L’Espagnol (Maurice Balland)

De BoyWiki

L’Espagnol est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.





L’ESPAGNOL




Depuis qu’il habite dans ce quartier de Paris, Jean-Pierre n’est encore jamais allé dans le jardin proche de son immeuble. Il est vrai qu’il n’a pas l’occasion de passer par là, et il faut vraiment se déterminer pour se rendre dans ce petit espace de verdure enclavé entre le boulevard périphérique et le boulevard des Maréchaux.

L’année scolaire terminée, maintenant qu’il a un peu de temps libre puisqu’il ne reprendra ses cours qu’à la prochaine rentrée, Jean-Pierre se décide enfin et va faire le tour de ce petit parc. L’abondance et la variété de la végétation rend le jardin très agréable. Des bouquets d’arbres et des massifs de verdure rompent la monotonie tout en ménageant des points de vue sur le paysage environnant. Ce square est relativement pittoresque, quelque peu accidenté, car il est en partie sur une butte et se déploie ensuite en pente en redescendant vers le boulevard périphérique qui le borde à l’est. Quel que soit le sens de la visite, il y a toujours une allée à gravir, une autre à descendre et par endroits elles sont coupées d’escaliers afin de rompre la monotonie de la marche. Dans la partie basse a été érigée une fontaine faisant socle à une statue de femme nue. Vers le côté nord, une aire de jeu est aménagée, avec un espace sablé pour les plus jeunes enfants, et à l’extrémité de laquelle un petit monument représente une mère avec ses enfants. La pierre assez tendre en a été usée par la pluie et l’on distingue mal certains détails de la sculpture. Sur le sommet de la butte, une autre aire de jeu avec quelques agrès sert à des enfants plus âgés et aux adolescents. Une sorte de préau avec des bancs la borde d’un côté et l’on peut s’y réfugier par temps de pluie.

Tout en circulant, Jean-Pierre observe les gens qui fréquentent le jardin. Il y a beaucoup de personnes âgées assises sur les bancs, ce qui ne l’étonne guère car elles sont nombreuses dans ce quartier. Après la construction des premières H.L.M. dans ce secteur, les logements furent d’abord occupés par des ménages avec enfants. Les parents restés sur place ont vieilli et leurs enfants sont allés s’installer ailleurs. La moyenne d’âge de la population du quartier a tendance à augmenter sans cesse. Les jeunes ménages s’établissant davantage en banlieue. Néanmoins, comme il y a des groupes d’habitations d’une classe un peu supérieure avec une population de cadres, il y a néanmoins suffisamment d’enfants pour que l’on puisse en voir courir dans les rues, aller aux écoles, et en trouver dans le petit parc. Les plus petits, amenés par leurs mamans, s’ébattent dans le bac à sable. Des groupes de jeunes garçons et de petites filles courent dans les allées. Des adolescents jouent dans l’aire de jeu au sommet, non loin du petit édifice où se trouvent les toilettes.

Jean-Pierre jette un coup d’œil dans ce bâtiment. Il est frappé de voir comment, un peu partout les murs en sont couverts de graffitis. La plupart sont communs à ceux que l’on trouve ordinairement en pareil lieu. Cependant, certains semblent bien particuliers. Entre autres, il lit : « Je cherche 14-15 ans pour s’amuser. R.V. ici à 5 h. » ou encore « J’ai 15 ans, je veux trouver homme pour ma queue. Ici le mercredi à 2 h. » Jean-Pierre note, peut-être pourrait-il venir aux heures indiquées pour se rendre compte ?


En ce mois de juillet, on voit moins d’enfants dans les rues, bon nombre sont partis en vacances. Jean-Pierre est venu plusieurs fois dans le petit parc et il a remarqué qu’en effet, il n’y a pas beaucoup de jeunesse à s’y distraire. Une fois, il a aperçu un garçon qui n’avait fait que de le traverser assez rapidement. Quelques jours après il l’avait revu, mais celui-ci ne s’était pas attardé et était reparti presque aussitôt après y être entré.

Aujourd’hui, on est presque à la fin du mois, il le revoit encore et semble toujours seul mais, cette fois, il s’attarde et parcourt les allées, allant et venant comme s’il cherchait quelqu’un. Sans en avoir l’air Jean-Pierre lui emboîte le pas et marche aussi lentement que possible pour ne pas donner trop l’impression de lui coller aux talons et laisser croire qu’il flâne, lui aussi, dans les allées. Il ruse même, prenant parfois un raccourci, ce qui l’amène presque au niveau du garçon et permet de lui faire un sourire en passant. Il remarque que celui-ci n’est pas insensible à une telle attention. À un moment donné, fatigué sans doute de marcher, l’enfant s’est assis sur un banc. Il regarde dans la direction de l’homme qui le suit comme pour l’inviter à venir auprès de lui. Du moins c’est ce que Jean-Pierre croit comprendre, et alors il se dirige vers le banc sans pourtant presser le pas comme pour signifier une certaine indifférence. Arrivé à son niveau, il lui adresse la parole d’un ton aussi neutre que possible pour lui faire remarquer que le banc est en plein soleil et qu’il risque d’avoir plutôt chaud.

