Hervé (Maurice Balland) – III

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III




Hervé fut réveillé ce matin-là par les rayons du soleil crevant les rideaux de sa fenêtre. Cette journée, au début du mois de mai, s’annonçait radieuse comme la veille. Le garçon se sentit envahi de bonheur. Il parvenait au terme des années de catéchisme et fera sa profession de foi à la fête de l’Ascension. Pour préparer cette cérémonie, il n’y aura pas d’école durant trois jours. Cela fera comme des vacances et toujours bon à prendre ! La retraite préparatoire était commencée de la veille au soir, et voilà que le prédicateur lui avait tapé dans l’œil. Il l’écouta avec intérêt. Pour une fois, il n’allait pas s’ennuyer !

De fait, ce n’était pas gai tous les jours. Vivre dans une baraque ! Et l’école qui ne lui disait rien, dans une baraque, elle aussi. Brigitte, sa mère, nerveuse et autoritaire, qui trouvait toujours à redire, continuellement en conflit avec sa fille aînée, Françoise, âgée de quinze ans et de tempérament semblable. Simone et Charles, plus jeunes que lui, sans cesse en train de piailler. Et son père, Henri… Eh, oui ! C’est encore avec lui qu’il s’entend le mieux. Malheureusement, il est rarement à la maison. Quand il rentre, préoccupé par les luttes syndicales et fatigué de son travail à la manufacture, il s’efface devant sa femme pour avoir la paix. Hervé aurait aimé s’entretenir avec lui, mais ce n’était guère possible dans cette baraque trop étroite où l’on vit les uns sur les autres.

Habillé en vitesse, avalé le petit déjeuner, Hervé courut à la chapelle Sainte-Thérèse. C’est également une baraque mais, pour l’heure, le garçon n’en semble pas préoccupé, pas plus que de l’univers de bois, de carton bitumé et de tôles dont il a parfois la nausée. La Cité des Peupliers groupait environ trois cents baraquements, de formes et de tailles diverses en fonction des besoins des familles logées là provisoirement, et alignées en rangées parallèles séparées par des allées. Les Morin avaient obtenu une baraque de quatre pièces avec cuisine et salle d’eau. Outre la salle à manger qui donnait sur la porte d’entrée, il y avait trois chambres juste suffisantes : une pour les parents, une pour Françoise et sa sœur Simone âgée de dix ans, et enfin celle d’Hervé qu’il partage avec Charles, un bambin de huit ans. Avec les lits superposés, la penderie, une table et deux chaises, il ne restait pas grand place. Hervé aurait aimé être seul. Continuellement, son petit frère l’importunait et, sans cesse, il butait contre lui.

La baraque déjà ancienne, elle avait plus de quinze ans, commençait à se déglinguer. Tout le temps, c’était une fente à colmater, un trou à boucher dans le revêtement en carton bitumé ! Les abords toujours sales, comme toute la cité d’ailleurs. On pataugeait dans la boue les jours de pluie, et c’était la poussière en temps de sécheresse. Que faire ? La situation étant provisoire, on ne faisait rien. Pourtant quelques-uns avaient semé des fleurs au pied de leur logis et planté des rosiers grimpants qui s’accrochaient aux planches. La verdure et ces fleurs multicolores rendaient l’ensemble plus souriant…

La cité étant relativement importante et assez éloignée de l’église la plus proche, l’Évêché avait obtenu de disposer d’une baraque en guise de chapelle. Un prêtre, l’abbé Nicolas, en fut chargé et parvint à constituer une sorte de paroisse avec le noyau des pratiquants. C’est là que le garçon avait suivi le catéchisme et qu’aura lieu la cérémonie de jeudi. En attendant, il y a la retraite qui l’intéressera, il en est sûr !

