteur Joseph Vasselier (1735-1798). Né à Rocroy, ville de garnison, puis établi à Lyon, la biographie de cet employé des postes affirme que « dès son enfance […] des soldats furent ses premiers maîtres : son amabilité, sa douceur, le leur avaient rendu cher ».[16]

Cette pièce de 23 vers figure dans les Contes publiés à Londres en 1800, mais non dans la section « Contes choisis » des Poésies imprimées à Paris la même année.



LES DÉCOUVERTES.

   Un héritier, de l’âge de treize ans,

   Petit prodige aux yeux de ses parens,

Argumentait déjà, sous le père Hypolite,

                        En jésuite.

L’écolier eut la fièvre. Et vîte un médecin.

          — Qu’on me garde de son urine,

          Dit le docteur à Mathurine ;

          Je reviendrai demain matin.

La soubrette, en riant de la grave ordonnance,

          Voulut éprouver sa science,

          Et pissa dans un gobelet.

Arrive le docteur, il cause avec Madame.

— Madame a des vapeurs ? Prenez le petit-lait.

Voyons l’urine ; ho ! ho ! c’est celle d’une femme,

            Et femme enceinte, qui pis est.

Mathurine rougit. — Le vase était-il net ?

Poursuit le médecin en fixant la pisseuse,

   Qui répond oui, puis, fuit toute honteuse.

L’homme docte soutient qu’il est sûr de son fait.

Cependant l’écolier soupire, se tourmente :

          On l’interroge ; il se lamente.

Hélas ! je savais bien, dit-il, que mon régent,[6]

Avec son fichu jeu, me ferait un enfant.[17]



Vasselier apporte plusieurs innovations aux textes antérieurs : il précise que l’écolier a treize ans ; la servante ne fait pas une erreur, mais elle veut mettre le médecin à l’épreuve ; enfin, les parents du garçon apparaissent, en particulier sa mère.

Dans la bouche d’un petit bourgeois de la fin du xviiie siècle, « fichu » est assez audacieux, presque inconvenant. Ce synonyme de « foutu », qui veut dire aussi « sodomisé », semble un clin d’œil de l’auteur.

Lettres amoureuses d’un frère à son élève

Dans le roman du XIXe siècle Lettres amoureuses d’un frère à son élève, le billet V adressé par le frère Joseph au jeune Marius (en novembre ou décembre 1869) évoque une idée semblable venue à l’esprit du garçon :



V

J’en rirai, je crois, toute ma vie !… Au moment le plus solennel, me lancer une pareille pétarade : « Hein !… si tu allais me faire un enfant !… »

Diabolique lutin !… mon ventre s’en déboutonne encore… Je voudrais, comme Don Quichotte, le vieux de la Manche, l’amant de la Dulcinée, pouvoir me donner des coups de talon dans le derrière !… Sais-tu que le nôtre en est resté sur le carreau, tout décontenancé !… Démon, va !

Tout de même, cette ébouriffante exclamation a jeté de drôles d’idées dans ma cervelle !… Joseph et Marie… !… L’opération du Saint-Esprit !… le petit Jésus !… Tout ce mystère de l’incarnation !…

Pourtant, si c’était possible !… Hein !… Ton enfant qui serait le mien !… Dis-moi, Marius, comme il serait beau, notre enfant !…

Ah ! çà !… est-ce que le vent qui souffle à travers le pigeonnier va me rendre fou ?…



Dans sa version « toilettée » des Lettres (Quintes-feuilles, 2006), Jean-Claude Féray supprime totalement le texte de ce billet V, pour le remplacer par les épigrammes de Vasselier et de Piron.[18]

La Nunziatella de Naples

Dans L’exilé de Capri, Roger Peyrefitte fait parler le prince de Candriano, lors d’une promenade dans Naples avec Jacques d’Adelswärd-Fersen :

« Le prince désigna, sur les hauteurs de Pizzofalcone, les murs rouges et gris de la Nunziatella.
« Voilà, dit-il, la bonne maison par où nous sommes tous passés : l’ancien noviciat des jésuites, devenu collège militaire pour la jeunesse bien née. Or, vous savez que l’hôpital des enfants trouvés s’appelle L’annunziata. C’est ce qui a produit un vilain calembour, populaire à Naples : « Si les garçons pouvaient accoucher, la Nunziatella serait l’Annunziata. »[19]
»

Anecdote bourguignonne

Dans les années 1970, François B***, professeur de lettres classiques et grand dragueur de garçons, racontait volontiers une aventure qui lui était arrivée près d’Avallon. Ayant rencontré un jeune adolescent complaisant, il s’isola avec lui pour faire ce dont ils avaient envie l’un et l’autre. Au retour, le garçon, mi-goguenard mi-inquiet, lui posa cette question — qui prend tout son sel avec l’accent bourguignon :

