Paysage de fantaisie (5)

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je suis encore là mais tout est prêt pour que je disparaisse j’ai compris que la pièce noire est une cave on a maçonné la porte je suis emmuré vivant       j’entends quelques sons quelques voix du dehors ou des meuglements comme si j’étais à la campagne j’ai des instants de panique d’étouffement je gratte les murs je cherche un trou une lézarde un défaut par lequel j’apercevrai un fil de lumière ou sentirai passer l’air frais mais il n’y a rien l’atmosphère s’alourdit ma respiration va plus vite les angoisses et les migraines ne cessent plus j’essaie de m’apaiser en m’allongeant sur le sol il est de terre battue froide et sèche ou devenue pâteuse là où j’ai uriné

je ferme les yeux pour oublier l’obscurité j’imagine une lumière un décor coutumiers autour de moi je crains de relever les paupières mes yeux s’ouvrent avidement et ne reçoivent aucune clarté je veux crier sortir voir le jour je referme les yeux je désire aussitôt les rouvrir je ne sens plus l’espace aucun repère où poser mon regard il n’y a plus de dehors mon corps est invisible et aveugle je palpe encore chaque mur je découvre la porte ici les moellons sont plus grands rugueux et en retrait le mortier durci déborde d’entre les joints je ne sens pas d’autre passage la cave n’a pas eu de soupirail je ne m’évaderai pas et si dans quelques jours ou quelques semaines ils visitent ce caveau ils verront peut être mon cadavre crispé aux pierres de la porte ou à demi enfoncé dans un trou du sol que mes mains auront creusé sans moi je manque d’oxygène un geste vif me met hors d’haleine je ne bouge plus je respire prudemment les bruits creux de mon ventre me font du bien j’ai oublié les blessures qui me couvrent mourir m’indiffère j’ignore qui a fait cela et pourquoi

je devais n’appartenir à personne n’avoir pas de nom ne servir à rien ne rien posséder être à la merci de n’importe qui n’importe quoi déjà enterré je ne peux plus rester ici il faut que je sorte mes premiers pas chancellent j’atteins la porte elle n’est évidemment pas murée ni même verrouillée je la franchis je suis dans un dégagement de cave une lumière assez vive vient d’un soupirail au bout mais je ne trouve pas l’escalier je pousse les portes au hasard la première s’ouvre sur des ténèbres d’où s’élève une odeur ammoniacale insupportable comme si on rangeait là plusieurs poubelles où pourriraient des abats il y a un gros interrupteur à l’entrée je l’actionne l’ombre se dissipe et je vois des formes pendues       ce sont les tuyaux d’eau ou de chauffage central qui servent de potence les corps s’y succèdent en ligne droite vers le fond       le mur opposé aux pendus supporte un grand établi où s’étalent avec différents outils la ferraille habituelle des bricoleurs et quelques vieux jouets de plage

j’ai l’impression de connaître cet endroit j’attends qu’il s’aère un peu et j’entre pour mieux regarder       les corps nus appartiennent à des hommes mûrs ou âgés leurs vêtements dispersés par terre sont mélangés de sang d’immondices d’ustensiles rouillés       le cadavre le plus proche pend par les cheveux sa face en est rabattue vers le haut sourcils épais que tire la peau du front yeux inégalement ouverts la bouche bâille et des caillots bruns bourrent les lèvres tailladées corps délié et détendu il y a des mèches de cheveux poivre et sel prises entre les doigts le pénis est tranché à ras du ventre les testicules violacés sont à cru on a découpé les bourses en lanières comme une pelure de patate       le second cadavre est suspendu à une esse de fer qui défonce sa bouche aux dents brisées le sang inonde la figure c’est un vieillard maigre il est attaché en cercle les jambes repliées vers les fesses les mains réunies aux pieds ventre rond planté d’une toison blanche et folle un poids fait d’une grosse locomotive mécanique cabossée mise au bout d’une ficelle tire sur le sexe où l’accrochent plusieurs épingles à nourrice fichées dans le gland comme des hameçons et qui achèvent de lacérer la chair morte       le troisième cadavre sent très mauvais le ventre le dos et les jambes sont zébrés de larges entailles la chair bleuie coule et se boursoufle un seul bras disloqué sous la main suspend le corps au tuyau d’eau on a coupé le sexe avec une part de l’abdomen dépecé en demi-lune ce ventre de sexagénaire était obèse et des moutons de graisse jaune floconnent au bord de l’entaille il n’y a plus d’yeux de sourcils ou de nez mais une gouttière de caillots et d’éclats d’os à hauteur des orbites

