Paysage de fantaisie (6)

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il en vint une douzaine sur la plage pour chercher des crabes et se baigner ils firent cercle autour de la barque T’es qui monsieur ? Je ne sais pas Mais qui Je ne sais pas On sait qui on est Non pas toujours Mais tu te rappelles bien comment tu t’appelles ? Non Tu dors là dans la barque ? Non j’arrive maintenant j’attends parce que je vais mourir Tu vas mourir t’es malade alors ? Oui non je suis enfin vous voyez Tu veux dire là où t’es coupé partout ? C’est pas une auto qui t’a écrasé ? Non je ne me souviens de rien Ça c’est marrant tu veux qu’on t’aide à retrouver on va sûrement trouver où c’est ta maison ?

ils m’ont donné leurs souvenirs un à un tout ce qu’ils savaient d’eux-mêmes j’écoutais j’apprenais je répétais

cette histoire-là tiens c’est quand j’étais un pirate et il raconte et les autres protestent Eh oh on la connaît oh si tu racontes des histoires ça sert à rien c’est triché

aucune importance je peux l’imaginer quand j’étais pirate oui ce serait une chose mais il faudrait vous décider pour mon âge c’est le pire dites un peu des chiffres ils disaient vingt soixante cent non non cent un non dix-sept onze quarante personne n’était d’accord et l’un d’eux à suggéré Facile y aurait qu’à lui regarder la bite

je dis non passé vingt ans ça ne change plus j’ai vingt ans passés j’en suis sûr ne regardez pas

on n’en sait rien t’es pas grand sors-la

non assez de ça tant pis pour mon âge

le mec t’as peur de la montrer pourquoi t’es pas lavé ?

les gars moi je vais me baigner ils y sont allés tous j’ai ruminé ce qu’ils m’avaient dit on pouvait s’y construire une longue vie quatre-vingts ans d’enfance j’observais les baignades j’avais une sorte de désir pour les vagues ou le soleil blanc ou les garçons j’étais impatient qu’ils sortent de l’eau ils sont partis ailleurs la nuit est tombée après       maintenant quoi       un petit accourt au crépuscule il a l’air embêté Regarde je me suis baigné avec ma montre elle marche plus elle est arrêtée c’est vrai écoute si tu l’entends

non elle ne devait pas être étanche

t’en avais une de montre toi ?

oui       mais je mentais une montre étanche pourtant je prononce ces mots-là sans effort

tu sais la réparer ?

non je ne sais pas mais reste un peu ici

je peux pas je reviendrai après manger j’amènerai ma torche elle éclaire drôlement loin tu verras

oui reviens vite       je n’avais pas le courage de lui demander de porter aussi quelque chose à manger je boirais de l’eau de mer le goût reste longtemps comme une nourriture       il s’assoit en tailleur près de moi et fait marcher sa torche dans la nuit il admire le rayon jaune qui va toucher les vagues ses cheveux blonds sont coupés en petite brosse soyeuse Tu as de beaux cheveux ai-je murmuré il se tourne vers moi en s’étonnant le rayon de sa torche retombe dans le sable

c’est des cheveux dit-il avec un léger haussement d’épaules il redresse la torche et montre comme elle va loin sa lumière effleure des écumes paisibles sur la mer je regardais ses jambes repliées où saillait la bosse polie du genou Tu as aussi de beaux genoux dis-je

c’est des genoux répond-il sans bouger la tête mais sa lampe vacille doucement il l’agite pour faire aller la lumière d’une vague à l’autre et un avant-bras oscille en même temps mes yeux remontaient à sa nuque et aux oreilles délicates Elles sont jolies tes oreilles

c’est des oreilles répond l’enfant tout le monde en a les miennes elles sont plutôt grandes hein plutôt mes parents trouvent qu’il faut les recoller

si je savais ton nom

le nom à mon père ?

le tien ton prénom

t’es vieux toi je m’en vais maintenant tu restes là ?

je ne peux pas marcher

ben comment t’es venu ?

je marchais je ne peux plus

je viendrai demain je te dirai si t’es mort j’irai à l’enterrement si on t’enterre si tu veux

non je serai parti tu as mangé quoi ce soir ?

