Au musée (Maurice Balland)

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Au musée est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.





AU MUSÉE



« Pour moi, je ne puis dire si quelqu’un m’enseigna ou comment je découvris le plaisir, mais, aussi loin que ma mémoire remonte en arrière, il est là. »

André Gide (1869-1951)
Si le grain ne meurt



Chaque fois qu’il peut disposer de son dimanche après-midi, Ferdinand le passe au musée du Louvre. C’est une de ses meilleures distractions le changeant de ses occupations habituelles d’expert-comptable. Il a un certain sens artistique et pour cela il aime arpenter les salles de peinture des différentes époques. Il apprécie aussi les antiquités grecques et romaines pour les magnifiques sculptures, également les très belles collections de vases grecs ornés de scènes parfois fort originales. Il est moins attiré par les salles égyptiennes, pas davantage par les antiquités orientales et autres analogues. Il ne saurait trop dire pourquoi. Sans doute parce que l’on n’y voit pas de nudités. Sans trop vouloir se l’avouer, c’est cela qu’il vient chercher.

S’il est resté célibataire, il ne saurait en donner la raison. C’est que les femmes ne l’ont pas tenté. Pourquoi ? Allez savoir ! Il y a des choses qui ne se commandent pas. Toujours est-il qu’au musée du Louvre, ce ne sont pas les corps féminins qui l’intéressent, mais les nudités masculines. On en trouve dans les sections de peinture, mais surtout dans les antiquités romaines et grecques, et les plus agréables à voir sont précisément ces dernières.

Ferdinand s’attarde aujourd’hui dans les salles de peinture. Il y a de nombreuses Vierges de diverses époques tenant dans leurs bras un enfant Jésus totalement nu exhibant son petit sexe. Mais cela ne l’intéresse pas tellement, les bébés ne lui disent rien. Il déplore que les œuvres d’art laissant en évidence des sexes masculins, hors de ceux d’enfants, soient assez rares. La plupart des tableaux de nus comportent habituellement un linge ou une branche d’arbuste malencontreux pour cacher ce que l’on croit normal d’occulter. Ainsi le Saint Sébastien du Pérugin, au corps d’adolescent si beau barré d’une maudite étoffe. À force de visiter le musée, il a repéré les tableaux intéressants parce que les nudités y sont intégrales comme l’Apollon peint par Poussin, ou Le Sommeil d’Endymion, un gracieux jeune Grec brossé par Girodet. Il y a encore, de Picot, l’admirable groupe intitulé L’Amour et Psyché. Il fantasme à le regarder. Cet Amour est si ravissant, un parfait adolescent ! Ah ! S’il pouvait en caresser un pour de vrai, cela le rendrait heureux ! Il se ravise : « Qu’est-ce que je suis encore en train d’imaginer ? En tout cas, hélas, ce n’est pas ici que cela arrivera ! »

Ferdinand arpente donc le musée, l’esprit préoccupé, car des adolescents il en voit un peu partout, mais toujours à plusieurs en groupes, la plupart du temps accompagnés d’éducateurs, ou bien ils sont avec leurs parents, enfants dociles accrochés à leurs géniteurs. Des garçons seuls, il n’en remarque pas. Pourquoi, d’ailleurs, un enfant viendrait-il seul dans un musée ? Sans doute aurait-il un tempérament de solitaire, ou serait-il un artiste en herbe doué si tôt d’un sens de la beauté ?


Parvenu devant le tableau de Picot, L’Amour et Psyché, qu’il aime beaucoup et que parfois il vient voir dès son entrée dans le musée, Ferdinand y remarque un jeune garçon planté devant et tout occupé à le regarder, l’examinant avec attention puis prenant quelques notes sur un petit cahier qu’il tient à la main. Ferdinand se demande ce qui a pu intéresser particulièrement l’enfant : le corps de Psyché délicieusement alangui par le plaisir ou celui joliment svelte de l’Amour qui s’éloigne après avoir comblé son amante. Plus loin, le garçon se place devant l’un des tableaux avec un nu masculin où rien ne voile le sexe. Là encore il consigne quelque chose sur son calepin. Le même manège se reproduit devant une autre toile analogue aux précédentes. Cela intrigue Ferdinand. Sans aucun doute, chaque fois c’est un corps d’homme qui a retenu le garçon. S’approchant de lui, il essaye d’attirer son attention dans l’espoir d’amorcer un dialogue. Mais l’enfant semble ne pas s’en apercevoir et file plus loin puis, tout à coup, s’engage dans un escalier conduisant à l’étage au-dessous vers les antiquités grecques.

