Rico’s vleugels (Rascha Peper)

De BoyWiki

Rico’s vleugels (« Les ailes de Rico »), publié en 1993, est un roman de l’écrivaine néerlandaise Rascha Peper (Driebergen-Rijsenburg, 1er janvier 1949 – Amsterdam, 16 mars 2013). Les personnages sont la proie de leurs passions à la fois à portée de main et insaisissables. L’une d’elles réunit un sexagénaire et un adolescent de quatorze ans. Rico’s vleugels et Russisch blauw (1995) ont valu à l’auteure un succès critique et public.

L’auteure

Rascha Peper est une écrivaine et éditorialiste néerlandaise. Rico’s vleugels (1993) fut son premier succès.

Parmi ses publications précédentes, Oesters (1991) parle d’une relation intergénérationelle,[1] et « Een siciliaanse lekkernij », une des nouvelles de Oefeningen in manhaftigheid (verhalen) (1992), est une histoire d’amour entre un jeune moine et un jeune prince au XIIe siècle.

Prix littéraire

Rico’s vleugels a fait partie de la sélection finale du prix littéraire AKO 1994. Le jury est composé de critiques néerlandais et belges ; le président, renouvelé chaque année, est souvent issu du monde politique.

Résumé

Cecile et Eduard (Eddy) Rochèl, la soixantaine, ont passé leur vie à réunir une collection de coquillages mondialement réputée. Cette passion commune a pris plus de place dans la vie du couple Rochèl depuis qu’Eduard, qui était ambassadeur des Pays-Bas en Tunisie, a dû renoncer à la carrière diplomatique pour une histoire de garçon. Depuis lors, Cecile régente la vie et les fréquentations d’Eduard. En vue du don de la collection à un musée, ils la ramènent aux Pays-Bas. La location d’une grande villa avec vue sur les dunes leur donnera le temps de revoir leurs précieux spécimens et de les trier avec l’aide du docteur Bol, le conservateur du musée, et d’une rencontre de hasard, Rico, bel adolescent de quatorze ans fauché, débrouillard et rêveur. Il ment sur son âge pour ne pas avouer qu’il fait l’école buissonnière, porte un blouson de cuir clouté « trouvé » dans le coffre de la voiture d’un touriste allemand, se déplace sur un « croisement entre une mobylette et une Harley-Davidson » qu’il n’a pas l’âge de conduire. Quelle sera sa place dans ce concert de passions ?

Un résumé et une analyse se trouvent sur le site www.dbnl.org (en néerlandais).

Extraits


[…]

“Maar wat is er dan gebeurd daar?” vroeg Bol.

“Nou, Rochèl dus… keurige, rustige man zoals ik al zeg, die was al een hele tijd bezig met een irrigatieproject in het zuiden. Een samenwerkingsplan van Ontwikkelingshulp, de ambassade en een inlands ingenieursteam. Hij had zich daar echt op vastgebeten en op zeker moment ging hij er een paar weken heen om de boel in de gaten te houden. Belachelijk natuurlijk, dat de ambassadeur dat zelf doet, maar zo was hij wel! Liet gewoon de eerste secretaris op de winkel passen en ging zelf, weet ik hoelang, in the middle of nowhere zitten. Een godverlaten plek, man! Maar hij had een hekel aan sociale verplichtingen, al die diners en recepties, dat was wel duidelijk, dus daar was hij dan mooi een tijdje af ; zo bekeek hij het, geloof ik. Enfin, hij zit daar al een paar weken en op een dag krijgen we op de ambassade een brief van iemand uit dat dorp. Rochèl rotzooide daar met een minderjarige jongen!”

Ernst Bol bleef stokstijf op het pad staan.

“Hi-hi-hi” lachte zijn zwager. “Of we maar ogenblikkelijk een paar duizend dollars smartegeld aan de familie wilden betalen! Zo niet, dan werd de politie ingelicht!”

[…]

“En…?” vroeg hij.

