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*''Narayana : roman tantrique'' / Narayana Nair ; traduit du tamil par Jaimouny et A. P. – [Paris] : Jérôme Martineau, cop. 1968 (Turin : Sargraf, novembre 1969). – 176 p. : couv. ill. ; 22 × 13 cm.{{Commentaire biblio|P. 89-115.}} | *''Narayana : roman tantrique'' / Narayana Nair ; traduit du tamil par Jaimouny et A. P. – [Paris] : Jérôme Martineau, cop. 1968 (Turin : Sargraf, novembre 1969). – 176 p. : couv. ill. ; 22 × 13 cm.{{Commentaire biblio|P. 89-115.}} | ||
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Dernière version du 8 juillet 2014 à 13:53
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Quatrième partie du texte intégral de Narayana, « roman tantrique » attribué à Narayana Nair.[1]
Page précédente…
Mes exercices plus intimement personnels en vue de commander à mon sexe furent non seulement fatigants mais futiles pendant quelque temps. Mon maître n’y participait aucunement, préférant se tenir à l’écart et les ignorer. Il ne voulait pas que je puisse attribuer à quelque influence émanée de lui des succès ou des défaites.
J’étais parvenu, comme on s’en doute, à provoquer l’érection par simple fixation et concentration mentale sur mon nombril. Il me fut longtemps impossible d’aller plus loin. Plus je concentrais ma pensée, plus l’effet recherché me fuyait. Je me représentais tantôt « Yerudhu », le « Taureau », dans une de ses prouesses favorites, tantôt c’était mon maître que je figurais s’appliquant à moi ou moi sur lui. Et je ne pouvais me retenir de lui confesser parfois mes déceptions.
— Chela, me répondait-il alors, Chela, les images ne sont qu’illusion. Tu portes à la fois ton attention sur un organe physique, et sur des scènes fugitives et irréelles. Ne te torture donc pas de visions lascives qui agissent comme un poison ! Si tu veux plus tard procéder à rebours et éloigner ton esprit de ton sexe, il importe qu’au début ton esprit entre dans ton sexe. Ce sont les sensations elles-mêmes qu’il importe de provoquer, tu les connais dans la réalité, il t’est donc aisé de les susciter progressivement. Au début, laisse agir la chaleur naturelle de ton sang et de ton jeune âge, observe comment le flux naît, imperceptible, puis s’enfle, grossit et s’écoule naturellement. Plus tard, tu pourras choisir le moment de t’abstenir juste quand les forces qui bouillonnent en toi sont le plus près de l’issue finale. C’est alors qu’il faudra te persuader que ton désir est en régression lente mais certaine, que la sensation précédente était toute factice, qu’il ne peut, qu’il ne doit y avoir jaillissement, que la source est tarie. Ce n’est qu’à la longue que tu pourras commander au feu de tes entrailles. Il faut une longue assiduité pour y parvenir.
Je devais effectivement réussir, mais beaucoup plus tard, après de nombreux échecs et des luttes ardentes pour exercer ma volonté.
À quelque temps de là, on apprit que ma sœur, l’épouse du vieux richard impotent, l’avait enfin heureusement gratifié d’un héritier. La joie du vieux, était, disait-on, indescriptible. Il en éprouva comme un regain de jeunesse et ordonna des fêtes auxquelles mes parents se rendirent pour ne mécontenter personne. Je ne fus pas invité car il aurait fallu également convier mon maître. Ma sœur lui gardait sans doute encore rancune.
On attribuait cette bonne fortune, dans le ménage, jusque là sans descendance, à la présence d’un très saint homme. Il s’agissait d’une sorte de « sanyassi » qui avait jusque là passé sa vie à errer de village en village, prodiguant des bénédictions mais surtout des « mantra » écrits sur des banderoles, des sachets d’épices dont la composition secrète était réputée souveraine contre certains maux.
Il pratiquait aussi l’imposition des mains sur les malades. Pour tous services il se contentait de ce qu’on voulait bien lui donner et il demandait un peu plus « pour ses frais ». Cet homme, dans toute la force de l’âge, avait été, disait-on, invité à demeurer dans le village par ma sœur.
Elle lui avait expliqué son cas et imploré son aide. Prières, talismans et ministrations firent tant et si bien qu’elle ne tarda pas à être enceinte. Les espérances ne pouvaient toutefois être comblées qu’à la connaissance du résultat. Et ce fut un fils !
Les dieux avaient donc répondu favorablement aux appels réitérés et aux macérations renouvelées du saint homme. Discrètement, il s’éloigna un jour prétextant qu’il ne pouvait rien recevoir.
Il avait déjà consenti à accepter en cachette un don appréciable en argent et ma sœur lui aurait demandé de garder par devers lui deux ou trois bijoux destiné à faciliter les incantations à distance.
Par ce désintéressement, il voulait montrer qu’il emportait non le souvenir de la réussite mais bien son ardent désir de veiller de loin sur la mère et l’enfant auxquels il était lié par la pensée.
Le fâcheux est qu’on murmura bientôt sur l’inefficacité des pouvoirs de mon gourou. Il lui était difficile de déclarer qu’il avait refusé son concours physique. On ignorait qu’il s’était même exposé à lui donner le secours de ses prières. Et puis on oublia vite !