Quand Hervé arrive à la chapelle, le prédicateur, le père Albin, est déjà là et prépare son matériel pour les projections qu’il fait après ses causeries. Il dispose son appareil et ajuste l’écran. Ce n’est pas commode, car la chapelle n’est pas prévue pour cela. Hervé tourne autour de l’installation. Intéressé, il donne un coup de main. Quelques mots échangés avec le père et, rapidement, il devine une certaine sympathie de celui-ci à son endroit. La veille, avant de commencer la projection, le père avait demandé un volontaire pour lire à haute voix les textes accompagnant les vues sur l’écran. C’est un moyen de fixer l’attention des enfants et de s’assurer qu’ils ont eu le temps de lire ces textes et de regarder les images. Hervé s’était proposé. Voilà que, d’emblée, le père lui demande de recommencer aujourd’hui :

— Tu fais très bien l’affaire, ce n’est pas la peine que je demande à un autre.

Le garçon rougit de satisfaction. Ce n’est pas souvent qu’on le complimente. Ce père est vraiment chic ! Il fit de son mieux à la projection du matin, puis encore à celle de l’après-midi, indifférent aux jalousies des autres enfants.

— Tu lui as tapé dans l’œil ! Il ne pourra plus se passer de toi. Tu vas voir, il va t’emmener après la Communion !

À table, le soir, Hervé parle, raconte sa journée. Henri, son père, l’écoute, étonné qu’il soit si loquace, ce n’était pas si fréquent. Brigitte s’informe :

— Ce père Albin, ne serait-il pas du couvent de la rue de la Victoire ?

— Oui, je crois.

— Demande-lui demain. Si c’est vrai, tu l’inviteras pour dîner.

Au moment de se coucher, comblé d’une joie nouvelle, Hervé oublie les inconvénients de sa chambre trop petite ni ne fait attention à son frère. Avant de s’endormir, les yeux fermés, il lui semble voir le père Albin. Sûrement, il en rêvera toute la nuit !

Le lendemain, de retour pour le déjeuner, il confirme à sa mère que le père Albin viendra pour le dîner.

Il se souviendra toujours de cette soirée qui lui permit de faire plus ample connaissance du religieux et de mesurer le degré de sympathie que celui-ci lui portait déjà.

Brigitte ne put s’empêcher, selon son habitude, d’accaparer la conversation, gémissant à propos de tout, des ennuis quotidiens :

— Heureusement, rectifia-t-elle, que j’ai une activité d’Action Catholique ici et dans la ville. D’ailleurs, c’est le père Léger qui me l’a proposé et qui me soutient pour cela. Le connaissez-vous ?

— Bien sûr, puisqu’il est le supérieur de notre communauté. C’est un homme très sérieux et un parfait religieux. Vous ne pouvez être mieux conseillée.

Satisfaite de la réponse, Brigitte passe à un autre sujet. Hervé fait alors les frais du discours maternel :

— Hervé est content de la retraite. Vous l’intéressez rudement. Comment faites-vous ? À l’école, il ne travaille pas. On dirait qu’il s’en moque. Il ne pense qu’à jouer. Et puis, il se néglige. Regardez, il n’a pas boutonné le col de sa chemise et il est mal peigné. En plus, il est toujours sale. Il est vrai qu’ici, dans la cité, pour être propre c’est un problème, surtout les jours de pluie, il y a de la boue, et autrement c’est plein de poussière partout. Je passe mon temps à laver et à nettoyer. Avec quatre enfants, croyez-moi, ça demande du travail. Mais si Hervé voulait davantage faire attention, je peinerais moins. Il est en âge de comprendre. Et puis, il faut toujours qu’il discute au lieu d’obéir. C’est épuisant !

Quelle douche ! Hervé se courbe sous l’averse, rentrant la tête entre ses épaules. Il regarde son père. Henri ne réagit pas, ne tenant pas à contrarier sa femme, surtout en présence d’un invité venant pour la première fois. Les autres enfants se taisent par crainte de tomber dans le collimateur de leur mère. Le père Albin, tout en mangeant, écoute placidement. Que pense-t-il de tout cela ? Quelle idée va-t-il maintenant se faire du garçon auquel il avait porté quelque attention ?