“Nou ja, niemand geloofde het! Zulke brieven zijn daar heel gewoon. Wil je een slaatje uit een buitenlander slaan, dan probeer je hem met jongetjes te chanteren. Dus de eerste secretaris, die het geval moest afhandelen, belde met Rochèl en die deed er heel lakoniek over of hij was niet bereikbaar, enfin, het bleef allemaal een beetje op z’n beloop. Tot een paar dagen later de bom barstte! Er kwam een brief van Rochèl zelf, waarin hij schreef dat hij gevlucht was met die jongen! Ergens het binnenland in. Hij wou een nieuw leven beginnen met die Abdoul of die Mimoun of de-hemel-mag-weten-hoe-die-heette! Stapelgek van die knaap! Snap je dat nou? Zo’n kamelencoureurtje, weet je wel, zo’n gauwdiefje, dat ’em wel uitgebuit zal hebben. Enfin, ieder z’n meug!”

Bol staarde naar de beukebomen. Cecile Rochèl stond hem levensgroot voor ogen! “Eddy”, die de tuinjongen niet mocht helpen met bamboe kappen! Die niet zonder de schipper met twee jonge duikers mocht uitvaren! Die maar het best gezelschap van de oude, bedaagde Van der Helmstock kon hebben tijdens haar afwezigheid! En wat deed dr. Bol, de man aan wie ze haar levenswerk had geschonken? Dr. Bol bond de eerste de beste dag dat ze weg was de kat al op het spek! Laat u het maar gerust aan mij over, mevrouw! Het komt allemaal prima in orde!

“En zijn vrouw?” vroeg hij.

“Die wist het ook meteen! En dan moest je net Cecile hebben! Die zat direct in zo’n wrak, binnenlands vliegtuigje naar hem toe, mét de eerste secretaris, en dat is daar een hele toestand geworden. Ze hadden Rochèl vrij snel gevonden, maar de familie van die jongen wou eruit slepen wat erin zat. Nou ja, diplomatieke onschendbaarheid natuurlijk, juridisch konden ze hem niks maken, maar zulke kunstjes moet je daar liever niet flikken! De Tunesische minister van Binnenlandse Zaken heeft zich er nog mee bemoeid, ha-ha, die wilde ook liever z’n irrigatieproject niet in de soep zien lopen, dus uiteindelijk is het allemaal in der minne geschikt en ze hebben de pers er ook buiten weten te houden. Maar goed, toen ze weer in Tunis terug waren, heeft niemand ze weer gezien. Ze zijn direct naar Den Haag teruggegaan. En wij maar speculeren op de ambassade, hè, op wat voor zijspoor hij gerangeerd zou worden en of Cecile zou gaan scheiden, je kent dat wel. En toen hoorde we opeens dat hij ontslag had genomen. Dat ze op Curaçao gingen wonen, vanwege de schelpen. Eigenlijk keek ook niemand daarvan op. Geld zat, en hij maakte toch al nooit de indruk met hart en ziel aan de Dienst verknocht te zijn.”

“Ja… nee,” zei Bol.

“Maar hoe is het nu met ze?”

“Goed, goed. Prima.”

“Zij heeft hem dus ijverig aan het schelpjes zoeken gezet!”

“Ja. Ze doen het samen. Hij heeft een speciale boot laten bouwen. Het gaat heel goed.”

Hij had weinig zin mededeelzaam te zijn. Het liefst zei hij helemaal niets meer over de Rochèls, alsof alles wat hij nog verduidelijkte zijn ongerustheid alleen maar groter maakte.

“Het heeft ze kennelijk niet uit elkaar gedreven,” zei zijn zwager. “Nou, da’s mooi.”[2]

[…]

— Mais que s’est-il passé, à l’époque ? demanda Bol.