J’en fus mortifié. Le souvenir des explications de mon maître ne laissait aucun doute sur la manière dont le prétendu saint homme s’était acquitté de la tâche que lui avait imposé ma sœur.
Il me chagrinait de constater combien les dieux étaient absents de ce « miracle ». Les prières ne seraient-elles qu’une fumée fragile et sans force ! Alors pourquoi priait-on, par habitude ? Ou quoi ?…
Ce doute qui vint un temps obscurcir mon esprit s’évanouit peu après, heureusement. Peu m’importait la personne de celui qui avait permis au vieux mari de ma sœur d’être père ! Puisque tout le monde était satisfait, à commencer par ce dernier, la vérité ne devait plus venir troubler le jugement de quiconque, à commencer par le mien.
Il fut décidé que nous devions nous rendre en pèlerinage dans certaines villes du Sud, célèbres par la beauté et la sainteté de leurs sanctuaires. Il ne pouvait malheureusement être question d’aller jusqu’à Madura. Nous devions effectuer toutes les étapes à pied et nous n’avions aucun entraînement.
Mon gourou se plaignait du reste depuis quelque temps de lassitude et d’un peu de fièvre. Il espérait cependant que le mouvement du voyage améliorerait son état.
Il ne fallait pas que nous cheminions dans notre habituelle tenue de complète nudité. Nous n’étions ni « sadhu » ni « sanyassi ». Mon maître noua donc ses cheveux en un chignon et revêtit un « dhoti » léger. Puis il se frotta le front de cendres, ainsi qu’il seyait à un religieux. Ma mise fut plus rudimentaire, comme jadis j’eus le torse ceint d’une étoffe blanche dont les pans retombent par-devant à peine à mi-cuisse.
Je portais un petit ballot qui contenait tous nos « biens », c’est-à-dire que l’ermitage fut vide des quelques ustensiles qui le meublaient.
Les longues marches au soleil étaient pénibles. Nous ne nous arrêtions qu’aux premières heures très chaudes au village le plus commodément situé sur notre route. Ce repos nous était nécessaire.
Tout était nouveau à mes yeux. À mesure que nous nous éloignions des lieux familiers ou de ce qui pouvait me les rappeler, j’avais l’impression d’énormes distances parcourues. Le gourou me précédait, je le suivais en silence, les idées confuses par tout l’inconnu qui s’offrait à mes regards. Certes les villages étaient construits sensiblement comme ceux que je connaissais depuis mon enfance, les habitants étaient pour la plupart de même race que moi, ou du moins parlaient le tamoul.
Partout, nous étions accueillis avec des signes de respect, parfois mêlés d’un soupçon de méfiance, mais nous ne manquions de rien en route. Chaque matin, nous procédions aux ablutions coutumières au bord d’une rivière, d’un ruisseau, d’une pièce d’eau, selon les hasards de la route. Le soir, à l’écart, nous pouvions deviser un peu, généralement je tombais de sommeil.
C’est ainsi qu’un jour nous arrivâmes à Srirangam. Il y avait une fête en l’honneur de Vichnou. Une procession se formait pour se rendre au célèbre temple. Deux éléphants caparaçonnés prenaient la tête. Ils étaient marqués au front du signe de Vichnou ; des tambourinaires, le buste nu, les suivaient, rythmant la marche sur leurs tambours allongés.
Ils se balançaient en cadence, leur « pagne » à bord rouge inférieur oscillait à leurs mollets qu’il drapait et découvrait à intervalles réguliers. Nous suivions la foule, j’étais tout étourdi par le tintamarre des tambourins et par les chants de l’assistance.
Je fus plus interloqué encore quand, après avoir pénétré dans l’enceinte du temple de Jambukeswara, j’aperçus un lac bordé de colonnades, au-delà desquelles je fus frappé par la splendeur de la salle dite des Mille Piliers.
Des chevaux sculptés, cabrés, soutiennent la toiture de l’édifice. L’intérieur est assez sombre. Ni mon maître ni moi n’étant des sectaires de Vichnou, bien que le vénérant, nous fîmes demi-tour. Srirangam n’était du reste pas le but de notre voyage. Il nous fallait atteindre une petite étape, le centre plus important et plus renommé de Trichinopoly.
Je ne sais plus comment décrire toutes les merveilles qui m’apparurent alors. Force m’est de résumer mes impressions et mes souvenirs. Au centre de cette cité dont l’animation m’était inusitée, se dresse un roc isolé que l’on gravit par deux cent soixante marches. Au faîte, se dresse un temple dédié à Shiva.
Tout au long des marches, les parois sont ornées de figures terribles qui ne cessèrent de me remplir de crainte au fur et à mesure de mon ascension sur les pas de mon gourou. Là-haut, à la dernière marche, on franchit un porche sombre, sorte de voûte où sont installés des vendeurs de fleurs et d’offrandes.
Dans la pénombre du fond, enfin, les autels. On les distingue mal par les rayons du soleil qui dardent dans cette demi-obscurité en la tranchant par intervalles. Il y flottait une odeur de camphre provenant de bâtonnets que brûlent les pèlerins.