ma mère elle a fait des œufs brouillés et des endives en salade et du fromage et des fraises c’est celles qu’on a dans le jardin

tu as un jardin

on en a un oui pas tellement grand mais y a des fraises et puis des petits nains de Blanche-Neige tu sais

et un puits en pneus dis-je au hasard

non pas chez nous chez les voisins y en a un mais y a des fleurs dedans ce serait mieux si c’était de l’eau mais c’est pas un vrai puits tu comprends ? allez au revoir mes parents ont pas encore vu pour ma montre heureusement je fais comme si elle marchait

ils vont t’attraper ?

non ah c’est pas une vraie non plus c’est un jouet les aiguilles tournent qu’avec les doigts c’était pour de rire       il a un pull-over vert un écureuil marron dessus mais quels yeux je ne sais plus quelle voix de quel aigu je penserais à des genoux des cheveux je m’habitue à la fraîcheur du sable humide je vivrai sûrement jusqu’à demain matin si je ne m’endors pas sa chambre peut-être bleue et une barque miniature sur la cheminée un ours en peluche ou un chien en feutre qu’il borde soigneusement sous un mouchoir avant de se coucher il l’embrasse il se met au lit ils replient les dix doigts sur le drap tiré jusqu’au cou la bouille enchantée puis ils dorment et se débordent surtout à présent que l’été vient j’ai dû être papa ou maman sinon comment saurais-je cela ou bien ils sont tous papas ou mamans pendant qu’ils sont petits dix en un sans préférence c’est ce qui trompe la mémoire les autres sont vous comme dans du beurre disent les gens je ne suis pas les gens intéressant d’être sûr de ça

quoi d’autre       au milieu de la nuit le brouillard s’avance m’enveloppe humidité plus légère que celle de l’eau je me mets debout et je me déshabille je n’aperçois même pas mes pieds je jette mes vêtements ou plutôt je les enfouis je resterai nu je marche dans les vagues la mer est très froide l’eau qui me frappe les jambes éclabousse et brûle mes blessures de son sel       ce qui arriva je suis couché contre la barque je somnole la marée monte je ne réagis pas au clapotis de l’eau qui se rapproche et des langues glacées mouillent mes flancs il avait dressé un grand château de sable en forme de tas il trôna un instant sur ce tumulus puis le négligea pour jouer avec son sexe       j’ai vu un chien de mer un chien-loup barbu et couperosé glisser le nez sous les fesses du garçon qui construisait son château à genoux et se retourna de saisissement mais il dut reconnaître l’animal et fut rassuré il s’assit écarta les jambes le chien s’allongea entre elles et lécha ou mordilla le maillot de bain du petit là où un pointement mollasson était la source d’odeur et de goût l’enfant ne songeait pas à baisser son slip il se laissait faire paisiblement j’ai bâti un rempart de sable contre la mer les vagues le renversent je me lève la barque commence à flotter je m’y installe je ne crois pas qu’elle soit amarrée elle dérive et quelques heures après l’eau qui se retire m’entraîne en haute mer ou me rejette vers un cap minuscule et boisé d’essences campagnardes il n’y a aucun résineux par ici les garçons jouent à l’ombre sur un rond de sorcière qu’ils ont piétiné pour le plaisir d’écrabouiller des champignons et j’entends Jacques a dit baissez-vous ! levez-vous ! Lulu tu t’es levé t’as perdu t’as un gage tirez la langue ! Jacques a dit un bras en l’air ! Lulu t’as tiré la langue t’as un autre gage Jacques a dit ne faites rien ! Jacques a dit sautez ! Jacques a dit couché sur le dos ! Jacques a dit sautez ! couché ! Lulu t’es couché t’as un gage

non c’était le premier couché que t’as dit j’ai pas eu le temps de sauter tu vas trop vite