Ferdinand l’a suivi à distance en essayant de ne pas le perdre de vue. Le garçon est parvenu maintenant devant les belles œuvres de Phidias, celles aussi de Praxitèle et d’autres célèbres sculpteurs grecs, de quoi satisfaire un amateur de nus et il s’arrête uniquement devant celles représentant des sujets mâles avec le sexe visible : divers Apollon, l’Apollon Sauroctone, le fameux Apollon Piombino, quelques autres dieux grecs comme le Poséidon, des athlètes tel le Discophore, et aussi le si délicieux Satyre flûteur, un parfait adolescent propre à faire bicher un amateur de jeunesse. Il les examine avec soin, notant toujours sur son carnet. Ferdinand le suit de statue en statue, s’approche de lui pour essayer de jeter un coup d’œil sur ce qu’il écrit. Mais il lui faudrait se pencher pour arriver à bien voir. Il n’ose pas. Pourtant il voudrait tant que le garçon lui fasse au moins un sourire, mais celui-ci ne semble toujours pas préoccupé de sa présence. À présent il se dirige vers les salles où sont exposées les magnifiques poteries grecques. Là il n’y a pas grand monde. Cette partie du musée n’attire pas tellement les visiteurs car il y fait un peu sombre et l’aspect poussiéreux des vitrines rend l’ensemble plutôt sinistre, au point qu’il faut être particulièrement amateur des pièces qu’elles renferment pour s’y attarder. L’enfant s’est arrêté devant un grand cratère où l’on voit, bien dessinée en noir sur fond rouge comme dans tous ces vases, une scène de danse typiquement grecque avec des ménades poursuivies par des satyres à l’excitation évidente. Le garçon note toujours. Ferdinand s’approche de lui. Cette fois, comme ils sont pratiquement seuls dans la salle, celui-ci lui adresse un sourire et semble prêt à engager la conversation. D’ailleurs, il commence :

— Savez-vous de quelle époque est ce vase ?

— Ce doit être marqué sur l’étiquette.

— C’est vrai, que je suis bête.

— Tu viens souvent au musée ?

— Oui, ça m’intéresse beaucoup.

— Je vois, tu as l’air de le connaître. Je t’ai vu prendre des notes. Est-ce que c’était pour un devoir de classe ?

— Oh, non, je note les choses qui m’intéressent moi tout seul.

— Ah, à voir où tu as pris des notes, si j’ai bien compris, alors tu t’intéresses aux hommes nus.

— Oui.

— Mais quel âge as-tu ?

— Quatorze ans.

— Et pourquoi t’intéresses-tu aux hommes nus ?

— Je ne sais pas, mais c’est comme ça. Et vous, qu’est-ce qui vous intéresse ?

— Comment te dire ?

— Mais oui, dites-le, j’ai compris, je pourrais peut-être vous intéresser.

— C’est vrai et c’est pourquoi je t’ai suivi. Mais tu sais, si j’y ai pensé, je ne vois pas comment faire. Ici, dans le musée, ça ne doit pas être facile de se planquer quelque part.

— Oh, vous croyez ?

— Explique-toi.

— C’est simple, suivez-moi.

Et le garçon de conduire Ferdinand dans la salle suivante où, entre deux vitrines très rapprochées, il ouvre une petite porte discrète. Ce sont des toilettes qu’à première vue on ne remarque pas car elles ne sont pas signalées. Il assure que personne ne vient là et qu’ils seront absolument tranquilles.

Ferdinand, un peu étonné, l’a suivi. Il éprouve cependant une certaine gêne, ou plutôt un peu de crainte, l’endroit ne lui paraissant pas tellement sûr. Il s’estime bien imprudent. Mais le garçon lui inspire confiance et puis, en fin de compte, voilà longtemps qu’il n’a pas eu l’occasion d’être seul avec un jeune et il se sent en manque.