Les pèlerins et saints visiteurs dont nous étions avaient le privilège de pouvoir s’établir pour la nuit dans une sorte de caravansérail proche du lac situé en contre-bas de la colline rocheuse. Je ne m’écartai guère de ce lieu de rassemblement. Ce qui m’épouvantait ce n’était pas la peur de me perdre mais simplement de me voir dans cette cohue.
Mon maître rencontra ou fit la connaissance de sages comme lui avec lesquels il s’accroupissait un peu en retrait pour deviser. Pendant ce temps, je me distrayais à voir le passage constant de tous ces gens, presque tous des hommes, venus des environs et même de loin pour rendre hommage au dieu.
C’est ainsi que je vis des hommes magnifiques, à la fière allure, et qui, malgré leur semi-nudité, étaient de vrais personnages royaux. C’était — me dit-on — des « Nayaker », caste d’anciens guerriers (comme nous autres Nair), caste qui vient immédiatement après celle des Brahmanes.
C’est à Trichinopoly que vivent aussi, comme en d’autres lieux saints, cette secte particulière de Brahmanes, les Vattinam, ils vivent en commun et partagent tout entre eux. C’est devant leur logement comme d’ailleurs devant le logement de Brahmanes plus dévots que l’on peut voir un plant de « Toulsi » dans un pot, c’est un symbole de l’amour pour Shiva.
Nous n’étions pas au terme de notre pèlerinage. C’est jusqu’à Tanjore, où nous devions séjourner plus longtemps, que nous devions penser à nous rendre, sans plus nous attarder. Le chemin est agréable, on longe presque tout le temps le fleuve Cauvery (ou Kavery).
C’est ce fleuve qui se jette dans la mer du Bengale au nord de Mayavaram, son cours inférieur prend nom de Colerun. On pourrait accomplir le trajet de Trichinopoly à Tanjore en une journée ; nous préférâmes le couvrir en un peu moins de deux jours en arrêtant à Ayampatti.
J’ai si mal et si incomplètement dit tout ce qui s’offrit à mes regards à Trichinopoly, que je suis bien maladroit pour regrouper tout ce qui retint mon admiration dans l’inégalable Tanjore. Le souvenir de Tanjore est, après tant d’années, encore vivace dans mes souvenirs. Il fut le point culminant de ce voyage, sous tous les rapports.
Par les renseignements recueillis de ci de là, tant auprès de mon gourou que des voyageurs rencontrés par hasard, Tanjore reste donc plus précis dans ma mémoire. Il faut dire aussi que nous y séjournâmes beaucoup plus qu’en pèlerins de passage. Tanjore était notre but.
Tanjore est l’ancienne capitale d’un royaume qui portait le nom de Ghola. C’est un centre d’artisans, de tisserands, de marchands aussi. Il y a toujours une grande affluence au Grand Temple qui fut construit voici huit siècles par Rajahrajahdeva Chola. Pour moi, ce fut le Grand Temple autour duquel gravitèrent toutes mes expériences nouvelles, je dirai donc dès maintenant quelques mots à son sujet.
Il est flanqué de deux colossales « Gopuram » (sortes de tours de forme pyramidale tronquée), et il est entouré d’un double enceinte. Les entrées sont gardées par d’énormes personnages grimaçants et menaçants, tout peinturlurés. Ces gardiens ont en outre des yeux exorbités dont je détournais craintivement les regards.
Les Gopuram sont sculptés du haut en bas et s’étagent jusqu’à neuf et onze plans, ce qui forme de gigantesques escaliers tout grouillants de personnages, de divinités, symbolisant à la fois la richesse et la puissance.
La cour centrale s’orne de portiques. Le taureau sacré « Nandi » se dresse sur un piédestal à l’écart. Par un dédale de galeries, dont je reparlerai, on s’achemine vers différents sanctuaires de moindre importance.
On compte à Tanjore plusieurs temples secondaires de vastes proportions, dont l’un dédié à Subrahmanya (révéré particulièrement par la caste des prêteurs et financiers, les Chettyia). Il en est un autre, où nous allâmes souvent dans le voisinage immédiat des précédents, dédié à Shiva, et appelé temple de Brihadiswasaswami.
Pendant que je parle des monuments sacrés, que je n’oublie pas de mentionner que mon gourou reçut une invitation de la caste, ou plutôt de la secte Adinam, d’avoir à se rendre près de la ville au temple de Dharapuram. Il ressemble aux autres, à une échelle cependant plus modeste.
Comme je l’ai dit, c’est Tanjore qui restait notre centre. Nous logions dans un caravansérail qui consistait en une série de colonnades formant préaux à trois corps de bâtiment, ouvrant sur une cour adjacente au temple et proche d’un étang entouré lui aussi de colonnades. Tous les espaces libres étaient emplis d’hommes allant et venant entre des groupes étendus sous les préaux ; d’autres accroupis au sol devisaient entre eux. On ne voyait aucune femme, mais des hommes de toutes provenances et d’âges divers. Je devais me mêler à cette foule, alors que mon maître vaquait à ses occupations avec d’autres sages ou religieux de sa connaissance. Je fus assez libre de mes mouvements et il arriva que, la nuit, nous ne trouvions plus place côte à côte quoique sous le même toit.