— J’ vas pas tomber enceintre ?! Par où qu’i’ sortirait, l’ petiot ?…

Croyances primitives

[à compléter]

Voir aussi

Bibliographie

  • Bretin, abbé Claude. Contes en vers et quelques pièces fugitives. – Paris : Gueffier jeune ; Knapen fils, 1797 (an V). – [2]-231 p., 4 f. de pl. par Louis Legrand ; in-8.
  • Les conteurs galants des xviie et xviiie siècles / ornés de 149 gravures en taille-douce par Duplessis-Bertaux. – Paris : A. Le Vasseur, 1894 (Évreux : impr. de Charles Hérissey). – 6 vols. : grav. ; in-16.
Le 6e volume, intitulé Le fond du sac : recueil de contes en vers. T. second, 198 p., contient entre autres les « Contes de l’abbé Bretin » (p. 103-193).
  • Les lettres amoureuses d’un frère à son élève : revues et toilettées / présentation [et réécriture] [Jean-Claude Féray]. – Paris : Quintes-feuilles, 2006 (Le Mesnil-sur-l’Estrée : Impr. Nouv. Firmin Didot, juin 2006). – 146 p. : ill., couv. ill. en coul. ; 23 × 14 cm. (fr)
    Cette édition ne comporte pas le texte original des Lettres amoureuses d’un frère à son élève, mais une version « revue et toilettée ». En annexe, la “confession d’un pédéraste” publiée par Tardieu et reprise par Léo Taxil dans sa réédition, p. 139-141. – ISBN 2-9516023-7-5 (broché)
  • Piron, Alexis. Poésies diverses. – Londres : Impr. de William Jackson, 1787.
  • Vasselier, Joseph. Contes. – Londres, 1800.

Articles connexes

Notes et références

  1. L’édition de 2006 des Lettres amoureuses d’un frère à son élève, qui ajoute ce texte, corrige en « garde-malade ». Mais cette modification n’est pas nécessaire, « maussade » pouvant montrer la mauvaise humeur ou même la mauvaise volonté de la servante.
    En outre, il serait contraire à toutes les règles de faire rimer un mot avec lui-même : on ne peut soupçonner Alexis Piron d’une telle faute de goût.
  2. Poésies diverses d’Alexis Piron, Londres, Impr. de William Jackson, 1787, p. 82. Comme pour les citations suivantes, on a conservé l’orthographe, la ponctuation et la typographie d’origine.
  3. Notre amour, Paris, Flammarion, 1967, p. 134.
  4. « Claude Bretin », in Bibliographie universelle ancienne et moderne…, T. 5, p. 494, Paris, A. Thoisnier Desplaces, 1843.
  5. On corrige ici la coquille « m’étonne », qui n’a pas de sens dans le contexte.
  6. 6,0 et 6,1 régent : professeur, chez les jésuites.
  7. Contes en vers et quelques pièces fugitives, Paris, Gueffier jeune, Knapen fils, 1797, p. 206-207.
  8. Le fond du sac : recueil de contes en vers. T. second, Paris, A. Le Vasseur, 1894, p. 183-184.
  9. Contes en vers et quelques pièces fugitives, Paris, Gueffier jeune, Knapen fils, 1797, p. 247-248.
    Le fond du sac : recueil de contes en vers. T. second, Paris, A. Le Vasseur, 1894, p. 169-170.
  10. Contes en vers et quelques pièces fugitives, Paris, Gueffier jeune, Knapen fils, 1797, p. 42-43.
    Le fond du sac : recueil de contes en vers. T. second, Paris, A. Le Vasseur, 1894, p. 173-175.
  11. Contes en vers et quelques pièces fugitives, Paris, Gueffier jeune, Knapen fils, 1797, p. 215-216.
    Le fond du sac : recueil de contes en vers. T. second, Paris, A. Le Vasseur, 1894, p. 185-186.
  12. Contes en vers et quelques pièces fugitives, Paris, Gueffier jeune, Knapen fils, 1797, p. 102-103.
    Le fond du sac : recueil de contes en vers. T. second, Paris, A. Le Vasseur, 1894, p. 191-193.
  13. Contes en vers et quelques pièces fugitives, Paris, Gueffier jeune, Knapen fils, 1797, p. 233-237.
  14. Roger Peyrefitte, lettre inédite, 24 février 1967.
  15. Roger Peyrefitte, lettre inédite, 5 mai 1967.
  16. Poésies de Vasselier, Paris, Louis, 1800, p. v-vi.
  17. Contes de Vasselier, Londres, 1800, p. 54-55.
  18. Les lettres amoureuses d’un frère à son élève, Paris, Quintes-feuilles, 2006, p. 86.
  19. Roger Peyrefitte, L’exilé de Capri, Paris, Le Livre de Poche (Le livre de poche), 1974, deuxième partie, chap. XVII, p. 193.