Le procurateur de Judée (Michel Mayer)

De BoyWiki

Ce récit intitulé Le procurateur de Judée, inspiré d’Anatole France et suivi d’une étude exégétique par Michel Mayer, a paru en 1965 dans la revue homophile Arcadie.

Texte intégral

Ce texte historique est protégé contre les modifications.
Il est possible que ce document ne soit pas libre de droits …Si vous possédez des droits sur ce document
et si vous pensez qu’ils ne sont pas respectés,
veuillez le faire savoir à la direction de BoyWiki,
qui mettra fin dès que possible à tout abus avéré.




LE PROCURATEUR DE JUDÉE


(Suite — à la manière d’Anatole France)


par Michel MAYER.



Qu’en sa puissance elle le consacre !
C’est au fils de Dieu que je la donne.
Que le bon France me pardonne
Cette perle tombée dans son étui de nacre.


Le premier chapitre de L’étui de nacre d’Anatole France s’intitule « Le procurateur de Judée ».

L. Ælius Lamia, qui fit de longs séjours à Antioche, à Césarée, à Jérusalem, rencontre aux eaux de Baies, lors d’une promenade au cap Misène, Pontius Pilatus, l’ancien procurateur de Judée. Heureux de se retrouver après de longues années, ils se souviennent ensemble de l’époque où ils étaient en Syrie, l’un, préoccupé par une administration difficile, l’autre, désœuvré dans un exil aventureux ; ce qui ne les empêcha pas de se fréquenter ni même de s’estimer.

Pontius Pilatus invite Lamia à dîner dans sa villa sur la mer. « Nous causerons à la Judée », dit-il.

Et le lendemain, à table, les deux amis poursuivent leur dialogue de la veille, échangeant leurs bons et leurs mauvais souvenirs…

« Mais l’exilé de Tibère n’écoutait plus le vieux magistrat. Ayant vidé sa coupe de Falerne, il souriait à quelque image invisible. Après un moment de silence, il reprit d’une voix très basse, qui s’éleva peu à peu :

« — Elles dansent avec tant de langueur, les femmes de Syrie ! J’ai connu une Juive de Jérusalem qui, dans un bouge, à la lueur d’une petite lampe fumeuse, sur un méchant tapis, dansait en élevant ses bras pour choquer ses cymbales… […] J’aimais ses danses barbares, son chant un peu rauque et pourtant si doux, son odeur d’encens, le demi-sommeil dans lequel elle semblait vivre. Je la suivais partout. Je me mêlais au monde vil de soldats, de bateleurs et de publicains dont elle était entourée. Elle disparut un jour et je ne la revis plus. Je la cherchai longtemps dans les ruelles suspectes et dans les tavernes. On avait plus de peine à se déshabituer d’elle que du vin grec. Après quelques mois que je l’avais perdue, j’appris, par hasard, qu’elle s’était jointe à une petite troupe d’hommes et de femmes qui (suivaient) un jeune thaumaturge galiléen. Il se faisait appeler Jésus le Nazaréen, et il fut mis en croix pour je ne sais quel crime. Pontius, te souvient-il de cet homme ?

« Pontius Pilatus fronça les sourcils et porta la main à son front comme quelqu’un qui cherche dans sa mémoire. Puis, après quelques instants de silence :

« — Jésus ? murmura-t-il, Jésus le Nazaréen ? Je ne me rappelle pas.

(Ici s’arrête Anatole France.)


— Tu l’as pourtant vu de très près, car il a sans doute comparu au Prétoire, devant ton tribunal. Pour ma part, je ne l’aperçus qu’une seule fois, d’assez loin, à Capharnaüm. Il était entouré d’une foule nombreuse.

— Les cités étaient infestées de ces prédicateurs, de ces prophètes délirants, reprit Pilatus. Ils entraînaient les foules un moment, mais les prêtres et les scribes en prenaient vite ombrage. Et moi, procurateur de Rome, ne devais-je pas protection au Sanhédrin, à ces sadducéens, qui détenaient officiellement la loi de Moïse ?

— Ce que tu dis est juste. On racontait bien que ce Jésus faisait des choses assez spectaculaires ; qu’il avait, sans doute par magie, certains pouvoirs sur les maladies les plus graves, qu’il chassait les mauvais esprits de ceux qu’ils habitaient. On a même dit qu’il redonna la vie à un mort, déjà enseveli depuis plusieurs jours. Beaucoup de Juifs s’émerveillaient de cela ; beaucoup d’autres restaient prudents, car je me souviens d’avoir entendu dire, à l’époque, qu’il allait parfois à l’encontre de leur loi et de leur tradition. Il allait surtout à l’encontre de leur rancœur. Ne murmurait-on pas qu’il ne nous haïssait point, nous Romains ?