— Bon, donc Rochèl… un honnête homme, et posé comme je l’ai déjà dit, s’occupait depuis tout un temps d’un projet d’irrigation dans le sud. Un plan de collaboration entre l’Aide au développement, l’ambassade et l’équipe indigène d’ingénieurs. Il en était très mordu et à un moment il a décidé de se rendre sur place pendant deux semaines pour l’observer. Bien sûr, qu’un ambassadeur s’en occupe lui-même, c’est risible, mais il était comme ça ! Il a simplement demandé au premier secrétaire de tenir la boutique, pendant que lui-même allait in the middle of nowhere.[3] Un trou perdu, mec ! Mais il avait les obligations sociales en horreur, tous ces dîners et réceptions, c’était bien clair, il s’en était détaché depuis un moment ; je crois qu’il voyait les choses de cette façon. Enfin, il y était depuis environ deux semaines quand un jour à l’ambassade nous avons reçu une lettre de quelqu’un de ce village… Rochèl y folâtrait avec un garçon mineur !

Ernst Bol se tenait debout dans l’allée, raide comme un piquet.

— Hi hi hi, rit son cousin. Voulions-nous payer immédiatement un dédommagement de deux mille dollars à la famille ! Sinon, la police serait informée !

[…]

— Et… ? demanda-t-il.

— Eh bien, personne n’y a cru ! Nous avions l’habitude de recevoir de telles lettres. Qui veut soutirer quelques billets à un étranger essaie de le faire chanter avec des petits garçons. C’est pourquoi le premier secrétaire, qui avait à traiter cette affaire, a téléphoné à Rochèl qui a répondu laconiquement qu’il n’était pas joignable, enfin, tout a continué à suivre son cours. Jusqu’à ce que la bombe éclate deux jours plus tard ! Nous avons reçu une lettre de Rochèl lui-même, dans laquelle il disait s’être enfui avec ce garçon ! Quelque part dans l’arrière-pays. Il voulait commencer une nouvelle vie avec cet Abdoul, ou ce Mimoun, le-ciel-sait-comment-il-s’appelait. Il s’était toqué de ce garçon ! Tu comprends maintenant ? Un de ces petits chameliers, tu sais, un petit filou qui aura bien profité de lui. Enfin, à chacun ses désirs !

Bol regardait fixement les hêtres. Cecile Rochèl était là sous ses yeux, grandeur nature ! « Eddy », qui n’était pas autorisé à aider le petit jardinier à tailler les bambous ! Sans la présence du batelier, il ne pouvait pas emmener en mer les deux jeunes plongeurs ! En l’absence de sa femme, seule la compagnie du vieux Van der Helmstock lui était accordée ! Et que fait le Dr. Bol, l’homme à qui elle avait offert l’œuvre de sa vie ? Dès qu’elle a le dos tourné, il tente le diable.[4] Laissez-moi faire, madame ! Tout se passera bien !

— Et sa femme ? demanda-t-il.

— Elle a tout de suite compris ! Cecile s’est rendue indispensable ! Elle a tout de suite pris un petit coucou, une épave volante avec le premier secrétaire et c’est là que c’est devenu tout une affaire. Ils ont vite trouvé Rochèl, mais la famille de ce garçon voulait en tirer ce qu’il y avait à en tirer. Bon, bien sûr avec l’immunité diplomatique, ils n’avaient pas de prise juridique, mais il valait mieux ne pas s’en servir ! Le ministre tunisien de l’intérieur s’en est mêlé, ha ha, il préférait ne pas voir s’enliser son projet d’irrigation, en fin de compte tout s’est arrangé à l’amiable et ils ont su laisser la presse en dehors de tout cela. Mais bon, à leur retour à Tunis, plus personne ne les a vus. Ils sont rentrés tout de suite à La Haye. À l’ambassade nous n’avons pu que spéculer quant à la voie de garage à laquelle il serait assigné et si Cecile allait divorcer, tu sais bien. Alors nous avons soudain appris qu’il avait démissionné. Qu’ils allaient habiter sur Curaçao, à cause des coquillages. En fait personne ne s’en est soucié. Il avait de l’argent, et il n’avait jamais donné l’impression d’être dévoué corps et âme au Service.

— Oui… non, dit Bol.

— Mais comment va-t-elle ?

