Manoel (Maurice Balland)

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Manoel est une nouvelle pédérastique de Maurice Balland.





MANOEL




Enfiler un mignon ou un autre garçon, un homme ou une femme, ce n’est ni mieux ni plus mal : un mignon ou pas, mâle ou femelle, c’est pareil au point de vue des « convenances ».

Plutarque (125-60 av. J.-C.)
Sextus



François a dû encore une fois déménager et demeure maintenant dans un quartier est de la capitale, sur les Hauteurs de Belleville, un endroit en pleine rénovation. Partout ce ne sont que démolitions puis des chantiers. La population autochtone a été dispersée, et les nouveaux immeubles, à mesure de leur achèvement sont occupés par des personnes d’une autre classe, parmi eux beaucoup de fonctionnaires. C’est cela la rénovation, non seulement immobilière, mais encore un moyen de modifier l’aspect sociologique d’un quartier de la capitale. Et l’on sait que celui-ci fut durant longtemps un des plus chauds, aux traditions révolutionnaires symbolisées par le Mur des Fédérés, non loin, au cimetière du Père-Lachaise.

Ayant emménagé depuis plusieurs semaines déjà, et maintenant suffisamment installé pour bien se sentir chez lui, François au hasard de ses courses explore son nouveau quartier. Il y a bon nombre d’étrangers, des immigrés, surtout sur la périphérie, où subsistent encore des immeubles anciens. Ce sont plutôt des Arabes et des noirs, des Antillais qui travaillent dans les hôpitaux voisins. Il s’en trouve aussi dans les parties neuves, mais alors ce sont des gens plus évolués. De même que des Asiatiques qui ne se mélangent pas aux autres immigrés. On voit aussi des Portugais. Ceux-ci sont souvent des gardiens d’immeubles. La femme reste au local de fonction pour assurer la garde, et le mari est ouvrier dans la construction.

On ne trouve plus grand chose de ce que Jules Romains a décrit dans certains épisodes de ses Hommes de bonne volonté. Comme témoin du passé il reste l’église construite au second Empire en style roman avec son clocher. C’est là que François qui a gardé quelque pratique religieuse va à la messe le dimanche. L’assemblée dominicale est plutôt disparate. On ne sent pas encore dans cette paroisse l’existence d’une communauté chrétienne. Certes, avant la rénovation, les habitants du lieu étant plutôt de gauche, il n’y avait pas tellement de pratique dans ce secteur. Il y en a un peu plus maintenant que la population a été modifiée. Mais les gens ne se connaissent pas assez pour tellement frayer. Le curé fait de son mieux pour créer une atmosphère durant les offices. Avec le temps, sans doute obtiendra-t-il quelque résultat. Pour rehausser les messes, il y a cependant un petit groupe d’enfants de chœur qui ont l’air sérieux et que François regarde de tous ses yeux durant la messe.

Une chose ne lui a pas échappé. Son flair particulier sans doute en ce qui concerne la jeunesse. C’est que, sauf le plus grand, un garçon, tous ces enfants de chœur sont des filles. Il est vrai que depuis quelques années, les curés ont laissé les femmes envahir le sanctuaire, ce qui était absolument interdit autrefois. Maintenant, certaines font les lectures liturgiques, assurent les quêtes, disent les intentions de la prière universelle, font chanter, vont même jusqu’à distribuer la communion, et pour servir à l’autel, il y a souvent plus de filles que de garçons. Est-ce par ce biais que l’on finira par admettre le sacerdoce des femmes ? Le féminisme est la marque du siècle. Il parviendra à infléchir la théologie des temps à venir !