— Et j’aurais donc laissé condamner le seul Juif qui acceptât le règne de César ? Je veux dire, n’en déplaise à la mémoire d’Agrippa, le seul qui l’eût accepté sans contrepartie, sans même intérêts ? Mon cher Ælius Lamia, ou tu veux me donner des remords, ou tu as piètre estime, toi aussi, de ma procuratie de jadis, en Judée. Non, vois-tu, aucun Romain ne m’a parlé de cet homme. Tu es le premier à le faire, et cela, après combien d’années ? Moi-même, je ne me souviens plus de lui. Et toi, de quoi te souviens-tu ? D’une silhouette entrevue de loin ? Un viveur tel que toi aurait-il d’autres souvenirs que ses souvenirs de débauche ?

— Il y a temps pour tout — disaient les anciens. Dans ce temps là, je fréquentais des officiers de la garnison et sais-tu, Pontius Pilatus, qu’à Capharnaüm, certains d’entre eux, du moins ceux qui entendaient l’araméen, se glissaient parmi les Juifs pour écouter ce Jésus. Était-ce plaisir gratuit ou pose de colons à se mêler ainsi aux indigènes pour apprécier leurs coutumes et parfois même les adopter ? Toi-même, n’acceptais-tu pas, toujours de bonne grâce, l’hospitalité royale du tétrarque ?

— Oh, certes ! Hérode Antipas, mon adversaire personnel, était un hôte exquis. Depuis quelque vieille histoire de famille, il avait appris à ne pas mêler les affaires aux plaisirs. Lorsqu’il venait à Jérusalem, c’est en grand appareil qu’il conviait le procurateur. On savait ce qu’il devait à Rome ; il avait le charme, n’en parlant jamais, de ne pas l’oublier. Mais que se passait-il donc à Capharnaüm ? Continue, mon cher Ælius ; à la table d’Hérode, il ne se passait rien.

— Parmi ces officiers, il y avait un certain Manlius — je crois, ou plutôt… non, c’était bien Manlius, un centenier, originaire de Cappadoce et valeureux soldat, décoré, tout jeune encore, de plusieurs phalères et d’une couronne vallaire par Germanicus en personne. Il parlait assez peu. Aussi l’affaire qui lui arriva, je ne la tiens pas de lui, mais d’un de ses lieutenants qui la conta au cours d’un banquet. Elle m’avait beaucoup frappé alors, puis je l’oubliai. Mais puisque notre conversation est venue sur cet homme de Judée, laisse-moi te conter à mon tour cette histoire comme j’espère me la rappeler ; elle illustre assez bien, je crois, ce que je te disais il y a quelques instants.

D’un geste large, Pontius Pilatus invita son hôte à poursuivre.

— Sache d’abord que ce centenier, je le rencontrais peu chez les courtisanes ; il s’adonnait aux mœurs grecques. Tu sais combien les disciplines, dont la Grèce a entouré l’attachement d’un homme pour un jeune garçon, ne sont souvent pour nous que simagrées hypocrites ; car si nous, Romains, faisons toujours la part du plaisir, il faut bien reconnaître que nous n’entendons rien à cette sorte d’amour.

Eh bien, lui, à ce qu’il paraissait, s’y entendait fort bien. Il avait ramené d’un séjour en Bithynie un garçon d’une quinzaine d’années et d’une incomparable beauté. Point n’est besoin de te décrire ce teint de miel et l’éclat doré qu’il donne à des formes parfaites, privilège de cette race, belle entre toutes. Lorsque je vis ce garçon, je fus conquis par sa grâce et sa jeune douceur ; je n’ai jamais connu semblable inclination car j’ai toujours préféré le commerce plus facile des femmes, mais j’enviai, à cet instant, celui qui méritait de telles faveurs d’Éros.

Or un jour, par une forte chaleur, peut-être à l’issue d’une baignade dans quelque eau dangereuse, l’enfant fut pris de fièvre et comme paralysé.

L’amant devint fou de douleur. Ce brave Manlius gémissait, pleurait, à fendre le cœur le plus endurci. C’était grande pitié de voir ce soldat, qui, ayant si souvent affronté la mort, ne pouvait supporter sans faiblesse le trépas de son petit. Il fit venir au chevet du garçon plusieurs médecins, qui, ne comprenant rien, prescrivirent des absurdités. Un seul, digne d’Hippocrate, confessa son impuissance et révéla que l’enfant allait mourir. Le mal était connu ; il était sans remède. Il ne restait plus qu’à se tourner vers les dieux ; la maladie progressait vite et la mort approchait.