Comme à Trichinopoly, on rencontre à Tanjore de nombreux Hindous convertis à la religion des Blancs. Leurs églises, comme ils dénomment leurs temples, sont très différentes. Flanquées de deux tours, ou alors avec un toit qui se termine en longue pointe, les portes et les fenêtres ont leur partie supérieure tantôt arrondie tantôt en pointe comme une feuille de manguier.
Je n’ai du reste jamais pénétré dans un de ces temples, craignant d’abord de me polluer et ensuite de m’attirer quelque réprimande, pour ces coutumes différentes des nôtres. Je sais qu’on y chante avec de la musique car je l’entendis certains jours. Cela n’avait du reste rien de commun avec nos airs hindous qui appartiennent à ce culte car, je ne sais pourquoi, on leur enseigne que de montrer le corps est vil ; alors ils sont toujours recouverts ou s’accoutrent à la façon de leurs maîtres.
Aux trois-quarts nu, je souffrais déjà de la chaleur dans ces enceintes murées où l’air circule mal et je me demandais s’il n’y avait pas dans le port d’un vêtement la recherche d’une sorte de « tapasa » ou pénitence corporelle. J’étais heureux, en moi-même, que Shiva eût la compassion de tolérer, sinon d’encourager la nudité.
Après m’être promené aux alentours des temples, d’abord avec mon gourou, puis seul, j’étais insatiable de curiosité. Mes yeux se portaient alors à nouveau sur tous ceux qui m’entouraient, défilaient, se croisaient. Les plus frappants étaient les « sanyassi » qui, probablement, appartenaient à la secte des « Digambara » ou ceux-vêtus-d’espace c’est-à-dire intégralement nus, même en public dans une ville.
Leur devise est « le monde est mon vêtement ». Dans nos régions du Sud, ils sont appelés de préférence « Jangaram » et il y a peut-être une différence dans leurs coutumes ou rites. Ils ont le front barré de traits horizontaux blanchâtres, leur corps est couvert de cendre en signe d’humilité, ils portent aussi une ou deux boucles d’oreilles en cuivre ; d’autres ont également la poitrine et le ventre traversés d’une ou plusieurs lignes blanchâtres.
Certains avaient un anneau de cuivre à la racine de la verge et ils ne sont pas tous épilés. Non moins remarquables étaient les « Lingadari » ou « Lingayat » c’est-à-dire les sectateurs du « Lingam » (symbole mâle), donc des frères en Shiva.
Ils ne déambulent pas tous dans un état de nudité complète ; ils ne sont pas couverts de cendre, leur corps est d’une propreté rigoureuse. En cela, ils ressemblent assez à mon gourou, sauf que ce dernier ne porte pas comme eux le « signe ». Celui-ci consiste en un petit « lingam » de pierre noire suspendu au cou, qu’ils appellent leur « jangam ».
Le lundi, selon le mode européen, est leur jour saint. Leur jour spécial d’adoration du « sexe masculin » représenté par le « lingam » des temples ou le propre membre du chef de la secte, est le jour de la nouvelle lune. J’eus le bonheur d’assister, comme on le verra, à une cérémonie de ce genre.
Les « Lingadari » ignorent la souillure sexuelle, du reste. Je me demandai si mon maître n’avait pas été, un temps, à leur école. Ils diffèrent toutefois en ceci de particulier qu’aucun acte sexuel, quel qu’il soit, c’est-à-dire quel qu’en soit l’objet, n’est considéré comme « licite » s’il n’y a eu mariage auparavant.
Je n’oublie pas les « sadhu », saints ou prétendus tels. Les uns portent chignon et se nomment « Djutadari », les autres aux cheveux épandus sur les épaules sont des « Bhoréa ». Ils sont quasi nus, eux aussi. Il en est d’affreusement velus et sales. Ils s’alourdissent en général d’un collier de quatre-vingt-quatre graines de « roudrakcha », arbre cher à Shiva. Ce nombre me fut expliqué comme symbolisant les douze signes du Zodiaque multipliés par les sept Planètes principales.
On me désigna aussi des « Kallam », gens de la région de Madura mais qui se sont installés dans les environs de Tanjore. Ils sont reconnaissables à leur lobes percés et allongés. Pour eux, c’est là une suprême recherche de la beauté ! Ils sont circoncis, ce qui peut paraître étrange pour des non-musulmans. Ils ont une réputation de voleurs et de sodomistes. J’en vis qui urinaient sans se dissimuler, comme pour attirer la vue sur leur membre.
En revenant, plutôt harassé, je fus surpris par un éventaire à l’un des portails. Un personnage distribuait gravement des bananes coupées en petits morceaux et saupoudrées de sucre de palme ; je crus que j’allais, moi aussi, bénéficier de cette manne, mais l’homme me jeta un regard courroucé et marmonna quelque chose. Je m’éloignai aussitôt.
C’était la distribution « sacrée » aux indigents. Ma bonne mine et mon corps soigné, ma jeunesse même, détonnaient assurément au milieu des pauvres gens qui se pressaient devant cet étalage. La munificence des Dieux me parut bien insuffisante à soulager toutes ces infortunes.