c’est le jeu tant pis Jacques a dit tapez sur Lulu !       ils ont entouré brusquement le gamin qu’ils appelaient Lulu une demi-portion il a crié les autres cognaient dessus à toute volée ils devenaient fous Jacques a dit arrêtez ! mais quelqu’un répond Ta gueule on joue plus on cogne et ils continuèrent de frapper s’effondraient par terre travaillaient rageusement un objet invisible qu’ils couvraient comme dans une mêlée de rugby et qui était le maigrichon le souffre-douleur il sanglotait hurlait à chaque gifle chaque pinçon chaque coup de pied comme s’il avait eu deux voix ensemble celle des cris stridents celle des pleurs plus rauques mes mains m’ont servi de rames j’ai éloigné la barque j’ai longé la côte et découvert une plage déserte il n’y avait pas de brouillard la nuit était calme et silencieuse le petit revint me voir malgré l’heure tardive parce qu’il s’était dit que je devais avoir faim il m’apportait candidement une grosse pomme jaune je mords la pomme et aussitôt ma langue est fendue par une lame de rasoir enfoncée dans le fruit l’enfant qui me regardait manger éclate de rire et s’enfuit j’ai lâché la pomme ensanglantée je n’ai pas de dents les nuages courent de gauche à droite gris foncé sur le ciel d’une nuit claire ils s’étirent longs et compacts comme un rivage de grès j’ai ce corps accablant qui pend ou se tasse en dessous de ma tête j’y suis perché à jamais comme un corbeau sur son arbre et la perspective descend immuable de mon bec à mes pieds ou mes racines une odeur alléchée fait revenir le chien-loup mon sang l’intéresse il me dévore la moitié du visage celle qui sert à manger il creuse un trou dont l’écarlate et l’os l’excitent davantage je n’éprouve pas de douleur ma figure se change en caverne ruisselante cette charogne repose sur le sable secouée déchiquetée puis diaphane       l’enfant rappelle son chien et le rosse de s’être sauvé je portais un pull-over vert un pantalon marron ces vêtements ne m’appartenaient pas il n’y avait aucun linge dessous il s’occupe à éplucher son genou de quelques croûtes un bobo une vieille chute et le chien léchait encore son slip mais plus bas dans l’entrejambe parce que le gamin venait de chier il s’était accroupi derrière ma barque l’odeur fumante et fauve m’avait captivé

les animaux la marmaille les plages sont vides jamais un être humain et ces saletés comme si je n’étais pas là l’horizon sans ciel la terre sans arbre le sable terne l’eau noirâtre qui sent l’ordure pas de blessure au cul rien aux bras ou aux mains ils n’ont pas crevé mes tympans j’ai dû porter des lunettes sinon cette vue floue cotonneuse une taie sur mes yeux       son goûter est un beau morceau de pain avec deux barres de chocolat et une banane qu’il réserve il la pèle il se place à quatre pattes dénude ses fesses puis pointe le fruit trop mûr contre son petit anus et l’y écrase il se barbouille toute la raie de pulpe dorée il la rabat sur l’orifice avec son pouce il a une seconde banane il se la fourre presque entière il se rassoit dans le sable et frétille des fesses et se frotte d’arrière en avant pendant plusieurs minutes enfin il retirait la banane la pelait et la mangeait en se renfonçant un doigt au trou       il s’immobilise il rêvasse son visage exprime un grand bonheur il n’imagine pas que je l’ai envié je n’aurais aucun plaisir à ce qu’il s’est fait ni à aucune jouissance de garçonnet ou d’adulte mais j’étais jaloux qu’ils aient tous un corps à écouter s’il m’offre une banane je la mangerai printemps maussade il se torche dans la mer

la brume massive bâtit des murs autour de moi ce que la plage avait montré s’évanouit je devine quelques derniers mouvements très loin derrière ma prison de vapeurs       un papillon de nuit se heurte obstinément aux parois je suis incapable de me lever et d’ouvrir la fenêtre j’écoute ce bruit lourd et sans rythme comment est-il entré peut-être tapi depuis toujours dans un coin du plafond indécelable les murailles flottent et s’approchent de moi elles me couvrent de fumées qui m’épousent et me caressent en suivant les angles de mon corps je suis nu il y a des mille-pattes brochés sur ma peau car on a recousu les incisions de mon ventre il est blanc mais souillé par endroit de gris et d’encre bleue je vois mal mon sexe j’y porte la main c’est un ramassis de peau figé entre mes cuisses je n’y distingue rien la chair est plus froide que celle de mes doigts j’avais eu le cauchemar d’une blessure ici je n’en trouve pas ce sommeil seulement