Toujours est-il que dans sa paroisse, le groupe d’enfants de chœur comporte cinq filles et un garçon. Celui-ci est déjà grand, il paraît avoir seize ans. Il domine de sa tête la petite escouade, car ces filles ne semblent pas avoir dépassé douze ans, elles sont encore en âge de catéchisme et n’ont pas fait leur Profession de foi. C’est ce que lui a dit le curé à qui il fit une visite de courtoisie plusieurs semaines après son emménagement. Le pasteur n’est pas mécontent de son groupe de choristes, surtout que le garçon est très sérieux et sait fort bien discipliner son monde. C’est un Portugais, le fils des gardiens d’un des groupes d’immeubles voisins de l’église. Le curé est heureux de voir qu’un garçon de seize ans veuille bien venir ainsi tous les dimanches pour la messe. Ce n’est pas courant. Ordinairement, on ne voit plus les enfants sitôt achevé leur temps de catéchisme. Ce garçon présente donc une belle force de caractère. Il se montre bien utile aussi. Cependant, le curé déplore que son influence n’attire pas d’autres garçons. Il semble même qu’il n’y tienne pas et préfère avoir des filles autour de lui. Il donne toutes sortes de raisons, disant que surtout elles sont très dociles. Il est arrivé que des garçons qui s’étaient présentés pour servir se soient vus écartés rapidement avec non moins de bonnes raisons. Enfin, le curé se résigne, car malgré tout il a un petit groupe de servants de messe, ce qui manque chez beaucoup de ses confrères. Il en est presque heureux. Il va jusqu’à plaisanter. « Savez-vous, dit-il à François, comment entre eux ils s’appellent dans le groupe ? Je vous le donne en mille. Ils disent “Les enfants de chœuse”, ayant mis chœur au féminin à leur manière ! Et Manoel, c’est le nom du garçon, n’a pas l’air de s’en formaliser. On a l’impression que ça lui fait plaisir à lui aussi. »

François vit en ses rêves le fameux Manoel. C’est que ce garçon a de quoi attirer. Il l’a observé à l’église. Déjà grand pour son âge, dans son aube il paraît plus élancé encore. On devine sous l’étoffe un corps svelte, délicat même. D’ailleurs son visage présente des traits particulièrement fins, des lèvres bien dessinées et sensuelles comme celles d’une femme, des oreilles petites et bien ourlées avec un joli lobe moyennement long et pendant agréablement. Sa peau légèrement colorée est mate comme chez ceux de sa race. C’est un Ibère, bien sûr. Ses yeux noirs brillent par éclats sous les reflets des lumières de l’église. Ils lui donnent un air de profonde mélancolie qu’accentue, partant d’un front haut et dégagé, une abondante toison de cheveux mi-longs, couleur de jais, qu’il rejette en arrière et qui lui retombent dans le cou. Sa tête, dans l’ensemble paraît plutôt menue et ne correspond pas à son âge. Il fait penser à un garçon quelque peu en retard dans sa croissance réelle, sa taille fait illusion. François se sent intrigué, il désire le connaître, il trouvera un moyen pour entrer en contact avec lui.

Le dimanche suivant, sous prétexte d’apporter quelques pièces de linge et de vêtements pour l’œuvre d’entraide paroissiale, François va à la sacristie de l’église après la messe. Il y trouve les choristes en train de quitter leurs aubes et il demande au plus grand où poser son paquet. Manoel lui indique un endroit de la salle. Belle occasion pour engager une conversation. À peine quelques mots et le garçon se montre ouvert, paraît abordable à François qui toutefois n’insiste pas encore. Pour l’instant, il lui suffit de le voir revêtu d’un pull noir, ras de cou, éclaircissant son teint mais aussi lui moulant une poitrine délicate, et d’un jeans bleu très ajusté mettant en évidence des fesses plutôt rebondies. Il lui parut désirable, mais d’attendre le dimanche suivant pour le même jeu lui sembla une éternité.

Il porta donc un autre paquet de vêtements une semaine après et put mener plus loin son investigation. Le garçon était féru d’art et de musique. Qu’à cela ne tienne, François a chez lui de quoi le satisfaire. N’habitant pas loin, dans le groupe d’immeubles précédant celui de Manoel, il l’invita sur-le-champ à s’arrêter chez lui ce matin-là, en passant, avant de rentrer à la maison. C’est ainsi que Manoel connut le chemin et vint fréquemment par la suite chez François.