— Bien, bien, en pleine forme.

— Elle en a fait un chercheur de coquillage zélé !

— Oui. Ils cherchent ensemble. Il a fait spécialement armer un bateau. Ça se passe très bien.

Il était peu enclin à continuer cette conversation. Il préférait éviter de parler encore des Rochèl, comme si tout ce qu’il pouvait encore découvrir n’allait que renforcer son inquiétude.

— Ça ne les a apparemment pas éloignés l’un de l’autre, dit son beau-frère. C’est beau.[5]




‘Ik vin ’t wel hartsikke aardig wat u zegt, van die brommer en zo enne… en alles,’ begon Rico, bedachtzaam aan het hondsdraf plukkend, ‘maar d’r is iets wat ik nog veel liever zou willen!’

‘Zeg het!’ zei Rochèl dadelijk.

Rico aarzeelde nog even. Hij zocht zichtbaar naar woorden en Rochèl keek ademloos toe.

‘Nou...’ zei hij ten slotte, ‘ik wou dat… as u teruggaat naar de Filistijnen, dat ik dan mee mocht. Om bij u te werken!’

Rochèl kon niet meer naar hem kijken. Er kwam een floers voor zijn ogen, waardoorheen hij alleen nog maar zag dat er vreemde, uitdijende kringels op de knieën van zijn linnen broek zaten.

‘De Filistijnen?’ hoorde hij zichzelf zeggen.

‘Ik wil alles wel doen…’ zei Rico, ‘en ik ken ook van alles. Ik ken voor de boot zorgen… en kapotte netten repareren. En ik wil de schelpen wel schoonmaken of boodschappen doen of… of u beschermen tegen de krimmenelen die daar rondlopen. ’t Ken me niet schelen! En ik hoef echt niet veel te verdienen, lang niet zoveel as hier! Me reis wil ik ook zelf wel betalen. As u’t voorschiet, werk ik gewoon voor niks tot-ie afbetaald is!’

Hij zweeg even.

‘En u zal geen last van me hebben!’ besloot hij.

‘Last van je hebben?’ vroeg Rochèl schor.

‘Vin u het goed?’ vroeg Rico.

De vraag deed pijn.

Varen met die jongen… tussen de kleine, blinkende eilanden in de Indische Oceaan. Eeuwig blijven varen, overal en nergens heen, als een Vliegende Hollander over de wereldzeeën. Er school en duiker in hem, zo snel en behendig als hij was. Meer voor het genoegen dan voor de schelpen… want wat deden de schelpen er nog toe? In een flits zag hij Rico op het dek oesters zitten openwrikken met een mes. Zijn gespreide, bruine benen stonden schrap tegen de kombuiswand en preuts duwde hij de hand weg die over zijn been onder zijn Bermuda-short wilde glijden. Stapels Playboy’s of ander, ruiger, werk zou hij voor hem kopen, zodat hij niet tegen een ouwe vent hoefde aan te kijken…

Maar boven dat alles zweefde de schim van Cecile als een levensgrote, onafwendbare dreiging.

‘Dat beslis ik niet alleen, Rico.’

Ze keken elkaar aan. De jongen knikte. Aan zijn ogen zag Rochèl dat hij het begreep.

‘As u nou tegen u vrouw zegt dat ’t voor het werk is?’ vroeg hij aarzelend. ‘Dat ik eh… dat ik handig met de schelpen omga?’

Rochèl verdronk in die ernstige, zwarte ogen, probeerde een antwoord te formuleren, maar vroeg ten slotte alleen maar: ‘En je vader? Zou die dat dan goedvinden?’

‘Me vader? Die is blij dat ie me kwijt is! As ’t van u mag, zal hij ’t ook wel goedvinden! Zelf is-tie ook op z’n vijftiende het huis uitgegaan, direct de grote vaart op, da’s nog heel wat linker!’

Rochèl knikte.