le papillon ne bouge plus le jour s’est lentement étendu jusqu’à mon lit la hauteur des murailles et le froid de la chambre réduisent la lumière à un voile blême qui couvre l’obscurité mais ne la dissipe pas       d’autres sons s’égrènent lointains et mous c’est une pluie dans un autre monde un remuement de poussières par un courant d’air insensible que le grincement ténu de la porte accompagne tout est mort partout le jour se retire une fois de plus puis dans l’obscurité une lampe s’allume avec un petit grésillement de vieillesse et j’ouvre grand les yeux je me gorge de cette pauvre clarté comme d’un soleil immense quelqu’un va entrer on n’avait jamais allumé le soir un long moment passe et la lampe s’éteint un autre jour passe la lampe s’allume au soir et un moment après elle s’éteint cinq jours passent encore et chaque fois la lampe s’allume c’est une ampoule que je vois tantôt ici tantôt

dites votre nom dis ton nom       avec un chapeau gris et un pardessus gris le visage exsangue sans traits distincts joues maculées de framboises haute stature penchée sur moi

non

qui t’a recousu ces coupures comment osez-vous coïter ce malheureux lit ?       oreilles s’élevant grandissant emportant le chapeau crâne de cinquante à soixante ans       près de lui la lumière élastique se courbe en écouteuse le menton sur un poing elle est rose pensive

je fais pas l’amour

t’es couché dessus tu le baises avec ton cul on t’avait châtré ta fressure fumier qui t’a donné ça       la dame approuve puisqu’à mesure qu’elle dessine des boucles sur sa peau en un geste distrait sa chevelure naît blondit approuve

je fais rien non

tais-toi merdeux monsieur mettez votre chapeau votre manteau allez-vous-en vous êtes libre

chéri partons ne touchez pas ce       j’étais debout devant le lit je vérifiais vaguement que le mioche était mort je haussais les épaules

on en fera un autre avec tout ce qu’il faut

non je couche là quand je serai guéri je m’en irai

sors de ce lit c’est une honte même malade tu ne peux pas t’empêcher rien n’est à l’abri démon       il me soulève et me place sur une chaise noire il m’y attache solidement les pieds les mains le cou et avec un rasoir de coiffeur il tranche mes organes génitaux qu’il jette contre un mur mon sang ne coulait pas et sa femme désolée répétait Dépêchons-nous je t’en supplie il y a encore trente-six mille malades à visiter

la lampe s’est éteinte la porte refermée je ne suis plus attaché à la chaise je tombe le sol est mou poisseux tiède je sais que je me roule dans des excréments frais ils sont une douce obscurité je m’en couvre je suis heureux à présent je ne demanderai jamais plus rien on me répète que je n’ai pas compris personne ne me veut de mal je dormirai longtemps seul dans une chambre puis tout sera fini ils me le promettent ils ne donnent pas de raisons ils essaient de me rassurer ils inventent n’importe quoi pour me traîner chez eux mais je n’aime pas leur maison elle est méchante sale je n’irai pas

laissez-moi je gênais pas je vais partir ailleurs je toucherai pas vos trucs je m’arrêtais pas

on te ferait à manger on te donnerait un vrai lit bien à toi une belle dame t’embrasserait ?

pourquoi y en a qui crient là-bas dans la maison qu’est-ce qu’on leur fait m’emmenez pas j’étais pas là exprès

allez ça suffit donne tes pieds et ils me coupent les pieds donne tes mains ils me coupent les mains donne tes bras ils me tirent dessus