François, prudent selon son habitude avec les jeunes, ne força en rien le garçon et eut la patience d’attendre que celui-ci fût suffisamment en confiance pour l’amener à lui ouvrir le fond de son cœur. Il n’attendit pas longtemps. Manoel avait un lourd secret qu’il ne tarda pas à dévoiler. C’est qu’il ne se sentait pas tenté de la même façon que ses copains. Eux, ils courent après les filles. Lui, c’est différent. Il ne se reconnaît pas garçon. S’il cherche les filles, ce n’est pas pour faire comme ses copains qui se conduisent en machos, mais parce qu’il voudrait se comporter de la même façon qu’elles.

— Tu voudrais qu’on te caresse comme une fille ?

— Oui, vous avez compris. Mais comment faire ?

Perplexe, François, approchant de la cinquantaine et après avoir connu tant de garçons durant plus de vingt ans, pour la première fois en rencontre un vraiment pas comme les autres. Comment fera-t-il pour le caresser comme une fille ? Il n’en a pas l’expérience. Après tout, il n’a qu’à laisser Manoel diriger la manœuvre. Il verra bien.

Et Manoel de se mettre à poil et de présenter un corps harmonieux, svelte, aux lignes particulièrement délicates, mais toutes en rondeur, peu viriles comme on l’attendrait d’un garçon, Il a une peau très satinée et ses hanches avantageuses accentuent une croupe plus féminine que masculine. Et comme pour confirmer ses dires, le garçon se tint debout devant lui après avoir enfoncé comme pour les cacher ses organes virils entre ses cuisses serrées, et dès lors, avec ses poils seuls visibles, il apparut réellement typé comme une femme, d’autant mieux qu’aucun soupçon de duvet ne se signalant à sa lèvre supérieure il avait un visage de Vénus.

De se montrer ainsi le remplit de contentement. Il voulut être caressé sur la poitrine, les fesses, le ventre, sans pourtant se laisser branler. Il semblait même ne pas vouloir bander, éviter tout plaisir obtenu par son sexe. Comment lui procurer ce plaisir ? De la façon la plus logique il voulut être possédé dans un rôle passif. François sans hésiter lui accorda ce qu’il désirait et lui procura par le fondement l’immense plaisir qu’il attendait.

François comprit pourquoi Manoel était enfant de chœur. C’était pour lui l’occasion de paraître en public revêtu d’une robe et de se présenter un peu comme une femme. Il cherchait la compagnie féminine parce qu’il se sentait en conformité de nature avec l’autre sexe. D’où l’entourage féminin qu’il s’était assuré à l’église. Il révéla qu’il avait obtenu de ses parents de rester en peignoir à la maison après la rentrée de l’école. C’était un peu comme s’il était habillé en fille. Chaque fois qu’il était certain d’être seul dans l’appartement, il revêtait en cachette pour au moins un quart d’heure les vêtements de sa sœur jumelle, appréciant d’enfiler un slip non ouvert et de mettre l’un de ses soutiens-gorge. Il affectionnait aussi d’aller aux cabinets et d’uriner assis à la manière des femmes, ce que d’ailleurs il faisait autant que possible même au lycée lorsqu’il pouvait éviter d’aller aux urinoirs et entrer dans une des cabines où l’on s’accroupit sur des installations à la turque. Une véritable obsession, et pourtant il paraissait si normal dans la vie courante et ses études où il réussissait assez bien, que ses parents n’eurent aucune raison de s’inquiéter.

Lui, par contre s’inquiétait :

— Je ne trouve pas de copain qui chercherait ma compagnie comme s’il s’adressait à une fille.

— Certes, tu admettras que ce n’est pas courant.

— Oui, et ils se foutent plutôt de moi parce que j’ai davantage l’air d’une fille.

— Ce n’est pas étonnant. Mais ne te décourage pas. Il y en aura bien un qui un jour te comprendra.

Manoel montra à François comment il aurait désiré être, mettant des mouchoirs sous son pull pour simuler des seins. « Bien sûr, dit-il, je ne peux faire comme ça que dans ma chambre quand je suis sûr qu’on ne me dérangera pas. C’est dur, vous savez d’être obligé de se cacher. Il n’y aurait pas moyen d’être vraiment une femme et que tout le monde vous prenne pour ce vous êtes ? »

Sans doute, il y aurait moyen. Mais François juge qu’il n’est pas en âge encore de comprendre par quel processus on parvient à transformer un homme en femme. Il essaye en attendant de le raisonner :

— Mais il faudra bien que tu te maries et que tu aies des gosses.