Tout à coup, Brigitte arrête sa diatribe. Le flot cesse. Dans le soudain silence on entend bouillonner la cafetière automatique dont le signal d’alarme se met à retentir. Dans sa détresse, Hervé qui frémit intérieurement lance un SOS de son regard sombre ardemment fixé sur le visage du religieux. Le signal est perçu. Le père Albin apporte son témoignage :

— Hervé écoute bien. Il est aussi très coopérant. Durant les projections, il lit admirablement bien et de façon intelligente. Il ne travaille pas à l’école ? C’est étonnant ! Je pense que, sans y paraître, il profite des cours. J’ai aussi remarqué qu’il a de l’ascendant sur ses camarades. À mon avis, croyez-moi, il y a de l’étoffe en lui.

Déjà satisfaite du jugement porté par le religieux au sujet de son supérieur, Brigitte est subjuguée. Elle se radoucit :

— Ah, vous avez vu Hervé sous un autre jour. Nous avons tendance à être exigeants. J’espère bien qu’après la communion, il se souviendra de vos bonnes paroles et changera un peu, ce ne sera pas une mauvaise chose !

L’atmosphère se détend et le père raconte quelques anecdotes pour égayer le reste de la soirée. C’est alors qu’Henri, toujours prêt à venir en aide à son fils sans pour autant contrarier sa femme, suggère :

— Mais, si Hervé le désire, il pourra aller vous voir de temps en temps. Cela lui fera du bien.

— Parfaitement d’accord ! Le couvent n’est pas tellement éloigné. Il n’aura qu’à venir le jeudi après-midi. Je serai là.

Marché conclu, le religieux salue et sort.


Moins de quinze jours après, Hervé franchissait le seuil du couvent de la rue de la Victoire, heureux de revoir le père Albin. Celui-ci le reçut de façon amicale et lui fit visiter la maison, du moins ce qui était déjà en service du côté rue, le chantier étant encore en cours du côté jardin qui en outre était couvert de baraquements car le terrain avait été réquisitionné pour y installer provisoirement la sous-préfecture et divers services de la mairie.

Hervé resta près d’une heure, émerveillé de ce qu’il vit, découvrant un monde nouveau. Et puis, de parler, de discuter avec le père, il trouvait cela rudement intéressant. Il en savait des choses ce père Albin !

Le soir, dans son lit, il y pensait encore : « Dire qu’il a passé une bonne heure avec moi, comme si j’étais seul au monde ! Vraiment, c’est un chic type ! »

Il retourna une autre fois. Comme il avait exprimé le désir de revoir quelques-uns des films projetés durant la retraite, le père avait aménagé au grenier du couvent un coin suffisamment obscur. C’est là qu’il amena le garçon et lui laissa le plaisir de faire fonctionner l’appareil. Durant la projection, il se plaça derrière l’enfant, le tenant par les épaules, et commenta les images de concert avec lui. Hervé étant monté sur un tabouret, leurs têtes se touchaient presque. Il sentait bon. Le père lui en fit la remarque :

— Ta mère a dit l’autre jour que tu étais sale. Ce n’est pas vrai. Tu es propre et tu sens bon !

— O.K., avant de venir, je me suis lavé la tête avec un shampooing. J’ai pensé que ça vous ferait plaisir.

— Merci de ta gentillesse. Tu es un garçon merveilleux !

Au moment de partir, Hervé embrassa le religieux.


Sur le chemin de la maison, le garçon se sentit heureux et léger. Il marchait rapidement en sautillant, gambadant presque. Rencontrant son copain Benoît Sauget qui remarqua son allégresse, il lui raconta n’importe quoi pour se donner contenance. Hervé tenait à son secret qu’il ne voulait en aucune façon galvauder. On n’avait pas besoin de savoir qu’il n’était plus seul, qu’il avait un ami capable de le comprendre.



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