N’était-ce pas plutôt que les Brahmanes, connus pour leur rapacité, accaparaient à leur profit la plus grande partie des dons faits dans ce but ? Nous avons au sujet des Brahmanes, pourtant redoutés, un dicton que voici : « Dans un temple ce ne sont pas les Dieux que les souris craignent le plus en cherchant pitance ».
Après une journée aussi remplie et fatigante, je fus heureux de me retrouver au caravansérail, toujours aussi grouillant de fidèles. Quelques feux y traçaient sur les murs de grandes ombres confuses. Sous les arcades où l’on se rassemblait déjà pour la nuit, les reflets attrapaient de temps à autre un être qui se faufilait, sortait, rentrait et que les lueurs léchaient de teintes fauves.
Mon maître et moi trouvâmes place, après avoir mangé, à une extrémité d’une des arcades, celle du fond. On semblait avoir délaissé cet emplacement, loin de l’entrée, sans doute était-il plus exposé en cas de pluie.
Un vieux « sadhu », que nous avions déjà aperçu là le matin, était accroupi. Mon maître eut garde de le déranger dans ses méditations ; il se trouva donc entre nous deux. J’avais pour moi seul, du côté ouvert à l’extérieur, plus de place qu’il ne m’en fallait. Je ne tardai pas à m’assoupir profondément dans le silence qui, peu à peu, envahit tout le caravansérail.
Les chants se fondirent en murmures, puis en chuchotements. Je perçus encore quelques frôlements de vols d’oiseaux, puis je perdis tout contact avec ce qui m’entourait. J’ignorai même si le vieux « sadhu » dormait accroupi ou bien s’il s’allongea.
Depuis combien de temps dormais-je ? Je ne sais. Je fus tout à coup ramené aux réalités par un ensemble d’étranges sensations. Je me demandais même si ce n’était pas un rêve consécutif à tout l’énervement ressenti. On m’étreignait doucement par derrière. Des bras, des mains me caressaient, imperceptiblement d’abord, puis d’une manière plus accusée.
Il me sembla même qu’une main, pourtant insensible, maniait mon sexe indifférent, puis quelque chose de tiède, de rigide et de doux tout ensemble s’insinua entre mes fesses et se glissa entre mes cuisses. Quelqu’un, allongé derrière moi, me tenait, que je ne pus m’empêcher de serrer dans mes bras, après avoir défait dans mon sommeil le linge étroit qui me ceignait et le voilà qui allait et venait sur mon corps.
Encore endormi, je ne me rendis pas tout à fait compte, je crus que le vieux « sadhu » abusait ainsi de moi, puis je m’aperçus que l’homme dont je sentais le ventre se mouvoir sur moi occupait la place qui était libre.
Sa main serrait mon membre qui ne tarda pas à réagir à ces attouchements. Toute pensée de résister, de me débattre, de faire lâcher prise et cesser l’étreinte, était vaine.
L’inconnu aurait pu être mon gourou ; cette idée me traversa l’esprit, quand je crus à un assaut du « sadhu » et que je constatai qu’il était endormi auprès de moi. Toute protestation, toute lutte, eût alerté les innombrables dormeurs et c’est à la victime qu’on aurait donné tort !
En effet, mon audacieux agresseur aurait, qui sait, déguerpi silencieusement et j’aurais été la risée de tous, toutes les suppositions auraient été permises, j’attirais aussi l’attention sur ma personne et par ricochet sur celle de mon maître. Je pouvais, il est vrai, être accusé d’être la proie d’un « churel ».
Le mieux était donc de subir. Un inconnu, appliqué à moi, haletait dans mon cou, ses lèvres se collaient de temps à autre au creux de mon épaule, il s’agitait plus rapidement, je sentais sa vigueur entre mes cuisses et bientôt il ne tardait pas à s’épancher.
Je fus mortifié et irrité tout à la fois. Je n’osai proférer le moindre mot, même chuchoté, pour lui reprocher non tant son acte que de ne pas avoir eu la politesse de me solliciter. Ce qui m’humiliait c’est qu’il m’ait pris à l’improviste et qu’il ait disposé de moi comme si j’avais été une bête. J’étais bien résolu à lui faire comprendre que l’on n’abusait pas ainsi de ma complaisance.
Il relâcha son étreinte, se retira de moi, puis il s’allongea de côté, me tournant le dos. Il se préoccupait si peu de la souillure qu’il m’avait infligée que je devins littéralement furieux. Je me saisis alors de lui, comme il l’avait fait de moi, j’étais encore dans la plus grande excitation.
Je l’enfourchai donc à demi pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Il prévint mon dernier geste, en se passant sur l’anus la main dans laquelle il venait de cracher. Il devait donc avoir l’habitude de la sodomie. Il n’y avait plus à hésiter, je le pénétrai.
Je dus m’y reprendre à deux fois et, sans doute, j’y allai un peu hardiment car il eut d’abord un sursaut, comme pour reculer ou mieux tenter de s’échapper, puis il se colla intimement à moi.
La sensation était pour moi toute nouvelle, je ne cherchai pas à l’analyser, tant j’étais préoccupé de prendre ma revanche. Toutefois de me sentir enserré étroitement dans ce réduit chaud où je me mouvais, assez malaisément du reste, le frottement qui en résultait et agissait sur moi violemment, tout cela me laissait peu d’espoir de faire durer le plaisir de la vengeance et le supplice pour mon partenaire.