Fait étrange — Manlius aussitôt se calma. Il revêtit sa tunique écarlate et ses cuirs étincelants comme pour la parade, donna l’ordre qu’on ne sellât point son cheval et partit à pied, d’une allure décidée, comme s’il allait très vite vers la seule source de son salut. On le vit se diriger vers une des portes de la ville. C’est là en effet qu’il le trouva, au milieu des siens et qui leur parlait ; car c’était bien à la rencontre du Nazaréen qu’il était allé. Manlius s’approcha. Le petit cercle s’entrouvrit devant l’uniforme constellé du centenier. Alors le Nazaréen cessa de parler et le regarda. Il paraît que Manlius mit un genou à terre. L’assistance, surprise, commençait à craindre ; une immense gêne s’appesantit sur elle.

— Voilà bien une digne attitude pour un officier de Rome ! coupa Pilatus. Heureusement pour lui que Vitellius n’en apprit jamais rien. Tout glorieux qu’il ait été auparavant, ton Manlius eût compris son erreur. Mais qu’importe, après tout, je ne suis pas un militaire, et je glorifie l’audace et 1’abnégation d’un cœur si complètement épris.

— Le Nazaréen, lui, n’en fut point troublé et demanda simplement : « Que me veux-tu ? » — « Seigneur, répondit Manlius, l’enfant que j’aime est malade. Il va mourir. » — « Je vais venir chez toi, dit ce Jésus, montre-moi le chemin de ta maison. »

Alors, d’une voix forte, qui, sans doute, devait, sans y réussir, masquer l’oppression de sa douleur et retenir les larmes, Manlius cria plutôt qu’il ne dit :

— « Des médecins sont déjà venus et ils n’ont rien pu faire. Et je ne suis pas digne que tu entres dans ma demeure parce que l’attachement que j’ai pour ce garçon, la loi de ton peuple le condamne. Mais toi qui commandes au bien et au mal, dis seulement un mot, un seul mot et l’enfant sera guéri. Car je ne suis qu’un soldat, et si j’obéis à mes supérieurs, j’ordonne à ceux qui sont sous mes ordres. Je dis à l’un : va, et il va, à l’autre : viens et il vient, à mon esclave : fais cela et il le fait ! »

À ces paroles, le Nazaréen fut saisi d’étonnement. Se tournant vers les siens, il leur donna la foi de Manlius en exemple, leur disant qu’il n’en avait jamais vu d’aussi grande dans tout Israël et qu’au festin de la félicité, beaucoup viendraient d’Orient et d’Occident, alors que certains parmi les Juifs en seraient bannis. Puis il ajouta pour Manlius :

« Va, qu’il soit fait selon ta foi ! »

Il semble bien que l’enfant fut guéri sur l’heure, car avant que le centenier fût revenu chez lui, le mal avait déjà quitté le jeune et gracieux moribond aussi soudainement qu’il l’avait pris.

Ælius Lamia se tut et observa Pilatus.

Celui-ci semblait réfléchir. Allongé sur le klineus, il regardait son vieil ami sans le voir ; puis, se redressant, il saisit le vase de Falerne et en emplit la coupe de son hôte.

— L’histoire de ce centenier est très intéressante, dit-il. Je ne sais si je dois y attacher quelque crédit, mais puisque, très cher Ælius, tu es un si parfait conteur, je te dois ta récompense. Ton récit m’a éclairé et il a redonné un peu de flamme à ma mémoire vacillante. Oui, je me souviens maintenant de ce Jésus. Il venait de Galilée. Les Juifs me l’amenèrent cette année là, juste avant la Pâque et me réclamèrent sa mort en grand tumulte. J’ai dû finir par la leur donner sans avoir pu un seul instant élucider un seul de leurs griefs. Aussi, je me lavai les mains du sang de ce juste.