— Oh, répondit le garçon, c’est pas terrible. Et puis, si vous voulez, on pourra parler tranquillement, il n’y aura personne pour nous entendre.

— Tu as raison.

Aussitôt assis près de lui, Jean-Pierre ne s’embarrasse pas de circonlocutions et demande s’il attend quelqu’un.

Le jeune ne répond ni oui ni non, mais :

— Il y a des types qu’on peut rencontrer ici et avec qui c’est intéressant d’aller.

Jean-Pierre a compris. Il ne s’étonne plus alors des inscriptions qu’il a vues dans les toilettes. Il demande au garçon si celui-ci a pensé qu’il était un type de ce genre. Sur sa réponse affirmative, il s’informe où aller pour le satisfaire.

— Où vous voudrez, il y a un fourré là-bas, les chiottes au-dessus, et puis pourquoi pas chez vous ?

Jean-Pierre trouve que c’est aller un peu vite en besogne et préférerait mieux connaître le garçon. Il le questionne et finit par savoir son prénom, Pedro, et qu’il est d’origine espagnole, exactement catalane, ses parents étant venus en France lorsqu’il avait cinq ans. Ses grands-parents sont toujours près de Barcelone et il ira là-bas pour passer le mois d’août. D’ailleurs, il partira dans deux jours. Il est élève au groupe scolaire voisin, puisqu’il habite dans le quartier, « et plus haut, sur le même boulevard que moi », pense Jean-Pierre.

Poussant ses investigations, il cherche à savoir pourquoi Pedro se laisse draguer. Il apprend que celui-ci, un jour qu’il était allé voir un de ses copains, se trouva seul dans l’ascenseur avec un type qui, pendant que l’appareil montait, lui demanda de lui montrer sa queue. Il n’eut pas peur et le fit volontiers puis laissa l’homme le branler. Il avait tout juste douze ans, cela lui avait paru tout drôle et lui avait fait plaisir et, depuis, il cherche des types pour recommencer.

— C’est toi qui as mis des inscriptions aux toilettes ?

— Non, c’est les types. Une fois j’en ai rencontré un là, et il m’a mené chez lui.

— Tu n’as pas peur. Il y a un risque.

Et le garçon d’expliquer qu’il prend quelques précautions et qu’il a fini par se rendre compte quels types peuvent être dangereux :

— Avec vous, on ne doit pas s’inquiéter, vous n’êtes pas très jeune, vous faites un peu grand-père.

À moitié flatté du compliment, Jean-Pierre demande de qui il faut se méfier.

Pedro alors lui fait savoir que parfois aux abords du jardin il y a des types en voiture qui essaient d’attirer l’attention des jeunes qui passent. Assis à leur volant, ils font signe de s’approcher, puis quand on regarde dans l’auto ils montrent leur braguette ouverte. Si on n’a pas peur, on comprend et on peut se laisser tenter d’entrer dans la voiture. Il assure que jamais il ne s’est ainsi laissé attraper :

— Je sais qu’il faut se méfier des types en voiture. Ils pourraient nous mener loin et on risque de se faire enlever.

Judicieux garçon déjà bien au courant de certaines mœurs. Jean-Pierre s’aperçoit qu’il ne lui a pas encore demandé son âge. Il apprend que Pedro a un peu plus de quatorze ans. Il les porte bien, un corps convenablement découplé aux proportions harmonieuses, une tête ronde au visage encore enfantin lorsqu’il rit mais déjà adolescent par certains traits dès qu’il a l’air pensif. Son teint quelque peu coloré témoigne de son origine méditerranéenne.

Jean-Pierre se prend à le désirer. Il hésite pourtant à le mener chez lui à la première rencontre. Estimant le garçon disposé à continuer de parler, il essaie de pousser son investigation et de savoir s’il lui est souvent arrivé d’aller chez des inconnus.

Presque innocemment, et avec un peu de vantardise, Pedro lui fait comme un tableau de ses chasses et révèle l’existence d’un certain nombre de pédophiles dans les parages. Il n’a pas l’air d’affabuler car il donne certains détails précis montrant qu’il est bien allé dans des lieux différents, et surtout qu’il a été initié à diverses pratiques que tout seul il n’eût pas inventées. Jean-Pierre estime qu’il n’aura pas grand chose à lui apprendre.

Il se demande ce qu’il va faire. Ce garçon est bien attirant et lui plaît beaucoup. L’avoir à sa disposition l’intéresserait certainement car, avec lui, les choses ne doivent pas être banales. La curiosité le talonne. L’idée d’un certain risque n’affleure pas son esprit. Pourtant, ordinairement il est prudent et ne s’engage pas à la légère. Par ailleurs, il est en manque car voilà longtemps qu’il n’a eu de jeune à se mettre sous la main, si l’on peut dire.