Cet être mystérieux exhalait une légère odeur de santal et d’épices ; mon visage était perdu dans ses cheveux longs. Au toucher, son corps paraissait jeune et vigoureux, ce n’était pas un garçon, mais un homme. Je devais certainement lui causer des sensations imprévues car, de temps en temps, il se tordait, sous mes doigts je percevais le durcissement des muscles de son abdomen.
Une ou deux fois, je crus qu’il aurait souhaité que je misse un temps d’arrêt à mes mouvements ; j’étais arrivé à rythmer ceux-ci juste pour me procurer une lancinante exaltation que je cherchais à retenir pour éloigner l’approche du moment suprême.
À un moment donné, je portai la main au sexe de l’inconnu. Je n’en avais pas été tenté, pensant qu’il s’était épuisé à mon contact. Or, malgré cela, mes doigts rencontrèrent un objet fort respectable, en pleine extension et tout vibrant. Cela, malheureusement, m’acheva ! J’étais enserré à me projeter hors de moi, je ne pouvais plus rien contrôler.
J’arrivais au paroxysme et plongeai soudain plus avant. Dans la saccade finale, mon partenaire eut un vif sursaut, qui décupla, centupla, les sensations qui me saisirent alors et les prolongèrent de façon à peine soutenable, un léger gémissement et sa verge, dans ma main, s’agita dans les secousses d’un nouveau jaillissement qui renouvela tout ce que j’avais déjà éprouvé jusqu’alors.
Je me retirai pantelant, abandonnant comme une loque le corps sur lequel je venais de m’acharner. L’inconnu resta gisant sans un mouvement. Je ne tardai pas à m’appesantir dans un sommeil de bête repue.
À l’aube, les mille bruits de la masse humaine reprenant vie me tirèrent du lourd abrutissement où j’avais sombré. Je croyais m’être endormi quelques instants auparavant. Mon premier regard fut pour celui avec lequel de tels échanges s’étaient produits. Je ne vis personne.
L’inconnu avait déguerpi. Je ne saurais donc jamais qui avait usé de moi et de qui j’avais moi-même usé. Le vieux « sadhu » reposait encore. Mon maître se leva pour aller à ses occupations matinales. Je le suivis.
Une fois à l’écart, je lui fis part des événements de la nuit.
— Chela, me répondit-il, c’était peut-être un « Kallam » ou tout simplement un homme qui se sentait seul et que le désir troublait. Il t’avait sans doute remarqué… Eh oui ! plusieurs de ceux que tu vois m’ont déjà félicité sur la beauté du chela qui m’accompagne. Il n’en faut tirer nulle vanité ! Le désir d’autrui peut avoir plusieurs significations. Il en est une, dans tous les cas, qui t’a touché de très près ! Ce n’est pas que je doive louer ta conduite, mais je dois reconnaître qu’il eût été difficile et délicat de se refuser ; quant à la revanche, c’est une question de jugement et de choix !
Cette réponse était ambiguë. Un doute me vint.
— Gourou bien-aimé, j’ai eu affaire à un homme mais ne pouvait-il pas être un dieu incarné sous forme humaine pour satisfaire au désir ou être puni sur terre ?
— Chela, ce sont là contes que narrent les femmes infidèles. Il me peinerait que tu en sois à chercher une excuse de ce genre. Certes toutes les apparences qui flottent entre les rêves de nos sens et la réalité sont trompeuses, je le sais, mais il ne faut en rien ajouter au monde déjà vaste des illusions, de « Maya » !
Je ne sais pourquoi il me sembla que mon gourou était fâché de ce qui m’était arrivé et peut-être de ce que je n’en exprimais aucun regret. Il crut sans doute que je tenais à retrouver ce partenaire inconnu. Qui sait s’il n’était pas alors parmi ceux qui se baignaient à petite distance de nous ! Il y avait là des groupes d’hommes nus, ruisselant d’eau et de lumière ; parmi eux il y avait des garçons et de jeunes hommes…
Une fois, à quelques jours de là, alors que l’après-midi était déjà avancée, je me disposais à regagner le caravansérail, après de longs vagabondages aux alentours des temples. Ils exerçaient sur moi comme un envoûtement !
Au détour d’un arcade, je me trouvai avec quelques pèlerins mis comme moi. L’un deux, me prenant sans doute pour un compagnon, me demanda si j’allais également au petit temple du « Shiva au Lingam ». J’acquiesçai. Il poursuivit :
— C’est l’heure où Raman doit se sacrifier. J’ai manqué ce spectacle.
— Moi aussi, fis-je avec candeur, ignorant totalement de qui et de quel sacrifice il pouvait s’agir.
Je les suivis donc.
Nous prîmes une petite galerie qui, jusqu’alors, m’avait parue interdite.
— Elle l’est en effet, me dit quelqu’un de la petite troupe, mais ceux de castes, moyennes ou relativement élevées comme nous, y sont admis pour accéder au petit temple.
À travers la colonnade, je distinguai un petit bassin, ou « Kullam ».