‘Ik weet niet of het allemaal wel ken, as je minderjarig ben,’ zei Rico praktisch, ‘met een werkvergunning en zo. Maarre… zou u ’t willen?’ Hij raakte met een vinger de mouw van Rochèls overhemd aan.

Rochèl pakte zijn hand en drukte hem tegen zijn lippen. Hij wilde iets zeggen, maar het ging niet. Rico’s spijkerbroekknieën naast hem vervloeiden in een waas van tranen. Rico trok zijn hand weg, maar kwam zwijgend tegen hem aan zitten, zijn arm tegen de zijne, zijn linkerknie losjes tegen zijn rechterknie geleund. Hij keek schuchter glimlachend in de vijver en bleef voor zich uit kijken toen Rochèl een arm om zijn schouder legde.

Met de jongen zo dicht naast zich verdreef Rochèl alle gedachten aan het bij voorbaat verloren paradijs. Bij de dag leven, bij het uur zelfs, meer was niet mogelijk. Hij wilde niet denken aan morgen of aan volgende week; die tijd lag als een onoverzienbaar, zwart veld voor hem en hij had het gevoel alsof er buiten nu niets meer bestond. Hij kon ook niet aan Cecile denken. Zijn vroegere leven was weggewist, opgeheven, in het niets opgelost en de toekomst interesseerde hem niet. Het tengere jongensgezicht naast hem was het enige dat telde. De matbruine wangen, de wenkbrauwveren, de rechte, zwarte wimpers boven de verlegen wegkijkende ogen… Zijn hele bestaan had alleen maar geleid tot dit moment, deze woensdagmiddag aan de Noordzee met deze jongen. Een moment van opheffing en vervulling tegelijk.

‘Bespreekt u ’t met uw vrouw?’ vroeg Rico, peilend opzijkijkend.

‘Ja,’ zei hij laf, ‘ja, jongen.’[6]

— Je trouve ça vraiment sympa ce que vous avez dit, à propos de la mobylette et alors et… et tout, commença Rico, posément en cueillant du lierre, mais il y a quelque chose que j’aimerais encore mieux !

— Dis-le ! dit tout de suite Rochèl.

Rico hésita encore un peu. Il cherchait visiblement ses mots et Rochèl, privé de souffle, le regardait.

— Bon, dit-il enfin. J’aimerais que quand vous retournerez aux Philistines,[7] que vous m’emmeniez avec vous. Pour travailler chez vous !

Rochèl ne pouvait plus le regarder. Un brouillard passa devant ses yeux, à travers lequel il ne voyait plus que d’étranges ellipses en expansion sur les genoux de son pantalon de lin.

— Les Philistines ? s’entendit-il répondre.

— Je veux bien tout faire… dit Rico, et je sais faire un peu de tout. Je peux m’occuper du bateau, et réparer les filets foutus. Et je nettoierai les coquillages ou je ferai les courses ou…, ou je vous protégerai contre les criminels qui rôdent tout autour. Peu importe ! Et je n’ai pas besoin de gagner beaucoup, pas autant qu’ici ! Mon voyage je le payerai bien moi-même. Si vous me faites une avance, je travaillerai pour rien tant que je ne vous aurai pas remboursé !

Il se tut un moment.

— Et je ne vous dérangerai pas ! conclut-il.

— Me déranger ? demanda Rochèl, d’un ton rauque.

— Vous approuvez ? demanda Rico.

La question faisait mal.

Naviguer avec ce garçon… entre les petites îles scintillantes de l’Océan Indien. Naviguer pour toujours, pour nulle part et partout, comme un Hollandais Volant sur les mers du monde. Rapide et agile comme il l’était, on pouvait en faire un plongeur. Plus pour le plaisir que pour les coquillages… parce que, qu’importaient encore les coquillages ? Un instant il vit Rico sur le pont, occupé à ouvrir des huîtres avec un couteau. Ses jambes brunes étaient écartées contre la cloison de la cuisine et il repoussa modestement la main qui voulait se glisser sous son bermuda. Il lui achèterait des piles de Playboy’s ou d’autres magazines, plus corsés, pour qu’il n’ait pas à regarder un vieux…

Mais le fantôme de Cecile planait sur tout cela comme une menace inévitable, grandeur nature.