Il se décide et trouve une sorte de prétexte :

— Sais-tu comment je m’appelle ? Comme toi, ou presque, Pierre, Jean-Pierre, c’est un peu comme Pedro. Tu vois, on est faits pour s’entendre.

— Ah, enfin, vous vous décidez. On va chez vous ?

Il apparaît à Jean-Pierre que le garçon, finaud, avait supporté toute cette conversation dans l’espoir d’arriver à ses fins. Il a l’impression d’avoir été plus manipulé qu’il ne l’eût pensé. Il ne lui en veut pas, admirant plutôt en lui une ruse le rendant plus désirable encore car il apprécie particulièrement les garçons montrant de l’intelligence et de la finesse.


N’ayant qu’une cinquantaine de mètres de chemin à faire, Jean-Pierre fut bientôt chez lui, accompagné de Pedro. Celui-ci, dès qu’ils furent entrés ne prit pas le temps de regarder où il se trouvait. Peu lui importait. Agissant déjà comme un petit prostitué et pressé de se faire caresser par cet ami de rencontre, sans attendre il se déshabilla entièrement à l’étonnement de son hôte qui rarement avait vu un tel empressement chez un jeune dès une toute première rencontre. « Mon Dieu, se dit Jean-Pierre, qu’il est beau ! Et monté ! Quel magnifique mâle déjà ! »

À une telle vue, il se sentit presque défaillir tant le désir se fit violent en lui de posséder une telle splendeur. Le regard impératif de Pedro, le fit agir comme un automate et de même il se dévêtit, puis il emmena le garçon dans sa chambre et, nus tous les deux, ils se jetèrent sur le lit. Il n’eut qu’à se laisser faire, le garçon qu’il avait pressenti expérimenté l’était en effet et connaissait les gestes de l’amour. Effectivement, il n’avait rien à lui apprendre. Sans avoir à le lui demander, il se laissa pénétrer et lui rendit ensuite la pareille. Satisfait, mais toujours avide, Pedro voulut encore plus de caresses, et jouir plusieurs fois de suite, insatiable, jusqu’à ne plus pouvoir émettre, ses bourses totalement vidées. « Heureuse jeunesse, pensa Jean-Pierre, qui n’a pas encore de limites au plaisir et qui récupère avec une incroyable rapidité. » Il commença à regretter le poids des ans qui l’obligeait à se forcer un peu pour suivre le rythme du garçon. Cependant, il n’en laissa rien paraître pour encourager Pedro à revenir une autre fois si possible.

— Tu connais le chemin, reviens comme il te plaira, lui dit-il lorsque celui-ci le quitta, heureux du bon moment qu’il venait de passer.

Jean-Pierre en était certain, il le reverrait.


Il dut attendre la rentrée scolaire pour le recevoir à nouveau. Pedro en effet revint car il n’avait pas oublié. Mieux, il trouva une raison pour faire de Jean-Pierre son ami unique et intime :

— J’ai appris qu’il fallait faire attention à une vilaine maladie, et qu’il n’était pas prudent d’aller avec n’importe qui ni avec trop de monde.

— Ah, c’est du SIDA que tu veux parler.

C’était bien cela. Pedro, en garçon intelligent, avait compris que la sécurité en amour était préférable aux aventures passagères mais porteuses de risques. Il ajouta :

— Alors, je ne viendrai qu’ici, avec vous, et puis vous êtes fortiche, on s’aimera bien.

Jean-Pierre ne pouvait qu’être de son avis, surtout que cela garantissait la fréquente présence d’un splendide et charmant garçon venant lui procurer sa ration de plaisir sain et juvénile.


« Il n’est pas de clavier plus étendu que notre corps, du moment qu’il a été soumis dès la jeunesse à toutes sortes d’exercices préparatoires… »

Marcel Jouhandeau (1888-1979)
Tirésias


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Table des matières
LEÇONS PARTICULIÈRES
nouvelles
 
LES DEUX COPAINS
nouvelles
Deuxième série
   
Leçons particulières Les deux copains
Ne suis pas n’importe qui !… Vous reviendrez demain ?
L’apprenti Un papa heureux !
C’est vraiment mieux ! Manoel
Enfant de cœur ! Le laveur de pare-brise
Sortis du tunnel ! Dominique
Droits de l’Homme ! Le gars de la colonie
Chassé-croisé Un moyen de communiquer !
Mon maître Les Buttes-Chaumont
Le boulevard nous sépare… On a commencé par la queue !
Le garçon dans la nuit Vacances en Angleterre
La fugue Je ressemble à papa !
Le camp de jeunesse Au musée
La Villette L’Espagnol
La relève Ce n’est pas dans l’ordre !

Voir aussi

Articles connexes