Un homme était accroupi sur le rebord, occupé à lisser sa chevelure.
De la fumée s’étirait dans l’air sans brise provenant d’un bûcher qu’on ne voyait pas ou d’un vase à offrandes. Nous contournâmes enfin une des « gopuram » intérieures. Des sculptures indiquaient que les artistes avaient voulu honorer Vichnou ; on distinguait en effet les dix premiers avatars : le poisson, le porc, le lion, le cheval et d’autres.
Ceci me fit songer à ce qu’on m’avait dit de ceux qui adoraient le dieu des Blancs. Comment se pouvait-il qu’il ne fût pas, lui aussi, un avatar de Vichnou ? D’après ce qu’on m’en avait dit, il ressemblait aussi étrangement à Krishna !
Plus loin, un soubassement s’ornait de petites niches où trônaient tour à tour Hanouman et Ganesha. Hanouman à la tête de ses vaillantes troupes ; Ganesha grimaçant, la trompe reposant entre ses genoux repliés. Puis nous parvînmes à un petit oratoire de modestes dimensions. Au-delà du portail formant voûte, c’est avec effroi que j’aperçus la silhouette sombre du dieu se profilant au fond. On approcha jusqu’à l’autel bas où il siégeait. J’eus alors tout loisir de l’examiner.
Shiva était assis sur ce qui paraissait être un roc abrité par un banyan. Le dieu était dans l’attitude de la méditation dans la pose dite « Virâsana », c’est-à-dire la jambe gauche croisée sur le genou droit. D’une de ses quatre mains, le roi de la sagesse fait le geste de paix ou « Vitarka », de la main reposant sur le genou, c’est celui de « Kapâla » ou « teneur du bol ». Une autre main brandit comme un sceptre un lingam qui se dresse hors d’une fleur de lotus. Enfin, Shiva porte un diadème et un collier. Inutile d’ajouter que j’eus ces explications des attitudes sacrées après cette visite. Le pèlerin a beau fouiller cette immense présence de symboles, il n’arrivera jamais en toute sa vie, à connaître la forêt de ses sanctuaires, qui contient autant d’images de Dieu que la forêt contient d’arbres.
Mon attention devait être détournée de la statue, car là, dans la demi-lueur qui s’épandait devant l’autel, un homme était debout et se balançait d’avant en arrière en psalmodiant des prières. Nous étions sur un côté. Chacun reprit en sourdine les prières de celui que je pris pour l’officiant.
C’était Raman. Il était grand, un peu maigre, cheveux épandus sur le dos ; son âge pouvait être celui de mon maître, il était bel homme. Son regard restait fixe comme celui d’un fanatique du « bhang » (chanvre).
Il s’arrêta, parut se recueillir quelques instants. Il alluma un lumignon qu’il plaça sur l’autel en s’inclinant avec le plus grand respect. Il se prosterna et récita rapidement une prière que je ne compris pas.
Après avoir placé à côté de lui une sébile contenant un peu de liquide, restant à genoux mais redressé cette fois, il dénoua son pagne. Il fut complètement nu. Tous ces préparatifs faisaient croître mon angoisse. Qu’allait-il se passer ? Connaissant la rigueur de certain rites, les exigences des Dieux, je voyais déjà ce pauvre homme se trancher le membre et l’offrir en holocauste à Shiva en échange de son geste à brandir en avant le lingam.
Je réprimai le mouvement instinctif de me cacher les yeux de la main au moment même où l’homme saisissait sa verge molle. Mais il ne mania aucune lame ! Un chant plaintif sortit de ses lèvres puis, tout en scandant des versets, de ses doigts trempés dans la sébile il s’enduisit le gland.
— C’est de l’huile pimentée, fit mon voisin à voix baisse, en réponse à ma question. Pensez donc, ajouta-t-il, il en est à son cinquième jour déjà ! Il ne peut plus y arriver sans provoquer lui-même l’excitation, son sexe a beaucoup faibli depuis quelques jours.
J’appris ainsi que l’homme, par vœu de « shakti », comme « tapasa » (pénitence corporelle) aussi, devait éjaculer tous les jours à la même heure pendant un mois, et par ses propres moyens !
Je songeais peut-être à mon partenaire inconnu quand la pensée me vint à ce moment même qu’il serait plus aisé de faire un tel sacrifice avec un autre.
L’affaire s’annonçait comme pouvant se prolonger, en effet. La verge de Raman paraissait indifférente, non seulement à ses chants, mais à l’huile pimentée et à ses première tractions.
La lueur jaune du lumignon sur l’autel dorait le corps de l’homme, ajoutant à la lueur crépusculaire qui filtrait dans cette ombre croissante. Bientôt cependant, il y eut des signes que le sexe de Raman répondait aux prières qui lui étaient faites.
Il se dressa progressivement. Raman, les yeux fixés sur Shiva, poursuivait ses implorations. Quelque chose de mystérieux et d’extraordinaire rayonnait de cet homme, qui priait et manipulait son membre, inconscient de notre présence, le regard rivé à la statue dont le lingam tendu était plus illuminé que le reste.