la quatrième victime est un peu séparée des autres c’est un vieillard assez frêle il dégage une odeur douce comme celle de grandes fleurs au parfum trop sucré des sangles attachent main et pied gauches au plafond le corps pend à l’horizontale le sexe est partagé en tronçons collés les uns aux autres et le gland tourne à angle droit de la verge comme un couvercle de chope testicules petits retirés des bourses trop longues et embrochés ensemble des incisions mouchettent toute la figure la tête s’abandonne sur l’épaule droite et une large brûlure ronge l’autre épaule elle entame le deltoïde et met à nu la pointe de la clavicule le flanc droit est percé entre les hanches et les côtes un paquet d’entrailles s’en écoule       le cinquième homme est pendu tête en bas par un croc enfoncé dans l’anus et perforant le bas-ventre d’où il sort comme un pénis noir et raide genoux plies pieds enchaînés mains libres qui balaient le sol les traces de coup hachent la peau une vermine blanche rosée minuscule prolifère dans les blessures on a dû écraser la figure au marteau la boîte crânienne est crevée la mâchoire déportée à gauche le visage n’est que cratères arêtes esquilles d’os dans une bouillie rougeâtre mais on y a ficelé un faux nez de carton à binocle et moustache       le sixième homme pend lui aussi tête en bas par les pieds bras croisés et attachés contre la nuque la peau du crâne le front et les sourcils sont calcinés il y a par terre une vieille casserole de poupée qui a contenu l’essence ou l’alcool qu’on a brûlé sous cette tête la bouche a un rictus qui bombe les pommettes et fronce le menton yeux ouverts révulsés et sanglants le sang croûte tout le devant du corps il a ruisselé jusqu’au visage depuis l’entrejambe fendu en deux à l’aide d’une forte scie encore en place et jaunie de merde       le septième homme n’avait guère plus de quarante ans il est fixé grotesquement à deux crochets plantés de chaque côté du crâne par le trou des oreilles et sa tête ressemble à un globe terrestre sur son axe de métal peau découpée et arrachée irrégulièrement comme une vieille affiche la musculature mise à nu fut fouettée brûlée on y a tracé à la gouache bleue verte et orange des dessins obscènes ou puérils le pénis se réduit à un cartilage où s’emmanche un large porte-plume mis presque entier dans l’urètre et de nombreuses plumes d’écolier hérissent le bas-ventre on a extrait les yeux que remplacent deux cerises dont les feuilles se dessèchent sur les joues du mort       il y a trois ou quatre cadavres nus entassés par terre au fond de la cave on les a tous flagellés émasculés égorgés barbouillés de peinture et celui qui gît à plat ventre en avant des autres montre un litre de vin au culot brisé qui distend son anus où brillent les ébréchures