— Je ne peux pas prendre cette décision seul, Rico.

Ils se regardèrent. Le garçon fit un signe de tête. À ses yeux, Rochèl vit qu’il comprenait.

— Et si vous disiez à votre femme que c’est pour le travail ? demanda-t-il, hésitant. Que je… que je sais y faire avec les coquillages ?

Rochèl se noya dans ses yeux graves et noirs, il essaya de formuler une réponse mais en fin de compte ne posa que cette seule question :

— Et ton père ? Est-ce qu’il serait d’accord ?

— Mon père ? Il serait content d’être débarrassé de moi ! Si vous donnez l’autorisation, il approuvera bien ! Il a lui-même quitté la maison à quinze ans, directement pour la navigation au long cours, c’est un peu plus dangereux !

Rochèl hocha la tête.

— Je ne sais pas si c’est possible, dit Rico, avec un permis de travail ou quoi. Mais… le voudriez-vous ? Il toucha du doigt la manche de la chemise de Rochèl.

Rochèl se saisit de sa main et l’appuya sur ses lèvres. Il voulait dire quelque chose, mais ça n’allait pas. À côté de lui, les genoux du jeans de Rico disparaissaient dans un brouillard de larmes. Rico retira sa main, mais vint s’asseoir en silence contre lui, son bras contre le sien, son genou gauche vaguement appuyé contre son genou droit. Il regarda le vivier en souriant timidement, et regardait encore devant lui quand Rochèl lui posa un bras sur l’épaule.

Avec ce garçon si proche de lui, Rochèl chassa toute pensée au paradis perdu d’avance. Vivre au jour le jour, et même heure par heure, il n’était pas possible d’en faire plus. Il ne voulait pas penser à demain ou à la semaine suivante ; ce futur lui apparaissait comme un champ noir, imprévisible, et il avait le sentiment qu’en dehors de cela rien n’existait plus. Il ne pouvait pas non plus penser à Cecile. Sa vie antérieure était effacée, avait cessé d’exister, se dissolvait dans le néant et le futur ne l’intéressait pas. Le frêle visage de garçon à côté de lui était le seul qui comptait. Les joues brunes et mates, les sourcils[8] et les cils droits et noirs au-dessus d’yeux timides et fuyants… Toute son existence n’avait mené qu’à ce moment, ce mercredi après-midi à la mer du Nord avec ce garçon. C’était à la fois un moment de soulagement et d’accomplissement.

— En discuterez-vous avec votre femme ? s’enquit Rico, regardant de côté.

— Oui, dit-il lâchement, oui, garçon.[9]



Bibliographie

  • Rico’s vleugels / Rascha Peper. – Amsterdam ; Antwerpen : L.J. Veen, 1993. – ISBN 90-254-0499-5
  • Rico’s vleugels / Rascha Peper. – Pandora Pockets/Contact, 1999.
    Réédité en 1994, ISBN 9025404995 ; 1998, ISBN 902549921X ; 1999, 2008, 2010.

Notes et références

  1. Une relation intergénérationelle qui n’est pas du ressort de BoyWiki.
  2. Rascha Peper, Rico’s vleugels, Pandora Pockets/Contact, 1999, p. 81-83.
  3. En anglais dans le texte.
  4. Littéralement : « Dès le premier jour, il lie le chat au lard. »
  5. Trad. BoyWiki.
  6. Rascha Peper, Rico’s vleugels, Pandora Pockets/Contact, 1999, p. 191-193.
  7. Rico mâche ses mots, les déforme (ici les îles Philippines deviennent les Philistines), ses structures de phrases sont de celles que l’on pardonne volontiers à un adolescent qui fait l’école buissonnière, ce qui contraste avec les répliques de l’ancien diplomate.
  8. Une meilleure traduction de wenkbrauwveren ?
  9. Trad. BoyWiki.