Toute crainte surmontée, comme pris d’ivresse, sans perdre de temps, il met la main à la braguette du garçon pour l’ouvrir. Celui-ci l’arrête : « Non, pas tout de suite, vous d’abord, après on verra si on a le temps ». C’est qu’il est surtout attiré par les virilités masculines, désirant les toucher, les manipuler, et puis les sucer. Il ouvre le pantalon de son partenaire qui le laisse faire à sa guise, ébahi de tant d’ardeur et de dextérité chez un jeune d’à peine plus de quatorze ans. Ferdinand avait rarement connu telle aventure, au point que, terriblement excité, il ressentit rapidement son orgasme et, sans avoir le temps de prévenir, envoya sa giclée dans la bouche de l’adolescent qui, sans sourciller, n’en perdit aucune goutte et ne laissa rien tomber à terre. Il ne cracha rien, se contentant de tousser un peu après avoir dégluti.

Satisfait, le garçon ouvrit sa braguette et demanda à Ferdinand de lui rendre la pareille. Sa puberté n’étant pas tellement avancée, il n’émit qu’une modeste goutte, suffisante cependant pour que son partenaire en pût connaître la saveur qu’il reconnut délicate comme toujours chez un jeune en début d’adolescence.

Par la suite, Ferdinand se réserva chaque dimanche après-midi pour retrouver au musée le garçon si intéressé à la nudité masculine qui, de même, vint régulièrement pour aspirer le délicieux liquide dont il était assoiffé. Chose extraordinaire, il ne demanda jamais d’argent en compensation, seulement deux tickets de métro, l’un pour rembourser son voyage d’aller et l’autre pour son retour chez lui. Se prostituait-il ? Certainement pas dans le sens ordinaire de ce mot qui exprime un usage vénal de son corps. On pourrait plutôt penser qu’il ne faisait qu’assouvir son besoin de connaître et son ardeur au plaisir.


Ce manège dura jusqu’au moment où commencèrent les travaux de modernisation du musée. Le renouvellement de nombreuses salles modifia certaines dispositions, et désormais les fameuses toilettes ne furent plus disponibles. De ce jour, Ferdinand ne vit plus venir le garçon qui sans doute chercha ailleurs le moyen de combler son ardente nature.

À ce moment, Ferdinand s’aperçut que l’enfant lui était resté étranger. À part son prénom, Stanislas, il ne connut rien à son sujet, pas même où il demeurait, ni ce qu’était sa famille, et s’il avait des frères et des sœurs, pas davantage où il allait en classe. L’enfant était resté extrêmement discret. D’ailleurs, ils n’avaient jamais eu le temps de parler, il fallait chaque fois se presser et ce jeune ne tenait pas à paraître accompagné lorsqu’il était dans le musée. Avait-il d’autres fournisseurs de virile semence pour étancher sa soif ? Ferdinand le supposa tant il lui parut expert. Il est vrai que de nos jours, plus qu’auparavant, « la valeur (l’avaleur !) n’attend pas le nombre des années ! » En tous les cas, un musée ne conserve pas uniquement des reliques du passé, mais parfois peut rendre possible l’actualisation de très contemporaines pulsions.


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Table des matières
LEÇONS PARTICULIÈRES
nouvelles
 
LES DEUX COPAINS
nouvelles
Deuxième série
   
Leçons particulières Les deux copains
Ne suis pas n’importe qui !… Vous reviendrez demain ?
L’apprenti Un papa heureux !
C’est vraiment mieux ! Manoel
Enfant de cœur ! Le laveur de pare-brise
Sortis du tunnel ! Dominique
Droits de l’Homme ! Le gars de la colonie
Chassé-croisé Un moyen de communiquer !
Mon maître Les Buttes-Chaumont
Le boulevard nous sépare… On a commencé par la queue !
Le garçon dans la nuit Vacances en Angleterre
La fugue Je ressemble à papa !
Le camp de jeunesse Au musée
La Villette L’Espagnol
La relève Ce n’est pas dans l’ordre !

Voir aussi

Articles connexes