Deux nouveaux venus se profilèrent alors sur la muraille opposée. Je distinguai deux jeunes hommes ; il se tenaient par la main comme de fraternels amis. Entrés en silence, ils s’accroupirent face à moi, de l’autre côté. Ils se tinrent ainsi immobiles et enlacés ; il ne quittaient pas des yeux cet homme hallucinant livré à une stérile masturbation dans un but que je ne connaissais pas.
Il était là, s’acharnant rythmiquement sur son membre rétif, quoique raidi par réchauffement du piment et la pression de la main rapide. Sa voix haletait, éraillée maintenant. Raman tremblait sur ses genoux, le torse légèrement rejeté en arrière, verge tendue vers le ciel comme en offrande vaine.
Son ventre se creusait par instants, les reflets de la petite lampe y profilant des ombres plus accentuées. On devinait un effort constant pour parvenir à l’ultime détente. Et nous étions là, à le contempler dans la profondeur de ce temple écarté, devant Shiva impassible, grandi par l’ombre.
La séance pouvait durer fort longtemps et se terminer par l’échec du pauvre Raman. S’il n’aboutissait pas, son vœu se muait en provocation envers le dieu, il aurait à encourir les pires châtiments pour l’avoir ainsi déçu et frustré. On le verrait peut-être pendu à un crochet planté à même sa chair, à la porte du temple. Il n’en mourrait pas, mais est-il rien de plus cruel ! Ou bien encore il lui faudrait se tenir nu au milieu d’un cercle des flammes !
Alors que je me figurais déjà ces choses horribles et pourtant agréables à la divinité courroucée, le corps parut s’animer de mouvements moins forcés ; le buste se cambrait plus en arrière, le ventre se creusait puis se tendait, la main activait son mouvement, la voix prit un ton rauque. On aurait dit que Raman, comme un nageur, reprenait son souffle.
Dans un soubresaut, enfin, une plainte ou un chant s’échappa de ses lèvres, l’acte se consommait. Je distinguai le jaillissement projeté par saccades en direction de l’autel. Le sacrifice était accompli.
L’homme se laissa mollement tomber au sol comme une étoffe qui n’est plus retenue à son support. Il sanglota le front contre terre, prostré. Du moins, je pris cela pour des sanglots, peut-être était-ce une action de grâces !
On le laissa. Chacun se retira en silence, comme des ombres abandonnent la demeure d’un mort. Les deux jeunes gens s’écartèrent pour se fondre en la nuit naissante, toujours enlacés. Je ne sais pourquoi leur ombre unie m’attirait et leur douce chanson, il m’aurait tant plu de les suivre et de les connaître ! Je me sentais si seul !
Ce spectacle engendrait en moi une poussée de désir et en même temps une compassion infinie pour le pauvre Raman. Combien je le plaignais de s’acharner ainsi à trente jours de masturbation à heure fixe !
Quelle pouvait être la satisfaction secrète qu’il attendait de cet acte répété ? Quel était le véritable sens de cette volonté de s’avilir tout en étant agréable à Shiva ? Quel karma pouvait être celui d’un homme, victime d’un tel vœu ?
Quel dégoût — me disais-je aussi — doit être maintenant celui de Raman pour tout ce qui concerne le sexe ? Était-ce donc la voie pour anéantir en soi le désir ? Je ne pouvais me retenir de m’imaginer m’exhibant moi aussi, un jour, dans un temple écarté, devant quelques fidèles attirés par on ne sait quelle dévotion, et me livrer là à cette masturbation rituelle dans le but d’arracher de mon sein toute pensée pour le corps et pour le sexe !
À force de réfléchir à ces problèmes que l’acte de Raman avait fait surgir en mon jeune cerveau, je reconsidérai les enseignements de mon maître. C’est lui qui avait raison. Fatiguer un organe est nuisible à l’harmonie de l’ensemble et ne guérit que pour un temps trop court les angoisses du désir.
Tenter de s’avilir est tout le contraire que chercher à s’élever par le détachement progressif.
Ce détachement progressif, selon mon gourou, s’acquiert seulement dans la parfaite connaissance de ce dont on veut se détacher. Ses méthodes de concentration spirituelle étaient assurément plus élevées qu’une vulgaire masturbation portée à l’excès. La prétention de vouloir éjaculer à heure fixe pendant une période déterminée est un principe dont l’erreur m’apparut alors clairement.
Cela fait partie de tout ce que mon maître bannissait comme les moyens spectaculaires purement physiques qui abuseraient les naïfs et font croire à un résultat, même si le pauvre Raman est le premier abusé.
Que toujours le « moi » occupe la première place, ne cessait de me répéter le gourou, il doit grandir et s’effacer seulement devant l’essence divine de l’être supérieur incarné.
Avertissement de l’éditeur et présentation par A. P. | ||
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Source
- Narayana : roman tantrique / Narayana Nair ; traduit du tamil par Jaimouny et A. P. – [Paris] : Jérôme Martineau, cop. 1968 (Turin : Sargraf, novembre 1969). – 176 p. : couv. ill. ; 22 × 13 cm.P. 89-115.
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Notes et références
- ↑ La division du texte en six parties est réalisée ici de façon arbitraire et pour des raisons de commodité propres à BoyWiki. Elle ne figure pas dans l’œuvre originale.