Il se disait roi, semble-t-il, et les Juifs en étaient outragés. C’était fort habile de leur part, de faire de lui un ennemi de César, quand ils savaient mon zèle à réprimer toute révolte. Sur le lithostratos, il n’avait pourtant pas l’allure d’un chef et son attitude était déjà celle d’une victime. Je n’avais devant moi qu’un pauvre illuminé, titubant de fatigue. Les visages que nous cherchons nous échappent ; ce n’est jamais qu’un moment. Je ne discerne plus maintenant qu’un regard. Oui, un seul regard, étrange, à la fois d’une extrême douceur — seuls les très jeunes enfants ont de ces regards là, insoutenables de tant d’innocence — mais aussi d’une savante et douloureuse bonté, un peu comme cette chaude lueur qui anime encore le visage sévère et ravagé des grands vieillards. C’était assez inattendu chez cet homme dans la force de l’âge et j’en fus sans doute troublé, car je me surpris moi-même à poser cette ridicule et stupide question : « Es-tu vraiment roi ? » Il me répondit simplement : « Tu l’as dit — Je suis roi. »

— Je ne comprends plus, s’écria Ælius Lamia. Était-il donc réellement fou, avec ses pouvoirs et ses dons ? À moins que le pressentiment de ce qui l’attendait ne lui fît perdre le sens et dire n’importe quoi !

Du coup, Pontius Pilatus se leva tout à fait et fit quelques pas vers l’atrium. Il s’arrêta et s’appuya contre le fût d’une colonne du péristyle ; son front toucha le marbre qui lui communiqua sa fraîcheur. Pendant un long moment, il garda le silence. Puis, d’une voix très basse, comme s’il se parlait à lui-même :

— Eh bien, je ne le pense pas — finit-il par dire — car il avait ajouté quelque chose pour contrebalancer ses dires, quelque chose qui expliquait, en quelque sorte, son affirmation, la rendait plausible ; et, juridiquement, je ne pouvais en tenir aucun compte.

— Parle, Pontius. Je t’en prie, implora Ælius Lamia.

Le soir tombait lentement sur les flots calmes, qui s’assombrissaient peu à peu, cependant que l’azur, là-bas, vers l’occident, s’enflammait aux derniers rayons de l’astre resplendissant, déjà disparu. Les volutes vaporeuses, dès lors obscurcies, s’amassèrent sur les nuées éclatantes et semblaient surgir de cette mer ardente comme les rocs fabuleux d’un rivage inconnu.

— Oui, je me rappelle maintenant, murmura Pontius Pilatus. Il avait ajouté : « Mon royaume n’est pas de ce monde. »


Michel MAYER.




NOTA.

Ce qui passerait inaperçu,
Un zèle trompeur le fait cacher.
C’est toujours ainsi qu’on a su,
Ce qu’on n’aurait jamais cherché.


L’Église voit dans ce passage des évangiles la plus belle manifestation de la foi, la plus grande preuve de la miséricorde divine et, surtout, l’annonce de l’universalité future de la rédemption.

Or, lorsque nous lisons ce texte dans nos traductions françaises, si nous en reconnaissons nettement l’enseignement exhaustif — et nous savons que les paroles mêmes du centurion sont devenues une sorte d’incantation rituelle au repas eucharistique — nous ne paraissons pas habituellement remarquer que, sur le plan humain, cette histoire est boîteuse, ou mieux, amputée. Nous comprenons parfaitement le geste et l’attitude de l’officier. Nous ne savons rien de ce qui le pousse à agir de cette façon.

La connaissance du monde antique peut donc seule nous le faire deviner, à moins que des textes plus anciens et plus fidèles soient aussi plus explicites.

Sans pousser plus avant l’exégèse, on peut en effet comparer les textes des évangiles de Matthieu, 8/5-13, et de Luc, 7/1-10, dans leurs versions française, latine et grecque.

Dans la version française, nous remarquons que le thème est identique chez Matthieu et chez Luc (Luc débute cependant d’une façon plus narrative, alors que Matthieu entre d’emblée dans le style direct).

Le centurion dit :

« Seigneur, mon serviteur est malade…

« Dis un seul mot et mon serviteur sera guéri…

« Car je dis à mon serviteur : Fais cela et il le fait…

« Et le serviteur fut guéri. »

Ce serviteur « à la française » est bien encombrant. Il ressemble davantage à un domestique moderne qu’à un esclave antique. On ignore son âge. Il est vague, il est terne, il est neutre, et ce qui est plus grave, on peut penser, à cause de l’emploi d’un terme unique et répété, que le serviteur à qui l’on dit : « Fais cela » et qui le fait — est celui-là même qui est tombé malade. Cela reviendrait à dire que l’officier ne semble pas éprouver pour son serviteur autre chose que l’agrément prosaïque et très bourgeois d’être bien servi. Si son attitude devant le Christ reste « antique », si ses paroles conservent le style évangélique — on peut l’imaginer, chez lui, tel un officier de la garde nationale dans un chapitre de Balzac.