— Vous n’y songez pas, moi, faire le mari ! Ça ne me dit absolument rien. Je voudrais être femme et avoir un homme qui soit mon mari.

— Mais, qu’en pensent tes parents ?

— Oh, vous savez, on est portugais, alors je devrais être plus macho. Je les désole un peu parce que je suis trop doux et parais soumis comme ma sœur et que je ne cherche pas de petite amie. C’est un ami dans mon genre que je voudrais. Vous, vous me comprenez, je vous en suis reconnaissant, mais vous aimeriez mieux un garçon qui se laisse branler.

— Oh, tu sais, j’aime être avec toi. Du moment que je te rends heureux de la façon qui te plaît, je suis content moi aussi. Il est vrai que, pour ce qui me concerne, ce n’est pas d’entrer dans un trou qui me tente tellement, j’aurais mieux aimé te sucer et te faire jouir à la manière des garçons. Après tout, quand je te suis intimement uni, je me dis que, pour une fois, je ne me conduis pas en homosexuel, je m’imagine faire l’amour avec une femme, bien que ce ne soit pas mon genre. Malgré tout, je ne regrette rien car toute expérience est bonne et apporte toujours un enrichissement, ne serait-ce que d’élargir l’horizon. Il faut apprendre à être universel et à faire face à toute situation. Pour cela je te remercie. Toi aussi tu me rends heureux à ta façon.

— Mes parents pensent que je changerai quand on retournera au Portugal. Je n’en suis pas si sûr, car je suis comme ça depuis mes dix ans, et peut-être même avant, autant que je m’en souvienne, où j’ai toujours aimé la compagnie des filles plutôt que celle des garçons. En tout cas, mes parents ne veulent pas rester ici. C’est pourquoi ils m’ont fait apprendre le portugais et m’ont envoyé au pays chez mes grands-parents à toutes les vacances. Ça ne m’enchante pas, j’aimerais mieux rester en France, on s’y sent quand même plus libre. Croyez-vous que je pourrais là-bas trouver un ami qui resterait avec moi comme avec sa femme ?

François ne sait que lui répondre. Certes, si le garçon restait en France, il saurait en temps voulu, à sa majorité, l’orienter vers des spécialistes qui l’aideraient à devenir ce qu’il pense être au plus profond de sa conscience. Comment lui expliquer tout cela ?


Il n’eut pas à le faire, Manoel, en effet, ne revint pas après les vacances d’été cette année-là. Il avait atteint sa majorité et ses parents en profitèrent pour retourner définitivement au Portugal afin d’assurer son avenir là-bas dans la tradition du pays. Sans tarder il fut d’abord engagé au service militaire de la patrie qui était restée la sienne puisqu’il y était né et n’avait pas eu le temps d’opter pour la France. Il écrivit une lettre pour exprimer son désarroi, la dernière que reçut François qui par la suite n’en eut plus aucune nouvelle.


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Table des matières
LEÇONS PARTICULIÈRES
nouvelles
 
LES DEUX COPAINS
nouvelles
Deuxième série
   
Leçons particulières Les deux copains
Ne suis pas n’importe qui !… Vous reviendrez demain ?
L’apprenti Un papa heureux !
C’est vraiment mieux ! Manoel
Enfant de cœur ! Le laveur de pare-brise
Sortis du tunnel ! Dominique
Droits de l’Homme ! Le gars de la colonie
Chassé-croisé Un moyen de communiquer !
Mon maître Les Buttes-Chaumont
Le boulevard nous sépare… On a commencé par la queue !
Le garçon dans la nuit Vacances en Angleterre
La fugue Je ressemble à papa !
Le camp de jeunesse Au musée
La Villette L’Espagnol
La relève Ce n’est pas dans l’ordre !

Voir aussi

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