oui ils me les allongent quand ils me lâchent je suis dans une jolie rue pavée en pente j’ai la figure chaude bronzée il y a une ou deux tables rondes sur le trottoir un âne un vieux mur couvert de fleurs les mêmes garçons sont assis en désordre ils causent ils sont plus âgés que moi mais il y en a un beau qui me regarde je voudrais l’embrasser j’étais bousculé contre lui on me passait par-dessus le mur à travers les fleurs et les garçons étaient de l’autre côté aussi ils m’attrapaient une main et à la place du pouce j’ai eu une grande tête noire de perroquet ou d’insecte pareil j’essayais de sortir on m’empêchait par-derrière je n’arrivais pas à arracher la grosse tête noire de mon pouce qu’est-ce qu’ils me je veux revoir le garçon qui m’a regardé je montais sur un lit à deux étages dix ou vingt places qui occupe le haut du grenier ils y sont couchés collés les uns aux autres et un garçon tout au fond sort son couteau il tue quelqu’un il s’installe ensuite près de moi en m’enjambant il est brutal il me serre dans ses bras contre son ventre je saute par terre c’est la jolie rue étroite la fin d’un jour d’été quand il n’y a plus de soleil Donne tes jambes ils prennent mes jambes et les envoient par-dessus le mur fleuri Cours après si tu les rattrapes tu les re-as je m’aide avec la table de fer je tiens une épaule du garçon qui me plaît son pull-over glisse sur sa chemise j’aime le sentir je passe le mur à plat ventre je tombe dans les cailloux les orties j’ai mes jambes mais ma figure saigne ils m’amenaient au soleil vers une source sous des chênes un bassin rond en rocher l’eau tranquille est belle comme un puits on me plonge la tête il y a des petites herbes brillantes qui frôlent mes joues et des insectes secs ils rentrent dans ma bouche un grand courant remue mes cheveux et me refroidit les oreilles je recrache des bouts de bois beaucoup d’eau on me soutient je monte l’escalier d’un dortoir c’est ton lit oui t’as un lit couche-toi sinon tu seras malade le lit est près d’une fenêtre grillagée avec un balcon qui sent le sapin je tire la couverture je recule de peur ils ont caché sous le drap une vipère elle brille saigne sa tête est écrabouillée ils rient tous je pleure très fort sous le bras de quelqu’un à moustache plus vieux que nous Pas peur couillon elle est morte quel paquet de nerfs elle est morte andouille il prend la vipère par la queue il la met contre ma figure je crie encore je me débats il m’accroche par ma chemise elle se déchire je descends l’escalier à toute vitesse ils m’attendaient dehors

allez c’était rien quoi boude pas

salauds

oh le malpoli il a dit salaud

salauds salauds salauds je vous tuerai

vas-y pique une crise t’iras mieux après dit un type en blouse qui est là avec des yeux ennuyés dédaigneux de grande personne je suis la plus petite personne ils se tiennent un peu loin comme si j’allais griffer leur crever les yeux

t’as fini ton numéro maintenant t’es pas intéressant file te laver t’es crasseux ta figure je pleure moins mais je ne vois que du brouillé quand je cours aux lavabos je m’emmêle les jambes mes genoux se cognent personne ne me suit je tripote les robinets ils fuient ils m’arrosent et quelqu’un entre c’est un grand un gentil j’ai honte il dit mon prénom il le sait il me touche l’épaule je me secoue un autre garçon montre sa tête à la porte en se moquant

fais gaffe i va te mordre il est pas calmé hein je cherche une chose à lui lancer je retire ma sandale mais le garçon le gentil me la prend

envoie pas ta godasse t’es fou et toi laisse-le c’est le plus petit vous le faites tout le temps chier fous le camp je repleure j’ai de l’eau partout et mon pied nu sur le ciment mouillé du lavabo mes bras mouillés ma figure ma chemise le grand est pas tellement grand sauf sa voix j’ai le hoquet

remets ta sandale tiens

j’ai hai pas de serviette c’est mou houille par terre

je t’en descends une il me laisse seul je me cache derrière les douches il y a un coin sombre plus tard j’entends ses pas claquer il s’appelle Jacques je le connais il m’a déjà parlé parce qu’il parle aux petits il se promène même avec un dans le jardin la roseraie là-haut

change ta chemise t’es trempé je t’essuie en voilà une propre elle est toute déchirée la tienne

merci oui non je m’essui hie moi t’as quel âge ?

treize tu verras c’est pas mal ici quand on a des copains tu viens d’où ?

c’est sur la route ils m’ont trouvé ils m’ont ramené de force

comme moi alors on n’y comprend rien la baraque on va se balader si ça te plaît y a une rivière y a des vaches y a des pommes de pin c’est tout à eux ils sont riches on traversait le jardin ensuite on montait à un parc ou un bois on allait loin on choisissait une jolie herbe à l’ombre il se couchait dessus je m’asseyais à côté il a parlé des bites et ces histoires-là je ramassais des glands je m’embêtais mais il fallait qu’on reste ensemble pour quand on rentrerait ce soir il y a eu du vent et il a fait froid Jacques a dit Je vais chercher des chandails

je l’ai attendu la nuit a vite commencé et j’étais toujours là dans la forêt il m’avait oublié Jacques je ne connaissais pas le chemin je tremblais les arbres étaient noirs les buissons étaient noirs je n’osais plus bouger


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