Point n’est besoin de s’étendre :

— traduttore - traditore —
la cause est entendue…
et passons aux langues mortes, qui sont parfois autrement vivantes…

Dans la version latine de Luc, nous trouvons :

— Centurionis autem cujusdam servus male habens, erat moriturus : qui illi erat pretiosus
et dans la version grecque :

Εκατοντάρχου δέ τινος δοῦλος κακῶς ἕχων ἤμελλε τελευτᾶν, ὃς ἤν αὐτῷ ἔντιμος.

Nous savons là qu’il s’agit d’un esclave particulièrement estimé. (Le latin peut laisser entendre que c’est parce qu’il est d’un grand prix, mais le grec donne l’idée d’un attachement plus honorable.)

— Sed dic verbo et sanabitur puer meus.

ἀλλὰ εἰπὲ λόγῳ, καὶ ἰαθήτω ὁ παϊς μου.

Et nous savons de plus que cet esclave est un enfant.

— Invenerunt servum qui languerat, sanum

εὐρον τὸν δοῦλον ὑγιαίνοντα
mais que cet enfant est quand même un esclave.

Dans la version latine de Matthieu, nous trouvons :

— Domine, puer meus jacet in domo paralyticus,
et dans la version grecque :

κυριε, ὁ παϊς μου βέβληται ἐν τῇ οἰκίᾳ παραλυτικός

Le centurion dit ici : mon enfant est malade…

— Sed tantum dic verbo et sanabitur puer meus

καὶ ἰαθήσεται ὁ παϊς μου.
et il redit encore ici : mon enfant sera guéri.
Mais,

— Et dico servo meo : Fac hoc et facit.

καὶ τῷ δούλῳ μου·

C’est à un esclave qu’il donne habituellement des ordres, et cet esclave n’est pas l’enfant.

— Et sanatus est puer in illa hora

καὶ ἰάθη ὁ παϊς ἐν τῇ ὥρᾳ ἐκείνῃ.
et c’est l’enfant qui est guéri sur l’heure et cet enfant peut être alors de condition libre.

Nous pouvons logiquement prétendre que cet enfant de condition libre n’est ni le fils, ni le neveu du centurion.

En effet, nous retrouvons dans l’évangile de Jean, 4/46-53, une histoire un peu similaire quant au thème, mais combien différente par ailleurs, dans laquelle un officier du roi (regulus) demande à Jésus de guérir son fils. Jésus lui dit : « Va, ton fils vit. » Cela se passe à Cana et non plus à Capharnaüm.

Là, point de discours à la manière du centurion, point de foi assez grande pour étonner le Christ — point d’humilité. Et il s’agit bien du fils de l’officier, désigné successivement par :

Le fils Son fils Mon fils
(mon enfant)
Ton fils
Filius Filium ejus Filius meus Filius tuus
ὁ υιὸς αὐτου τὸν υιόν τὸ παιδιον μου ὁ υιός σου

et l’officier lui-même par : pater — ὁ πατὴρ — le père.

Cette histoire de l’officier du roi ne vaut pas celle du centurion. Est-ce parce que, là vraiment, il ne s’agit que d’un fils ?

Quand toutes les suppositions sont permises ; n’exagérons pas, mais parions simplement, avec ces atouts en main que sont le contexte donné à l’évangile par la vie antique, l’attitude même du centurion et ses paroles admirables de foi mais aussi de passion, que ce miracle de Jésus n’a pas pu être provoqué par autre chose que l’amour d’un éraste pour son éromène. En quoi donc la leçon évangélique en serait-elle changée ? Le fils du Dieu vivant ne condamnait pas la femme adultère et ne détournait pas son regard de la pécheresse de Magdala. Pourquoi celui qui répéta sans cesse : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice », condamnerait-il le seul amant d’un garçon ?


— « Malheur à toi Capharnaüm ! Car en vérité je
te le dis, il y aura, au jour du jugement, moins de
rigueur pour le pays de Sodome que pour toi. »  


Michel MAYER.



Voir aussi

Source

  • « Le procurateur de Judée : suite à la manière d’Anatole France » / par Michel Mayer, in Arcadie : revue littéraire et scientifique, 12e année, n° 134, février 1965, p. 63-71. – Paris : Arcadie, 1965 (Illiers : Imp. Nouvelle). – 52 p. ; 22 × 14 cm.

Articles connexes

Études

Textes évangéliques