les vêtements gâtés que je piétine étaient beaux je regagne la porte je fixe sans raison la couverture d’un livre pour enfants posé sur l’établi un jeune garçon blond au visage anonyme se tient à des gréements sur fond de vagues déchaînées les suppliciés ne me dégoûtent plus ils étaient riches et sûrs d’eux on les a probablement pris et torturés ensemble les blessures et les mutilations que je porte sont de la même sorte que les leurs je devrais être mort et pendu parmi eux j’ai oublié les bourreaux les supplices il ne me vient qu’un souvenir de paralysie et de vertige où la seule image serait un je trouve l’escalier au fond d’une petite pièce qui sert de placard la porte en haut des marches n’est pas close elle débouche sur un couloir carrelé l’entrée de la maison est là devant je traverse un jardin abandonné je prends une rue déserte je suis dans un village on se croirait au milieu d’une matinée de printemps je viens de naître je marche malgré moi vers une place où m’attirent les cris aigus et rapides des jeux d’enfants c’est une récréation une cour clôturée une petite mairie-école je me tiens au grillage et je contemple passionnément tous ces garçons brutaux intacts et sans beauté ils ne font pas attention à moi mais quand je m’éloigne en m’appuyant aux murs ou aux vitrines quelques vieux passants s’arrêtent et je sens leur mépris       mes vêtements sont sales et déchirés je ne connais pas l’état de ma figure la marche réveille les blessures de mon ventre et de mes jambes la douleur la plus forte est au pubis dès mon réveil il y a plusieurs jours j’ai dû examiner mon sexe mais je ne sais plus je m’agenouille devant une boulangerie le reflet de mon visage se dessine sur la vitre front et sourcils crevassés une paupière ne se lève pas nez cassé joues qui portent de longues coupures au rasoir et des pansements dont la présence m’étonne oreille gauche déchiquetée plus de dents de devant les brioches sont énormes les croissants dorés et gras il y a des cerises cuites rose chair dans de hautes parts de flanc j’ai faim je voudrais vivre boire manger ces choses-là la boulangère m’épie derrière sa porte j’ai peur d’elle       je me relève lentement et je m’en vais je n’ai pas de but la campagne j’y mourrai sans témoin je n’avais jamais vu de cadavre un enterrement passe cercueil en bois clair posé sur une simple charrette aux ridelles habillées de noir poussiéreux et mité il doit contenir une personne semblable à celles qui suivent le convoi vieux et vieilles en noir mité poussiéreux mais qui se tiennent debout ils marchent mieux que moi je les crains ils me détestent je dois être jeune et quelqu’un m’a donc évité la mort des autres aucun n’était accroché par le sexe c’est peut-être ce qui m’attendait ou même ce que j’ai subi quelque temps       la sortie du village est une côte il n’y a plus de murs pour me soutenir j’essaie d’aller à quatre pattes un gamin à bicyclette remonte la rue il me dévisage et me dépasse je voudrais toucher son dos courbé ses jambes souples sa tête en profil perdu où un coin d’œil me scrute sans rien exprimer la bicyclette prend à gauche et disparaît il va être midi on prépare le repas il y a des maisons des cuisines des tables mises les enfants quittent l’école en bandes qui se morcellent et s’émiettent rue après rue porte après porte le soleil et le ciel sont blancs il fait chaud un garçonnet maigre presse le pas il parvient à ma hauteur je lui fais signe il ne s’approche pas il m’interroge d’un coup de menton je n’ose rien lui dire un pénis minuscule et pisseux ballotte dans une jambe en accordéon de son short le mioche a un nez busqué et des yeux en vrille sans sourcils il m’observe mieux et détale mais il a d’abord levé le bras devant sa figure ridiculement comme pour se protéger d’une gifle je m’oblige à me remettre debout et à marcher je me repose chaque fois qu’un appui s’offre la chaleur de l’effort et la monotonie de ces souffrances répétées m’endorment j’atteins le sommet de la côte je reconnais une grande maison à droite hauts murs jaunâtres terrasses balcons toiture d’ardoises biscornue un vaste jardin d’herbes et d’ombrages où s’élève l’arcade d’une ruine oubliée mais je ne comprends pas que la mer apparaisse devant moi cette étendue grise lisse sans odeur et qui porte le vent

j’avance encore et c’est bien un rivage une grève de sable noirâtre et les vagues basses et lentes et à présent l’odeur saline

ici derrière la barque se cacher s’étendre finir je pense à de la nourriture je m’engourdis en salivant


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